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Troisième lecture du projet de loi C-266, Loi instituant la Journée du pape Jean-Paul II

Troisième lecture du projet de loi C-266, Loi instituant la Journée du pape Jean-Paul II

Troisième lecture du projet de loi C-266, Loi instituant la Journée du pape Jean-Paul II


Publié le 15 décembre 2014
Hansard et déclarations par l’hon. Serge Joyal

L’honorable Serge Joyal :

Honorables sénateurs, je sais qu’il se fait tard, mais j’avais promis à la sénatrice Fortin-Duplessis et à la sénatrice Martin que je prendrais la parole aujourd’hui. Bien entendu, je tiens à respecter cet engagement.

Honorables sénateurs, à première vue, ce projet de loi semble très simple et inoffensif. Cependant, après l’avoir lu et avoir réfléchi à tout cela, j’en suis arrivé à la conclusion que je ne peux pas appuyer ce projet de loi, et ce, pour trois raisons.

Je dis cela avec le plus grand respect pour celle qui parraine le projet de loi, la sénatrice Fortin-Duplessis, de même que pour tous les autres sénateurs qui ont appuyé le projet de loi. Évidemment, je respecte leurs convictions, et je respecte aussi l’engagement qu’ils ont pris de faire adopter ce projet de loi. Cela dit, à mon humble avis, ce projet de loi ne devrait pas être adopté pour trois raisons bien précises, que je vais maintenant énumérer.

Tout d’abord, ce projet de loi brouille le principe de la séparation de l’Église et de l’État, un principe fondamental de la Constitution canadienne. C’est un aspect très important.

Ensuite, sur le plan juridique, ce projet de loi privilégie une religion au détriment des autres. C’est aussi un aspect très important, car il remet en question l’article 2a) de la Charte des droits et libertés, qui porte sur la liberté de religion.

Enfin — et ce n’est certainement pas l’aspect le moins important —, ce projet de loi vise à reconnaître légalement un système de pensée et de croyances religieuses qui, bien souvent, va à l’encontre des droits fondamentaux garantis par la Charte, ainsi que des préceptes qui, parfois, entrent en conflit avec les principes de la primauté du droit et de la protection de la vie des citoyens.

Voilà les trois motifs principaux qui expliquent mon opposition au projet de loi, honorables sénateurs. Je m’en voudrais toutefois de donner l’impression que je suis anticlérical ou que je ne reconnais pas la valeur des églises catholiques romaines du Canada et, particulièrement, de ma province.

Je ne tiens pas vraiment non plus à me défendre de pareilles accusations. Je ne dévoilerai pas mes croyances personnelles. Je veux simplement vous rappeler ce que j’ai fait pour protéger le patrimoine de l’Église catholique romaine ces 45 dernières années; c’est d’ailleurs du domaine public, et certains d’entre vous, surtout ceux qui ont vécu au Québec ou qui en connaissent l’histoire, s’en souviendront peut-être.

En 1971, je suis intervenu pour empêcher la destruction de l’église Saint-Paul de Joliette, que la sénatrice Bellemare connaît, parce que le ministère des Travaux publics de la province voulait démolir le cimetière pour élargir une route, ce qui aurait, bien entendu, nui à la survie de l’église.

En 1976, je suis intervenu pour empêcher la destruction de l’église Notre-Dame-des-Anges à Montréal, qui se trouve sur la place Guy- Favreau, parce qu’il s’agissait d’une des premières églises protestantes de la ville. L’église a été sauvée, et elle abrite aujourd’hui l’église de la communauté chinoise, en plein cœur du centre-ville de Montréal.

Je suis personnellement intervenu pour empêcher la destruction d’un monastère des Sœurs grises au centre-ville de Montréal, et j’ai fait de même il y a moins de trois ans pour l’église Saint-Nom-de- Jésus-et-de-Marie de la circonscription d’Hochelaga-Maisonneuve, dans l’est de Montréal.

