Déclaration faite le 24 février 2009 par la sénatrice Claudette Tardif
L'honorable Claudette Tardif (leader adjoint de l'opposition) :
Honorables sénateurs, je tiens aujourd'hui à participer à ce débat sur le discours du Trône et le budget de 2009.
La population canadienne se tourne vers nous afin de l'aider à tempérer cette période tumultueuse de grande incertitude. Nous faisons face à de véritables problèmes économiques dont plusieurs, entre autres, ont été créés par le gouvernement.
J'ai plusieurs inquiétudes quant à la direction future de la politique publique canadienne telle que présentée par le gouvernement. Malheureusement, une limite de temps m'oblige à n'indiquer que quelques-unes de mes préoccupations.
Je vais commencer par une question qui me touche personnellement, c'est-à-dire l'éducation. Lors de la dernière législature, nous avons vu plusieurs enquêtes, ici même, sur la situation de l'éducation postsecondaire au Canada. Nous sommes tous conscients des contraintes financières que subit le secteur de l'éducation postsecondaire dans notre pays.
Le Conseil des ministres de l'Éducation, qui réunit les ministres de l'Éducation de toutes les provinces et tous les territoires du Canada, a déclaré, en mars 2007, que l'éducation postsecondaire se trouve à un point tournant. Nous connaissons tous les chiffres sur l'alourdissement de la dette que les étudiants doivent contracter pour faire des études postsecondaires. En effet, le sénateur Goldstein en a parlé avec éloquence le 5 février lorsqu'il a proposé la deuxième lecture de ce projet de loi afin d'aider les étudiants pour qui ce fardeau devient écrasant.
Nous ne connaissons pas encore tous les effets de la crise économique sur nos établissements d'enseignement postsecondaire. Personne ne dit que la crise est terminée ou que le pire est passé. Toutefois, plusieurs choses se sont déjà confirmées.
Les fonds de dotation des universités canadiennes ont perdu des centaines de millions de dollars en raison de l'effondrement des marchés boursiers. Ces pertes sont aggravées par la réticence des donateurs, qui ont eux-mêmes essuyé des pertes, à verser des fonds. Par exemple, l'Université de l'Alberta — mon alma mater — a dû augmenter ses frais de scolarité de 4,1 p. 100 et le loyer des résidences de 8 p. 100, cette année, parce que les caisses de sa fondation et ses comptes rapportant des intérêts ont subi les contrecoups de la situation économique. Ces dernières augmentations, malheureusement, s'ajoutent à des factures et à des loyers de résidence qui ont augmenté de près de 30 p. 100 au cours des trois dernières années.
Ces pertes dévastatrices dans les fonds de dotation pourraient fort bien se traduire par des réductions de l'aide aux étudiants, des bourses et du financement des programmes, laissant les étudiants aux prises avec l'obligation de payer davantage pour leur éducation et leur subsistance, tout en bénéficiant d'une aide réduite.
Comment les étudiants pourront-ils se payer une éducation postsecondaire essentielle alors que les bourses et les prêts aux étudiants fondent à vue d'œil? Le budget manque d'envergure par rapport aux prêts et aux dettes des étudiants et aux emplois pour étudiants. Selon les statistiques de l'Association des universités et collèges du Canada, le secteur universitaire est une entreprise de 26 milliards de dollars au Canada, en très forte hausse de 16 milliards en 2001.
Les universités servent plus de 1,5 million d'étudiants à temps plein, temps partiel et en formation continue et emploient plus de 150 000 personnes dans le corps professoral et des emplois de soutien.
Selon l'Association des universités et collèges du Canada :
Le milieu universitaire est plus important que les industries des pâtes et papiers et d'extraction de pétrole et de gaz, que le secteur des services d'utilité publique et des industries des arts, du divertissement et des loisirs, de même que certains secteurs de premier plan de l'industrie de la fabrication, à savoir ceux de l'aérospatiale, de l'automobile [...] et des produits du plastique.
