Troisième lecture du le projet de loi C-525, Loi modifiant le Code canadien du travail, la Loi sur les relations de travail du Parlement et la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (accréditation et révocation — agent négociateur)
Publié le 15 décembre 2014 Hansard et déclarations par l’hon. James CowanL’honorable James S. Cowan (leader de l’opposition) :
Chers collègues, avant la semaine dernière, je n’avais même pas l’intention de parler du projet de loi. Je suis encore d’avis qu’il s’agit d’une mauvaise mesure législative. Le gouvernement veut absolument affaiblir les syndicats canadiens, et c’en est un autre exemple.
Le comité a entendu des témoignages convaincants et indépendants selon lesquels les motifs invoqués pour présenter ce projet de loi sont tous simplement fallacieux. Nous sommes encore une fois saisis d’un projet de loi qui se veut une solution à un problème qui n’existe pas et, encore une fois, des témoins ont dit que la solution pourrait entraîner de bien plus gros problèmes que ceux qu’elle est censée régler.
J’ai déjà longuement parlé des attaques idéologiques que le gouvernement lance contre ceux qui, à son avis, le critiquent, y compris les syndicats, mais ce n’est pas ce dont je veux vous parler aujourd’hui. C’est plutôt le processus troublant auquel le gouvernement a souvent recours pour faire adopter des projets de loi qui me pousse à prendre la parole ce soir.
La dernière fois que j’ai parlé d’un projet de loi d’initiative parlementaire présenté par un conservateur, c’était il n’y a même pas deux semaines. Cette fois-là, le gouvernement avait utilisé sa majorité dans un comité sénatorial puis ici même afin de faire adopter un projet de loi après avoir empêché les sénateurs d’entendre des témoins qui s’opposaient à la mesure législative ou qui voulaient simplement la remettre en question. Les personnes qui n’étaient pas du même avis que le gouvernement ont été écartées du processus et n’ont pas pu témoigner, et les observations d’au moins l’une d’elles ont même été cachées jusqu’à la fin de nos délibérations.
Pensez-y. On nous a fait voter sur le projet de loi S-219 alors que des points de vue divergents nous avaient été délibérément cachés. C’est inacceptable. Je me suis donc abstenu de voter sur ce projet de loi parce que le gouvernement avait agi de telle sorte qu’il m’avait été impossible de tirer des conclusions sur le bien-fondé du projet de loi.
Une fois de plus, le gouvernement se sert de sa majorité pour faire adopter un projet de loi — et même pas un projet de loi d’initiative ministérielle, car il ne s’agit que d’un autre projet de loi d’initiative parlementaire. Il le fait tout en admettant que le projet de loi contient des erreurs qui, d’après les témoignages entendus par le Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles, créeront des problèmes considérables pour la commission chargée d’appliquer la loi à modifier, soit la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.
Durant son allocution, ma collègue, la sénatrice Fraser, a admirablement bien résumé ces erreurs. En bref, les députés de l’autre endroit ont apporté des amendements à la suite de leur étude au comité. Ils n’ont malheureusement pas remarqué qu’un de leurs amendements entraînerait des conséquences. Le résultat est le suivant : si nous adoptons le projet de loi C-525 dans sa version actuelle, deux articles de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique feront référence à un alinéa de la loi qui n’existe plus.
Dans un langage prudent, des fonctionnaires ont soutenu devant le comité que les répercussions de cet état de choses ne sont pas négligeables. L’un des articles en question traite de la délégation d’un pouvoir de réglementation à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique. La présidente de cette commission a déclaré au comité :
Je crois que le comité doit se préparer à l’éventualité que nous puissions perdre notre pouvoir de réglementation dans ce domaine, si le texte du projet de loi demeure tel quel. La réglementation actuellement en vigueur ne serait plus valide et nous passerions en mode gestion de risque. Que faire dans une telle éventualité?
Selon moi, il est impossible de prédire comment les tribunaux réagiraient.
Donc, le pouvoir de prendre des règlements en bonne et due forme, qui seront probablement adoptés volontairement par le Parlement, après mûre réflexion, n’existera plus. Pire encore, un règlement qui a déjà été pris conformément à ce pouvoir et qui est en vigueur à l’heure actuelle ne serait plus valide.
Cet article et le règlement portent sur le pouvoir du conseil d’accréditer un regroupement d’organisations syndicales à titre d’agent négociateur pour ces organisations. Il y est question de la façon dont le conseil détermine si chacune des organisations syndicales formant le regroupement a donné à celui-ci l’autorité suffisante pour lui permettre de remplir ses fonctions. Il s’agit de l’un des éléments essentiels qui doivent être établis avant que le conseil accrédite le regroupement. Donc, chers collègues, cette erreur aura des répercussions sur les travailleurs fédéraux, qui auront de la difficulté à devenir accrédités à titre d’agent négociateur.
