Publié par le sénateur Art Eggleton le 19 mai 2009
Je sais que bon nombre de lecteurs pensent que c’est une utopie en ces temps difficiles, mais je crois justement que non. Je pense que la crise financière nous a tous obligés à faire le point et à prendre les décisions que nous reportions depuis trop longtemps sur notre avenir.
Cela vaut pour les particuliers et pour les familles, alors que nous revoyons les budgets de nos ménages. Cela vaut pour les gouvernements, qui doivent prendre des décisions au sujet de l’économie. Et cela vaut pour les choix que nous faisons en tant que collectivité, pour décider du genre de société que nous voulons.
Je crois même que c’est le moment idéal pour présenter les faits au sujet de la pauvreté et de l’itinérance dans notre pays. Pour que nous nous disions, en tant que Canadiens, que nous pouvons bâtir un pays plus juste et plus équitable. Le temps est venu de régler une fois pour toutes le problème de la pauvreté dans notre pays.
Le problème ne date pas d’hier. Déjà, en 1970, un comité spécial du Sénat présidé par le sénateur David Croll se penchait sur la pauvreté au Canada. Le Rapport Croll a fait sortir la pauvreté de l’ombre et a sensibilisé la population à un problème que bon nombre auraient préféré ignorer.
Malheureusement, 39 ans plus tard, le problème de la pauvreté se fait encore sentir partout au pays, et bon nombre de nos concitoyens sont encore aux prises avec les pénuries et les humiliations quotidiennes qu’entraîne la pauvreté.
À l’heure actuelle, un Canadien sur 10 vit dans la pauvreté. Cela veut dire 3,4 millions de personnes, l’équivalent de tous les habitants – hommes, femmes et enfants - de la Nouvelle-Écosse, de Terre-Neuve-et-Labrador, du Nouveau-Brunswick, de l’Île-du-Prince-Édouard et de la Saskatchewan réunis.
Et le plus choquant, c’est que de 800 000 à un million des personnes qui vivent dans la pauvreté sont des enfants – des statistiques des plus déplorables étant donné l’engagement que notre pays a pris en 1989 d’éliminer la pauvreté chez les enfants d’ici l’an 2000. Or, nous n’avons presque rien fait à cet égard, la pauvreté dépassant les 10 p. 100 dans toutes les provinces à l’exception de l’Alberta, du Québec et de l’Île-du-Prince-Édouard.
Ce ne sont pas là simplement des statistiques qui font réfléchir, mais des conclusions accablantes. Les enfants sont une ressource précieuse dont dépend notre avenir, et la mesure dans laquelle nous en prenons soin et contribuons à leur épanouissement sera déterminante pour le développement et la prospérité future de notre pays.
Permettez-moi d’ajouter que la pauvreté n’est pas seulement un problème économique, mais aussi un problème social. Une étude menée à Calgary a révélé que la pauvreté coûte à cette province plus de 8 milliards de dollars par année. En Ontario, l’Ontario Association of Food Banks, en collaboration avec d’importants économistes du Canada, a estimé que la pauvreté coûtait à cette province 38 milliards de dollars par année – soit environ 2 900 $ à chaque foyer ontarien.
Lorsque nous jetons un coup d’œil au coût de la pauvreté dans l’ensemble du Canada, les chiffres sont renversants : l’Ontario Association of Food Banks estime que la pauvreté entraîne des coûts supplémentaires de 7,6 milliards de dollars pour la santé, de 1 à 2 milliards de dollars sur le plan de la criminalité, de 8,6 milliards de dollars à 13 milliards de dollars en perte de recettes fiscales, et de plus de 3 milliards de dollars en coûts dits intergénérationnels résultant du niveau de scolarisation moindre des enfants pauvres.
Ce sont ces aspects et ces coûts qui m’ont amené à proposer que le Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie, que je préside, effectue une étude approfondie des principaux problèmes qui touchent les grandes villes au Canada. Il n’est pas surprenant que le Comité ait décidé de se concentrer tout d’abord sur la pauvreté, le logement et l’itinérance.
Le Comité est de passage cette semaine à Calgary, où il poursuit son étude. La nouvelle stratégie de cette ville pour lutter contre l’itinérance et les mesures prises par la province pour réduire la pauvreté sont fantastiques et porteront sûrement fruit. Ces efforts sont louables et dignes de mention.
Mais les efforts doivent venir de tous, à la grandeur du pays. C’est ce que cherche à faire notre comité : rallier les meilleures idées sur la question pour en arriver à une vision vraiment nationale.
Le sénateur Croll avait vu juste, il y a plus de 30 ans, quand il a déclaré que les bonnes intentions, à elles seules, ne suffisent pas pour alléger le fardeau de la pauvreté. Cessons de trouver des excuses et faisons changer les choses.
Sénateur libéral de Toronto, Art Eggleton est président du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.