Il est de notoriété publique, et je dis cela en toute humilité, que je suis l’un des plus grands collectionneurs d’art religieux du Canada. J’ai donné des centaines et des centaines d’œuvres d’art religieux à de nombreux musées canadiens : des vases en argent, des vases en argent frappés d’or, des tableaux, des sculptures, et cetera. Quiconque visite le Musée des beaux-arts de Montréal, le Centre canadien d’architecture ou le Musée de la civilisation de Québec aura la chance d’en voir.

J’ai donné beaucoup de conférences et publié de nombreux articles dans le but de comprendre l’histoire de l’Église catholique romaine dans ma province et dans le reste du Canada. De toute évidence, je ne suis donc pas contre la religion. Je me suis exprimé publiquement en faveur du maintien de ce que j’appelle l’importance des églises dans toute société.

Cependant, compte tenu du libellé du projet de loi et de l’intention exposée dans son préambule, honorables sénateurs, je crois que nous devrions, comme l’ont recommandé le leader de l’opposition, un peu plus tôt, et vous-même, Votre Honneur, en reprenant les mots de John A. Macdonald, soumettre le projet de loi à un second examen objectif.

Pourquoi? Parce que je dirais que le projet de loi entache et enfreint le principe de la séparation de l’Église et de l’État. Dès son titre, il indique noir sur blanc qu’il vise à instituer la Journée du pape Jean-Paul II, un saint de l’Église catholique romaine. Honorables sénateurs, il n’est pas question d’une motion visant à féliciter un lauréat du prix Nobel ou à souhaiter au dalaï-lama la bienvenue au Canada, mais bien d’une mesure législative qu’adopteraient les deux Chambres du Parlement pour inscrire à tout jamais dans les lois canadiennes que le Canada doit consacrer une journée à un saint catholique romain et perpétuer son souvenir. Pourquoi? Parce que le pape est le souverain pontife de l’Église catholique romaine. Il est à la fois un chef religieux et un chef d’État, un État qu’on appelle le Vatican, qui a des ambassadeurs aux quatre coins du monde, y compris à Ottawa. Il jouit de tous les privilèges d’un chef d’État. De 122 à 135 cardinaux l’élisent. Il s’exprime au nom de 1,2 milliard de catholiques. Ce n’est pas négligeable. Si on inscrivait dans les lois du Canada que les Canadiens doivent vouer à jamais une journée précise à rendre hommage à cette personne, on entacherait le principe de la séparation de l’Église et de l’État.

Honorables sénateurs, cet élément est d’une telle importance dans notre Constitution que, lorsque la reine prête son premier serment d’office — elle en prête trois —, l’archevêque lui demande ceci :

Promettez-vous et jurez-vous solennellement de gouverner les peuples du Royaume-Uni […] du Canada, de l’Australie […] selon leurs lois et coutumes respectives?

Donc selon les lois et coutumes du Canada.

Songez-y un instant, honorables sénateurs. Quand la reine a été sacrée reine de Grande-Bretagne et d’Irlande, elle a été assermentée protectrice de la foi parce qu’elle est chef de l’Église anglicane. Cependant, elle n’a pas de titre semblable en tant que reine du Canada. Dans ce contexte, elle s’engage à respecter nos lois et coutumes, comme le dit le serment, et notre Constitution n’établit aucune église particulière. C’est un élément fondamental de notre structure constitutionnelle. Cela n’empêche en rien la reine d’assister aux offices d’une église anglicane lors de ses visites au Canada. En fait, elle est la bienvenue dans toutes les églises anglicanes du Canada. À titre de reine du Canada, en tant que personne, elle peut aller dans n’importe quelle église anglicane pour se recueillir. Cependant, lorsqu’elle porte la couronne du Canada, elle ne défend aucun principe religieux. C’est un aspect fondamental, honorables sénateurs.