Honorables sénateurs, plus d'un tiers de la recherche menée au Canada se fait dans les universités canadiennes. Autrement dit, il s'agit d'un secteur crucial et fondamental pour l'édification du Canada que nous voulons, un pays qui joue un rôle de premier plan dans le monde au chapitre de l'innovation, de la créativité et de la productivité.
Permettez-moi de citer une personnalité bien connue, particulièrement des sénateurs d'en face. Preston Manning a dit récemment qu'on doit rappeler au gouvernement que l'éducation postsecondaire est encore plus importante en période de crise économique. Dans une allocution prononcée à l'occasion de la cérémonie automnale de remise des diplômes à l'Université de l'Alberta l'automne dernier, il a dit ceci :
C'est le premier ministre Aberhart, alors ministre de l'Éducation, qui a défendu farouchement l'éducation supérieure. Il était, comme il le disait lui-même, « prêt à tout ». Il a menacé de dissoudre l'assemblée législative si les crédits prévus pour l'éducation supérieure n'étaient pas approuvés, soutenant qu'une population mieux éduquée était essentielle à la reprise économique et à la prospérité future et qu'on ne saurait laisser tomber l'éducation sous prétexte que les temps sont difficiles.
Pourtant, honorables sénateurs, l'éducation postsecondaire n'est mentionnée nulle part dans le discours du Trône. C'est peut-être en raison de la brièveté du discours. Quoi qu'il en soit, elle n'était pas mentionnée non plus dans le discours du Trône de la session précédente.
L'injection de 2 milliards de dollars dans les dépenses d'infrastructure des universités et des collèges mérite des éloges, certes, mais ces fonds ne touchent que la brique et le ciment, ils ne permettent pas d'élargir l'accès à l'éducation postsecondaire pas plus qu'ils ne permettent de réduire l'endettement étudiant.
Le budget ne prévoit aucune augmentation du financement des trois grands conseils de recherche : le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie, les Instituts de recherche en santé du Canada et le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. On y fait de la recherche et développement à la fine pointe.
À moins que nous n'investissions suffisamment et immédiatement dans la recherche et le développement, nous perdrons notre compétitivité sur la scène mondiale et notre secteur de la recherche et du développement sera aussi paralysé que notre économie l'est maintenant.
Les deux principales sources de subventions fédérales du laboratoire de recherche atmosphérique au Nunavut, PEARL sont en train de se tarir malgré le fait que le gouvernement se vante de son engagement à l'égard des sciences de l'Arctique. La subvention annuelle de 200 000 $ que reçoit le laboratoire sous forme de fonds d'exploitation du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada prendra fin le 31 mars. Le laboratoire recevra aussi le versement final d'une subvention de 5,5 millions de dollars sur cinq ans de la Fondation canadienne pour les sciences du climat et de l'atmosphère. Cette subvention n'a pas été renouvelée.
Le gouvernement a annoncé une subvention de 85 millions de dollars qui permettra d'entretenir et de moderniser les stations de recherche existantes dans l'Arctique. Cependant, cet argent ne pourra servir à payer les coûts de fonctionnement ou les recherches scientifiques. À quoi pourrait bien servir un laboratoire rénové sans aucun moyen de financement des recherches, de l'électricité, des expériences scientifiques et des communications, éléments essentiels au fonctionnement de tout laboratoire?
Honorables sénateurs, le même principe s'applique à l'Initiative de recherche sur la sécheresse, un projet financé par la Fondation canadienne pour les sciences du climat et de l'atmosphère, dont le but est la préparation en vue de la prochaine crise de l'eau au Canada. La dernière sécheresse, de 1999 à 2004, a coûté quelque 6 milliards de dollars — pas des millions — et 41 000 emplois. Sommes-nous disposés à dépenser des milliards de dollars pour la prochaine crise de l'eau, alors que celle-ci pourrait être empêchée grâce à des projets aussi peu coûteux que l'Initiative de recherche sur la sécheresse?