Ce n’était pas l’objectif du projet de loi C-525. Aucun membre du Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles et aucun membre du comité de l’autre endroit n’a entendu de témoignages exposant le bien-fondé de cette approche, car elle n’était pas censée faire partie du projet de loi C-525. C’était une erreur, une erreur de rédaction.
Par ailleurs, le problème soulevé en ce qui concerne le deuxième article est encore plus grave. Je parle du paragraphe 100(1) de la loi, qui prévoit que le Parlement exige que le conseil révoque l’accréditation d’un regroupement qui a été accrédité à titre d’agent négociateur si le conseil est convaincu que le regroupement ne respecte plus les critères d’accréditation énoncés à l’alinéa 64(1)c) de la loi. Comme nous l’avons entendu, le problème, c’est que si nous adoptons le projet de loi C-525 dans sa forme actuelle, il n’y aura pas d’alinéa 64(1)c). Cet alinéa deviendra l’alinéa 64(1.1)c).
On a interrogé la présidente de la commission au sujet des conséquences de cette situation; voici sa réponse :
L’examen de ce paragraphe révèle qu’il aurait essentiellement le même effet que pour le problème des pouvoirs de réglementation, c’est-à-dire qu’il exigerait le respect de conditions d’accréditation définies dans un alinéa qui n’existerait plus. Bref, ce paragraphe…
— un paragraphe obligatoire et sciemment inséré dans la loi par le Parlement du Canada —
… n’aurait plus vraiment de sens.
Elle a ensuite cité des pouvoirs généraux auxquels la commission pourrait recourir pour compenser la perte de ce pouvoir, puis elle a conclu ainsi :
… mais, au bout du compte, le paragraphe 100(1) n’aurait essentiellement plus de sens.
Donc, honorables sénateurs, une directive obligatoire dans une loi adoptée par le Parlement n’aurait plus de sens. Elle n’aurait plus de sens non pas parce que les parlementaires, que ce soit à l’autre endroit ou ici même, veulent qu’elle n’ait plus de sens — au contraire, personne n’a le moindrement cherché à modifier ce paragraphe —, mais en raison d’une erreur dans le libellé du projet de loi.
La bonne nouvelle, c’est que les sénateurs qui siègent au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles ont fait leur travail. Le sénateur Bellemare a repéré la première erreur, et mes employés ont trouvé la deuxième. Le projet de loi n’est pas encore adopté. Nous avons repéré les erreurs à temps. Nous aurions pu les corriger en apportant deux amendements très simples, qui ont été proposés au comité et, de nouveau, ce soir, par la sénatrice Fraser.
Tout autre gouvernement nous remercierait de notre sens de l’observation et de notre minutie. Ce pourrait être l’exemple par excellence de la contribution du Sénat au processus législatif et de la pertinence de la Chambre de second examen objectif. Nous aurions évité bien des acrobaties à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, qui sera contrainte de trouver comment composer avec la disparition soudaine de ces dispositions et, ce faisant, nous aurions fait économiser le Trésor public. Nous aurions fait en sorte de préserver l’intégrité de la loi et de la modifier strictement dans la mesure où nous entendions le faire.
Malheureusement, il semble que le gouvernement préfère de loin pouvoir dire qu’il a adopté une loi plutôt que de se préoccuper des erreurs qu’elle contient. Évidemment, quand on sait que le gouvernement gaspille des millions de dollars en fonds public pour faire la promotion de programmes qui n’existent pas, il ne faut guère s’étonner qu’il n’hésite pas à en dépenser davantage pour corriger un problème qu’il a lui-même créé, alors qu’il pourrait facilement l’éviter sans dépenser un seul dollar de l’argent des contribuables.
Or, la majorité ministérielle au comité a rejeté ces simples amendements, et c’est également ce qu’a fait ce soir la majorité ministérielle en rejetant l’amendement proposé par la sénatrice Fraser.
Pourquoi? Qu’est-ce qui motive ce geste? Lorsque les amendements ont été proposés au comité, on nous a dit que de ne pas nous soucier de notre travail, puisque les tribunaux allaient le faire pour nous. Lors de l’étude article par article de ces questions, on a cité la jurisprudence ainsi que des extraits de jugements. On a cité en exemple des jugements des tribunaux. Comme un conseiller parlementaire l’a dit au comité, la rectification par les tribunaux de ce qu’on considère comme une erreur est effectuée au motif que le texte rectifié exprimera l’intention de son auteur.
Nous pourrons certainement comprendre nos collègues qui se demandent si, comme dans le livre de Lewis Carroll, ils sont passés de l’autre côté d’un nouveau miroir mystérieux. Cependant, au lieu de nous retrouver au pays des merveilles, comme Alice, nous sommes à Harperland, le monde à l’envers, car le gouvernement, qui a si souvent conspué les tribunaux pour ne pas s’en être tenu aux dispositions clairement énoncées dans les lois adoptées par la majorité conservatrice, appuie maintenant tout son argumentaire sur l’espoir que les tribunaux feront exactement la même chose et entreprendront de récrire une loi adoptée par le Parlement.