Lorsque les Pères de la Confédération ont débattu de la façon de reconnaître les droits des minorités religieuses — ce dont il est question à l’article 93 de la Constitution et à l’article 29 de la Charte, qui portent sur les droits en matière d’éducation, notamment ceux des protestants et des catholiques —, ils l’ont fait pour protéger les droits des minorités, et non pour inclure dans la structure gouvernementale un engagement envers l’une ou l’autre des Églises.

Par conséquent, lorsque nous adoptons des projets de loi, il est très important que nous nous demandions quels seront leurs effets sur ce pilier fondamental de la structure canadienne.

Le deuxième aspect qui, à mon sens, est tout aussi fondamental, c’est le fait que ce projet de loi vise à ce que la loi privilégie une religion plutôt qu’une autre. C’est très dangereux, car cela va à l’encontre de l’objet de l’alinéa 2a) de la Charte des droits et libertés. De quoi est-il question dans cet alinéa? De liberté de religion. Tous les Canadiens ont droit à la liberté de religion, ce qui veut dire que toutes les religions sont sur un pied d’égalité. Chacun peut choisir sa religion. On peut choisir de ne pas avoir de religion. Ce droit est également garanti dans la Charte.

Nous allons permettre à notre système juridique d’aller à l’encontre de cette même liberté en inscrivant dans nos lois l’obligation de rappeler quelque chose de très particulier à tous les Canadiens le 2 avril de chaque année. Qu’est-ce qui sera commémoré? Vous trouverez la réponse dans l’objet du projet de loi. Où trouve-t-on l’objet du projet de loi? Il est inscrit dans le préambule. Le 2 avril, on commémorera une figure marquante de l’histoire de l’Église catholique romaine. C’est dans le deuxième paragraphe du préambule.

Deuxièmement, on sera encouragé à vivre les enseignements du Christ. Quels enseignements du Christ? Les enseignements du Christ interprétés par l’Église catholique romaine. Pourquoi? Parce que selon la doctrine, le pape est infaillible. Lorsqu’il se prononce sur les enseignements du Christ, il a toujours raison, un principe que ne reconnaissent pas la plupart des autres fois chrétiennes, que ce soit la foi anglicane, presbytérienne, épiscopalienne, unitarienne, luthérienne ou orthodoxe. Aucune autre religion de la foi chrétienne ne reconnaît le principe de l’infaillibilité du pape lorsqu’il interprète les enseignements du Christ. C’est pourtant l’intention du projet de loi, honorables sénateurs. Lisez-le. C’est le troisième paragraphe du préambule.

Dans notre étude du projet de loi, nous devons considérer le précédent que nous créerions en l’adoptant. Il ne fait aucun doute que nous reconnaîtrions une religion par-dessus les autres. C’est la perception que cela créerait. D’ailleurs, une conviction profonde de la doctrine de l’Église catholique romaine veut qu’elle ait, dans une certaine mesure, un degré de vérité supérieur aux autres Églises de la foi chrétienne parce qu’elle est la plus ancienne, et que toutes les autres sont dangereuses. Vous savez parfaitement bien qu’un principe de l’Église catholique romaine interdit de se marier à un protestant. Pourquoi? Parce que quiconque épouse un protestant risque de compromettre sa foi; il faut donc promettre d’éduquer ses enfants dans la foi catholique romaine.

Honorables sénateurs, le projet de loi semble bien inoffensif, mais je ne puis, personnellement, l’appuyer car j’estime que ce serait rendre un mauvais service à l’Église catholique romaine que d’alimenter au Canada la perception qu’une religion se situe à un autre niveau, est meilleure que les autres. Ce n’est pas dit ainsi, mais quand on lit le projet de loi et qu’on songe à son incidence, c’est, en fait, l’impression qu’il fait pénétrer dans l’esprit des gens.

Le troisième élément de ce projet de loi — le plus important, honorables sénateurs —, c’est qu’il accorde une reconnaissance légale à un système de pensée et à des préceptes religieux qui sont souvent à l’opposé de certains droits fondamentaux inscrits dans la Charte. À mon avis, honorables sénateurs, il s’agit d’une autre conséquence grave.

