Déclaration faite le 26 novembre 2009 par la sénatrice Claudette Tardif
L'honorable Claudette Tardif (leader adjoint de l'opposition) :
Honorable sénateurs, la valeur de la recherche scientifique, et, par conséquent, de l'éducation postsecondaire, est d'une très grande importance pour les Canadiens. Un récent sondage effectué par la firme Ipsos-Reid estime que 78 p. 100 des Canadiens croient que l'éducation postsecondaire est nécessaire pour avancer dans le monde du travail.
Selon l'Association des universités et collèges du Canada :
[...] former une main-d'œuvre hautement scolarisée et qualifiée et stimuler la capacité des Canadiens de créer, d'innover et d'inventer constituent les meilleurs moyens d'assurer la productivité, la croissance économique et la prospérité à long terme.
Honorables collègues, cela dépend en grande partie des investissements en recherche scientifique.
Les recherches entreprises par nos chercheurs canadiens ont un effet positif sur le bien-être de nos communautés. En prenant un moment pour réfléchir aux exploits scientifiques canadiens, nous constatons que nous avons de quoi être très fiers. Où serions-nous si Banting et Best n'avaient pas découvert l'insuline; si les recherches du Dr Tak Wah Mak, de l'Université de Toronto, n'avaient pas mené à une meilleure compréhension de notre système immunitaire; ou encore si John Alexander Hopps, reconnu à l'échelle internationale comme l'inventeur du premier stimulateur cardiaque et le « père du génie biomédical canadien », n'avait pu entreprendre ses recherches? Le pays dans lequel nous vivons ne serait pas le même. Effectivement, le monde tel que nous le connaissons serait vraisemblablement différent.
C'est par l'entremise de la recherche scientifique que nous pouvons aider les Canadiens et les Canadiennes. Honorables sénateurs, c'est pour ces raisons que je prends la parole aujourd'hui au sujet de l'interpellation de mon collègue, le sénateur Cowan, attirant l'attention du Sénat sur l'importance cruciale de la recherche scientifique pour l'avenir du Canada ainsi que pour le bien-être des Canadiens et des Canadiennes.
Comme mon collègue, le sénateur Cowan, l'a indiqué, dans son interpellation du 31 mars, la question fondamentale est la suivante : « Quelle est notre vision du Canada pour le XXIe siècle? [...] Voulons-nous être une nation qui repousse les limites de la connaissance et où on encourage les Canadiens à voir grand et à imaginer de nouvelles solutions? » Si c'est le cas, nous devons investir massivement dans le système d'éducation postsecondaire, dans l'innovation et dans la recherche scientifique.
J'aimerais être en mesure de vous dire que tout va bien dans le monde de la recherche scientifique. Malheureusement, mes rencontres avec plusieurs chercheurs me laissent croire que cela n'est pas le cas. Le montant accordé au financement de la recherche scientifique au Canada ne correspond pas aux besoins des chercheurs.
À un moment crucial de notre histoire où l'économie requiert des investissements de milliards de dollars, ce gouvernement que se dit à l'écoute des Canadiens et des Canadiennes ne semble pas être à l'écoute des préoccupations de nos scientifiques.
Les États-Unis surpassent le Canada pour ce qui est du financement de la recherche générale. Selon le Dr John Hylton, le Canada consacre « 1,9 p. 100 de son PIB au financement des sciences ». Par contraste, le président Obama a annoncé en 2009 que, sous son administration, les États-Unis allaient « consacrer plus de 3 p. 100 de leur PIB à la recherche et au développement ». Il faisait allusion au PIB actuel du pays. Le président Obama semble concilier les objectifs de financement de la recherche scientifique des États-Unis avec ceux de l'Union européenne, dans le cadre de ce qu'on appelle « l'objectif de Lisbonne », c'est-à-dire l'objectif qui consiste à faire en sorte que les dépenses de R-D représentent 3 p. 100 du PIB.