L'Association canadienne des professeures et professeurs d'université nous a avertis récemment que la « la recherche scientifique au pays [...] se détériore du fait d'être sous-financée et que le gouvernement cherche à l'orienter ». Dans le budget de 2009, le gouvernement a effectivement imposé une condition à l'augmentation du financement temporaire pour les études supérieures dans les domaines des arts et des sciences sociales. Bien que le CRSNG, le volet scientifique, et les IRSC, le volet de la santé, reçoivent environ 80 p. 100 de ces fonds temporaires, le CRSH, principal organe de financement des études supérieures en arts, sciences humaines et sciences sociales, reçoit le reste, soit un maigre 20 p. 100. Cela pourrait toujours s'expliquer par le coût plus élevé de la recherche en sciences et en santé. Cependant le financement additionnel du CRSH ne devra être utilisé que dans le cadre des diplômes dans le domaine des affaires, une directive très inhabituelle de la part d'un gouvernement.
Honorables sénateurs, les temps sont durs pour nos chercheurs et nos diplômés, qui ne reçoivent pas le financement nécessaire. Comme je l'ai dit l'an dernier dans le cadre d'une interpellation sur l'enseignement postsecondaire, nous sommes en plein cœur de ce que l'économiste Richard Florida appelle « l'ère de la créativité « — une époque où le savoir non seulement règne en maître, mais où il est aussi l'ultime richesse.
Honorables sénateurs, j'aimerais répéter que le bien-être social et économique du Canada repose sur notre capacité de transformer les idées en connaissances, en technologies et en innovations. Le fait de négliger les institutions qui favorisent et qui donnent naissance à ces idées — soit les universités, les collèges, les centres de recherche et les laboratoires — est une invitation au désastre.
Comme le savent peut-être déjà les honorables sénateurs, un autre dossier qui me tient beaucoup à cœur est celui des langues officielles, de la dualité linguistique et des communautés de langue officielle en situation minoritaire. La question des langues officielles n'a pas été abordée dans les deux derniers discours du Trône. Le discours du Trône ouvrant la deuxième session de la 40e législature ne faisait aucunement mention d'un plan visant à soutenir les langues officielles du Canada, à leur fournir les ressources nécessaires et à les faire progresser. Il est clair que ce gouvernement fait preuve d'un manque flagrant de leadership dans la défense et la promotion des langues officielles.
Honorables sénateurs, comme plusieurs sénateurs, je défends avec passion notre engagement à l'égard des langues officielles du Canada. Je suis navrée de dire cependant que notre engagement ne semble pas être appareillé à celui du gouvernement. Lors de notre dernière session, le discours éloquent de ma collègue, l'honorable Maria Chaput, a notamment fait part des besoins des communautés francophones en milieu minoritaire et de la responsabilité du gouvernement de les respecter et de s'engager envers elles.
Certains collègues reconnaîtront la déclaration extraordinaire de notre commissaire aux langues officielles en mai dernier, lors du lancement du rapport annuel du 29 mai 2008, et je cite :
Le gouvernement continue d'appuyer en principe la dualité linguistique canadienne, mais cet appui ne se manifeste pas pour une vision d'ensemble à l'égard des politiques gouvernementales et de la fonction publique.
Ce manque de leadership cause un plafonnement et, à certains égards, une dégradation de l'application de la politique des langues officielles. Cette année encore, j'ai constaté très peu de progrès dans plusieurs domaines d'activités. Une vision claire et un leadership ferme sont nécessaires si l'on veut permettre aux institutions fédérales de relever certains défis en matière de langues officielles.
Quant au budget, il passe complètement sous silence la Feuille de route pour la dualité linguistique. Malgré le fait qu'un financement de 1,1 milliard de dollars sur cinq ans avait été annoncé en juin 2008, lors du dévoilement de la Feuille de route, aucun montant n'a encore été distribué pour assurer le développement des communautés linguistiques en situation minoritaire. La mise en œuvre de la Feuille de route, l'application de la partie VII de la Loi sur les langues officielles et la promotion des communautés linguistiques demeurent regrettablement dans le domaine de l'abstrait.