Pensons d’abord au principe d’égalité entre les hommes et les femmes. Y a-t-il un enjeu qui soit plus important aux yeux de l’ensemble des Canadiens — et qui fera toujours l’unanimité — que l’importance d’atteindre l’égalité entre les hommes et les femmes? L’histoire nous a montré que, pour l’Église catholique romaine et le pape Jean-Paul II, cette égalité n’a pas sa place. Je ne veux pas me montrer trop négatif à ce sujet, mais il reste que la doctrine de l’Église est simple : les femmes devraient s’incliner devant les hommes comme l’Église s’incline devant Dieu. Ainsi, les femmes ne peuvent pas avoir de responsabilité aux yeux de l’Église catholique romaine et elles ne peuvent pas être prêtres ni occuper un poste de gestion d’un niveau supérieur. C’est un monde d’hommes. Sans compter que, si on lit les enseignements de l’Église, on sous-entend que ce sont les femmes qui sont à l’origine du péché sur la Terre.

Dans une société laïque comme celle dans laquelle nous vivons aujourd’hui, celui qui défend les enseignements du Christ tels que l’Église catholique romaine les interprète entre en conflit avec ce principe d’égalité. Comme je l’ai dit, nous nous préoccupons quotidiennement de l’application de ce principe.

La religion va aussi à l’encontre d’un autre principe de la Charte que vous connaissez aussi bien que moi — nous en avons débattu il y a quelques années —, soit l’article 15 de celle-ci. Nous sommes tous égaux devant la loi et la loi nous procure tous les mêmes protections. Le mariage civil existe et l’homosexualité n’est pas une maladie mentale.

Or, selon la modification apportée au catéchisme en 1986, c’est-à- dire pendant le pontificat de Jean-Paul II, l’homosexualité est objectivement un trouble mental. Si vous êtes homosexuel, vous être nécessairement un citoyen de seconde ordre, puisque vous souffrez d’un trouble mental objectif.

Je ne vous apprendrai rien en disant que, chez nous, les gais peuvent faire carrière dans la fonction publique. Il y a des gais au gouvernement, dans la police, dans les diverses institutions du pays, dans l’armée. Fort heureusement, les Canadiens homosexuels peuvent être fiers de ce qu’ils sont et ils peuvent se marier. Or, selon l’Église, on bafouerait ainsi le principe voulant que le mariage peut seulement être l’union d’un homme et d’une femme et n’avoir d’autre but que la procréation. Impossible de dissocier procréation et mariage. Les mariages gais ne sont donc pas des mariages, puisqu’il ne peut y avoir de procréation. Voilà pourquoi la procréation assistée, que nous avons adoptée et avalisée il y a déjà 10 ans, a été interdite par l’Église. Même chose pour l’usage de condoms par un couple marié — homme et femme —, puisque la procréation devient alors impossible. C’est ce qui résume la doctrine ayant actuellement cours dans l’Église et qui a été validée par le pape Jean-Paul II.

C’est ce qui nous amène à l’euthanasie. Le Sénat est actuellement saisi d’un projet de loi parrainé par la sénatrice Nancy Ruth, avec l’appui du sénateur Campbell, qui porte sur l’aide médicale à mourir. Sauf que, selon la doctrine de l’Église catholique romaine, tout le monde doit souffrir comme le Christ sur la croix. Il s’agit d’un précepte inviolable. Eh bien, ce précepte va à l’encontre du projet de loi dont nous discuterons au cours des prochains mois.

Honorables sénateurs, il y a d’autres éléments que je voulais porter à votre attention, mais, compte tenu de ces arguments, je propose l’amendement suivant.

Motion d’amendement

L’honorable Serge Joyal : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose :

Que le projet de loi C-266 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit lu une troisième fois dans six mois à compter de ce jour.

Des voix : Bravo!

 

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