Quelles répercussions aura un financement insuffisant sur la recherche scientifique au Canada? Honorables sénateurs, cette situation va décourager la recherche scientifique et empêcher notre pays de prendre sa place parmi les leaders scientifiques du monde. Sans un financement approprié, la capacité de recherche et d'innovation du Canada va continuer de perdre du terrain face aux autres pays. Selon l'OCDE, « En 1995, les dépenses totales du Canada et de la Chine liées à la R-D étaient pratiquement au même niveau, et le Canada investissait plus que le double dans la recherche universitaire. En 2007, les dépenses totales engagées par la Chine étaient plus de quatre fois supérieures à celles du Canada, et ce pays avait surpassé le Canada au niveau de la recherche universitaire. »
En se fondant sur une étude récente de Thompson Reteurs, l'Association des universités et collèges du Canada estime que, d'ici l'année 2020, la productivité en recherche de l'Inde aura dépassé celle des pays du G8. L'association ajoute que « cette année, le gouvernement de l'Inde a accru de 40 p. 100 son budget pour l'éducation supérieure ». Si le Canada veut être un leader dans la recherche scientifique, il doit agir maintenant.
Dans le cadre des recherches que j'ai faites aux fins de mon interpellation, j'ai eu le privilège de rencontrer plusieurs chercheurs établis ainsi que de nouveaux chercheurs dans le domaine de la recherche médicale à l'Université de l'Alberta. Notre rencontre avait pour but de discuter de la situation du financement de la recherche au Canada, et plus particulièrement du financement de la recherche médicale et scientifique. Ces chercheurs étaient très préoccupés par la situation actuelle du financement de la recherche.
Ils m'ont dit que la structure permettant de créer un secteur R-D dynamique et important au Canada existe actuellement. Toutefois, sans un financement et un soutien appropriés, ce cadre ne peut donner son plein rendement.
Le soutien insuffisant à la recherche scientifique a un impact négatif sur nos jeunes chercheurs, qui sont tentés de poursuivre leurs études et leurs recherches dans d'autres pays où le financement est plus généreux. À cause du financement insuffisant accordé à nos chercheurs scientifiques, il nous sera difficile de garder les meilleurs d'entre eux. Encore une fois, ceux-ci vont préférer poursuivre leurs recherches dans un pays où il leur sera plus facile d'obtenir un financement pour leurs travaux.
Au sujet des étudiants des cycles supérieurs, Arvind Gupta note ce qui suit, dans un récent article du Hill Times :
[...] l'absence d'investissements industriels dans la R-D restreint les possibilités des étudiants de cycles supérieurs qui veulent rester au Canada. C'est le problème classique de la poule et de l'œuf. La réduction des emplois en R-D signifie que les étudiants ne sont pas incités à poursuivre leurs études supérieures. Ceux qui persévèrent quittent trop souvent le pays à la recherche de meilleures possibilités d'avenir.
L'insuffisance de fonds ne touche pas seulement les jeunes chercheurs, mais aussi les étudiants étrangers qui décident d'effectuer leurs études dans notre pays. Dans un communiqué de presse publié le 28 octobre 2009, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international a estimé que les contributions économiques des étudiants étrangers au Canada étaient de l'ordre de 6,5 milliards de dollars. L'Association des universités et collèges du Canada note que les étudiants qui restent au Canada aident à combler nos besoins en diplômés qualifiés pour améliorer notre performance économique et répondre à la crise démographique imminente. Ces étudiants contribuent énormément à notre communauté de recherche scientifique, et nous devrions faire tout en notre pouvoir pour attirer un plus grand nombre d'entre eux.
L'insuffisance de fonds a également des répercussions sur notre performance à l'échelle mondiale en ce qui a trait au nombre d'universitaires et de chercheurs formés au Canada. En effet, d'après un récent article publié dans The Gateway, le journal étudiant officiel de l'Université de l'Alberta, le Canada forme moins de titulaires de doctorat par habitant que presque tous ses partenaires de l'OCDE. En effet, le Conseil canadien sur l'apprentissage note, dans son rapport de 2008-2009, que le « Canada s'est classé 20e sur 30 pays de l'OCDE pour la proportion des diplômes décernés en sciences et en génie par rapport au nombre total de diplômes.. Le Canada s'est également classé vingtième en ce qui a trait à la proportion de doctorats décernés en sciences et en génie. »
Dans son budget de 2009, le gouvernement a accordé une priorité au financement d'infrastructure physique dans nos institutions postsecondaires. Au cours des derniers mois, le ministre d'État aux Sciences et à la Technologie a multiplié les communiqués de presse portant sur les investissements dans les départements universitaires à vocation scientifique et technologique.
Même si ce gouvernement a misé sur des investissements consacrés à l'infrastructure du savoir dans le budget de 2009, afin de construire de nouveaux laboratoires, et dans la rénovation d'installations de recherche, il n'y a pas de fonds suffisants pour payer le personnel nécessaire pour effectuer des travaux de recherche dans ces laboratoires.