Nous ne devrions peut-être pas être étonnés, compte tenu de la façon dont le gouvernement traite d'autres secteurs de la société. Dans le budget, le ministre Flaherty annonce que le gouvernement entend s'attaquer au « processus long et coûteux » auquel donne lieu l'actuel régime en matière d'équité salariale qui est axé sur les plaintes et la confrontation. L'objectif du gouvernement est d'attribuer « conjointement à l'employeur et aux agents négociateurs la responsabilité de négocier des salaires qui soient justes et équitables pour l'ensemble des employés ».
Honorables sénateurs, la question de l'équité salariale invite les citoyens à dénoncer la discrimination salariale et à exprimer leur opinion. En attribuant à l'employé la responsabilité de négocier des salaries justes et équitables, le gouvernement ferme les yeux sur le fait que plus de la moitié de la population n'a pas appris à négocier son salaire, qu'elle ne sait même pas que cette possibilité existe et qu'elle craint peut-être d'aborder la question salariale de peur de perdre son emploi.
Son Honneur le Président : Madame le sénateur a épuisé son temps de parole.
Le sénateur Tardif : Je demande la permission de poursuivre encore cinq minutes.
Le sénateur Comeau : Oui.
Des voix : D'accord.
Le sénateur Tardif : Le fait d'imputer la responsabilité à l'employé ne protège en rien son droit à un salaire juste et équitable.
L'assurance-emploi est un autre élément important du budget qui suscite énormément de controverse. Comme le sénateur Mitchell nous l'a rappelé pendant la période des questions il y a quelques semaines, les femmes qui perdent leur emploi au Canada ont environ deux fois moins de chance de toucher des prestations régulières d'assurance-emploi que les hommes dans la même situation. La comparaison est particulièrement frappante dans le cas des femmes monoparentales.
Honorables sénateurs, je trouve extrêmement regrettable et scandaleux que le gouvernement n'ait pas profité du nouveau budget pour élargir les critères d'admissibilité à l'assurance-emploi, pour aider les femmes dans leurs démarches auprès de l'assurance- emploi et pour proposer à plus de la moitié de la population une formule souple pour toucher des prestations. Le travail et le salaire des femmes constituent non seulement la pierre d'assise de notre économie, mais ils sont également de plus en plus souvent le gagne- pain des familles canadiennes. Aujourd'hui, il faut prendre très au sérieux le chômage des femmes et non considérer qu'il s'agit d'une question concernant des citoyens de seconde catégorie, comme on le constate dans le dernier budget.
Le discours du Trône s'est également démarqué par son silence sur la garde des enfants. Tous ceux qui sont parents savent que si un parent travaille, il doit avoir accès à un service de garde d'enfants abordable et de qualité. Un sondage récent d'Environics montre que 83 p. 100 des Canadiens croient que les gouvernements ont un rôle important à jouer pour soutenir les parents dans leurs besoins parentaux de garde d'enfants. Le même sondage montre que le manque d'accessibilité à des services de garde abordables est un thème important pour 77 p. 100 des Canadiens.
Le discours du Trône est muet sur ce sujet, un mutisme résonnant comme la piètre proposition du gouvernement, à la dernière session, de bonifier la Prestation universelle pour la garde d'enfants, une aide financière certes bienvenue mais qui ne remplace pas une véritable garde d'enfants.
Honorables sénateurs, les Canadiens ont de grands défis à relever. Ils s'attendent à ce que leur gouvernement propose un plan honnête, sérieux et réfléchi pour guider le pays à travers la tourmente. Nous avons besoin de leadership, d'innovation, de vision. Nos compatriotes canadiens ne méritent rien de moins.