Comme le sénateur Cowan l'a noté : « En tant que décideurs, notre tâche consiste à ériger et à maintenir une base solide qui permettra l'épanouissement de ces recherches. Cela requiert une infrastructure physique moderne, ainsi qu'un financement pour les recherches elles-mêmes. Il est illogique de construire des laboratoires ultramodernes si on n'assure pas le financement des recherches qui s'y dérouleront. »
Nous retrouvons le même problème aux trois grands conseils de recherche. Il y a quelques semaines, le leader du gouvernement au Sénat nous informait que son gouvernement avait augmenté le nombre de bourses offertes aux étudiants. Selon la Fédération canadienne des étudiants et étudiantes, le budget de 2009 a coupé 148 millions de dollars des trois grands conseils de recherche. Selon un chercheur de l'Université de l'Alberta, les chercheurs se retrouvent dans un cercle vicieux, puisque grâce aux augmentations des bourses, plus d'étudiants font maintenant demande pour des postes en recherche, mais puisque le gouvernement a aussi coupé dans le financement des conseils de recherche, les chercheurs n'ont pas les fonds nécessaires pour poursuivre leurs travaux.
Comme l'a dit un des chercheurs de l'Université de l'Alberta à qui j'ai parlé :
[...] il semble qu'il [...]
— le gouvernement —
[...] ait adopté l'approche consistant à déshabiller Pierre pour habiller Paul.
Il fait remarquer que :
[...] les bourses d'études pour les programmes de la FCI, la Fondation canadienne pour l'innovation, ont été financées en « rationalisant » les budgets du CRSNG (Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie), des IRSC (Instituts de recherche en santé du Canada) et du CRSH (Conseil de recherches en sciences humaines).
Comparé à nos collègues aux États-Unis et en Europe de l'Ouest, le financement de ces organismes est déjà trop faible. Pour les IRSC, du moins, le taux de succès des demandes effectuées dans le cadre du Programme de subventions ouvertes est en deçà de 22 p. 100.
Il était auparavant de 30 p. 100. Cela signifie que de 8 à 10 p. 100 des candidats, au demeurant très méritants, n'obtiennent aucun financement pour leur programme de recherche.
Ce n'est pas viable à long terme et cela entraînera une diminution de la qualité de la recherche. Si on sabre dans les budgets de base du CRSNG, des IRSC et du CRSH, les étudiants boursiers auront moins d'argent pour effectuer leurs projets de recherche. De surcroît, une bonne part du matériel et des autres infrastructures financés par la FCI resteront inutilisés à cause du manque de fonds opérationnels nécessaires pour effectuer les expériences.
Voilà ce qu'ont à dire les chercheurs qui effectuent en ce moment des projets. Voilà pourquoi, dans le mémoire qu'elle a soumis au ministre des Finances, James Flaherty, lors des consultations prébudgétaires, l'Association des universités et collèges du Canada, l'AUCC, a fait la recommandation suivante :
[...] augmenter nettement les investissements dans la recherche universitaire par l'entremise des trois organismes fédéraux subventionnant la recherche. Ceux-ci devraient être augmentés de 400 millions de dollars cette année et l'année prochaine, et de 228 millions de dollars, 249 millions de dollars et 270 millions de dollars les trois années suivantes [...]
De plus, le gouvernement semble se concentrer davantage sur le financement des programmes liés aux affaires et à la gestion qu'à tout autre programme d'études universitaires.
Honorables sénateurs, pourriez-vous m'accorder cinq minutes de plus?
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, êtes-vous d'accord pour qu'on alloue cinq minutes de plus au sénateur Tardif?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Tardif : Du moins, c'est ce que souligne un message de la présidente de la Fédération canadienne des sciences humaines en date du 28 janvier 2009.
Dans un article publié le 2 mars dans le Globe and Mail, on cite Andrew Weaver, qui a déclaré que les gouvernements ont toujours eu leur mot à dire dans la recherche, mais qu'il s'agit ici de microgestion. Il ajoute que, dorénavant, le gouvernement sabre dans le système de financement de la recherche fondamentale et précise ce que les chercheurs peuvent faire. Le gouvernement semble établir de plus en plus l'orientation de la recherche au pays.
La façon dont les fonds destinés à la recherche sont attribués constitue un autre problème en matière de financement de la recherche scientifique au Canada. En fait, le gouvernement devrait s'inspirer de l'approche adoptée par les autres pays du G8, plus particulièrement de la façon dont ces pays gèrent les coûts indirects liés au financement de la recherche.
Par exemple, au Royaume-Uni et dans l'Union européenne, ces coûts sont assumés dans une proportion de 40 à 60 p. 100 par le gouvernement national. Plus près de chez nous, notre voisin du Sud semble adhérer à l'approche européenne.
Selon l'Association des bibliothèques de recherche du Canada :
[...] aux États-Unis, on estime que les coûts indirects au titre du soutien équivalent à une proportion variant entre 40 et 70 p. 100 de la valeur des coûts directs associés au financement de la recherche.
Les investissements canadiens dans le financement indirect de la recherche sont honteusement faibles comparativement à ce qu'ils sont aux États-Unis. C'est en partie pour cette raison que l'Association des bibliothèques de recherche du Canada recommande :
[...] que le gouvernement fédéral augmente les fonds destinés à assumer les coûts indirects liés à la recherche, les faisant passer de 23,3 à 40 p. 100 du financement direct de la recherche.
Si le gouvernement décidait de mettre en œuvre cette recommandation, la situation de la recherche scientifique au Canada serait grandement améliorée.
Les investissements faits dans les bibliothèques de recherche spécialisée, comme l'Institut canadien de l'information scientifique et technique, constituent un autre exemple du financement indirect de la recherche. Relevant du Conseil national de recherches du Canada, cet institut permet aux scientifiques et aux chercheurs médicaux du pays d'avoir accès à des renseignements à jour. L'institut est reconnu à l'échelle nationale comme étant une bibliothèque de dernier recours pour obtenir des données de recherche scientifique de grande qualité. Malheureusement, les compressions proposées à cet important pilier de la science mettent en péril le rôle qu'il joue dans la recherche scientifique.
Le gouvernement savait fort bien que ces coupes auraient eu un effet négatif sur la recherche au Canada. En mars 2009, Leslie Weir, qui présidait alors l'Association des bibliothèques de recherche du Canada, a écrit ce qui suit au premier ministre au sujet de l'Institut canadien de l'information scientifique et technique du Conseil national de recherches du Canada :
[L'Institut] s'attend à une réduction de 50 p. 100 de son budget actuel, avec des coupes supplémentaires de 20 p. 100 dans les programmes de recouvrement des coûts.
M. Weir se portait à la défense de l'ICIST, une bibliothèque de recherche spécialisée qui joue le rôle de bibliothèque scientifique nationale depuis 50 ans. Le président de l'Association des bibliothèques de recherche du Canada a également indiqué que les compressions budgétaires auraient des conséquences graves sur sa capacité d'appuyer les chercheurs canadiens.
Le plus alarmant, c'est que M. Weir nous mettait en garde contre la possibilité que le Canada devienne une sorte de succursale scientifique et technologique des États-Unis et de l'Europe à cause de la faiblesse de l'investissement dans la recherche.
Le terme « succursale » est venu pour la première fois aux oreilles des chercheurs canadiens il y a 40 ans. Comme l'a expliqué Heather Munroe-Blum, principale et vice-chancelière de l'Université McGill, ce terme définit :
[...] une situation économique dans laquelle le Canada fournissait les matières premières que des industries de partout dans le monde pouvaient utiliser à leur avantage [...]
— mais dans laquelle —
[...] la recherche et le développement — les travaux de pointe — se faisaient plus près du « siège social », habituellement dans un autre pays.
Sans financement approprié de la recherche, le Canada risque de devenir une succursale.
Pour conclure, honorables sénateurs, la recherche scientifique au Canada est bien plus qu'une question de financement. Nous devons aussi constater un manque de cohésion en ce qui a trait à l'éducation postsecondaire au Canada.
L'ancien conseiller national des sciences, Paul Carty, a déclaré que :
[...] le gouvernement conservateur a investi beaucoup d'argent dans l'infrastructure scientifique, mais son approche globale à la recherche ressemble à un casse-tête.
Le Dr Paul Cappon, président et directeur général du Conseil canadien sur l'apprentissage, confiait récemment au Comité permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie que le problème canadien est l'absence d'une stratégie nationale en matière d'éducation postsecondaire.
Comme je le soulignais il y a quelques mois, « plus d'un tiers de la recherche menée au Canada se fait dans les universités canadiennes. Autrement dit, il s'agit d'un secteur crucial et fondamental pour l'édification du Canada, si nous voulons un pays qui joue un rôle de premier plan dans le monde au chapitre de l'innovation, de la créativité et de la productivité. »