Cependant, je ne suis pas sûr que les tribunaux iront dans le sens que souhaitent mes collègues d’en face, ni qu’ils devraient le faire. Le problème, c’est que, contrairement à ce qui s’est passé dans les causes citées, en ce qui concerne le projet de loi C-525 et la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, les tribunaux n’auront pas affaire à des erreurs d’écriture passées inaperçues. Aucun tribunal ne pourrait affirmer qu’il s’agit d’erreurs involontaires. Nous les avons trouvées, nous connaissons leur existence, et si nous adoptons le projet de loi sans amendement, nous le ferons en étant parfaitement conscients que les dispositions en question renverront à des articles inexistants.
Je tiens à ce que ce soit très clair. Un vote contre l’amendement proposé par la sénatrice Fraser signifiait que vous saviez que ces articles perdraient tout leur sens et que c’était votre objectif. Vous espérez qu’un tribunal apportera à la loi un amendement que le Sénat a explicitement rejeté. Quelqu’un connaîtrait-il un précédent à cet égard?
Le rejet de cet amendement entraînera des coûts et un gaspillage de temps, d’argent et d’énergie. La Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique devra trouver une façon de maintenir le règlement et ses pouvoirs en se fondant sur d’autres dispositions, ou encore en faire adopter d’autres. Évidemment, les contribuables devront payer le salaire des membres de la commission pendant qu’ils s’adonneront à cette tâche tout à fait inutile. Et si les dispositions doivent être sauvées par les tribunaux, comme l’espèrent les conservateurs, il faudra un procès. Autrement dit, il faudra qu’une personne dont les droits ont été brimés assume le coût d’une poursuite en justice. Tout cela serait un gaspillage absurde, surtout que le gouvernement aime crier sur les toits qu’il se soucie de l’argent des contribuables.
Les Canadiens commencent peut-être à comprendre ce que veulent vraiment dire la loi et l’ordre sous le gouvernement Harper : le premier ministre donne des ordres, et de mauvaises lois sont adoptées.
Le sénateur Tannas, qui parraine cette mesure ici, a affirmé ce soir qu’il s’agissait d’un projet de loi plein de bon sens. Chers collègues, peut-on vraiment parler de bon sens quand on adopte une mesure dont les faiblesses, bien connues, pourraient facilement être corrigées? Cela ne relève pas du bon sens, mais du non-sens.
Soyons clairs, chers collègues. Cela n’aurait aucun sens, ni pour nous, ni pour les Canadiens. Deux journaux ont déjà parlé de cette absurdité, pour reprendre le terme du sénateur Baker.
Un internaute, Ian Coutts, a publié ce commentaire sur le site de l’Ottawa Citizen :
Apparemment, il n’est pas nécessaire que nos lois soient rédigées de façon à ce que les tribunaux les considèrent valides. Il suffit qu’elles s’appuient sur de bonnes intentions. Dans ce cas, pourquoi ne pas adopter une loi qui dirait simplement « les méchants vont en prison, mais pas les gentils »?
Voici ce qu’écrit June Winger, de Medicine Hat, en Alberta :
Combien a-t-on dépensé, exactement, pour en arriver à ce projet de loi mal ficelé? Les Canadiens méritent mieux que ça!
La dernière citation que je vais vous lire est un passage d’un commentaire publié à la suite de l’article sur le site web du Globe and Mail.
Voilà l’exemple que donne la Chambre haute? Nous savons qu’il y a des erreurs, mais nous l’adopterons quand même. Dommage que l’université ne fonctionnait pas ainsi.
En effet, chers collègues, maintenant que nous avons rejeté les amendements de la sénatrice Fraser, les Canadiens attribueront au Sénat et au gouvernement une note d’échec bien méritée, et pour cause. L’auteur du commentaire publié sur le site web du Globe and Mail ajoute ceci :
Monsieur le gouverneur général, faites votre travail et refusez de ratifier le projet de loi, puisqu’ils admettent qu’il comporte des erreurs.
Voilà une possibilité intéressante.
Chers collègues, nous tenons de nombreux débats en cette enceinte sur le rôle du Sénat, dont plusieurs ont été amorcés dans le cadre d’une série d’interpellations lancées par notre Président. Nombre de discours éloquents ont été prononcés de part et d’autre de la Chambre pour souligner la valeur du travail qui s’effectue ici. L’examen législatif est la première responsabilité du Sénat. C’est la raison pour laquelle nous sommes une Chambre législative — une Chambre de second examen objectif.
Cela a été confirmé — si confirmation était nécessaire — en avril par la plus haute instance judiciaire au pays, la Cour suprême du Canada, dans l’avis rendu au sujet du Renvoi relatif à la réforme du Sénat, effectué par le gouvernement Harper. La cour dit ce qui suit, au paragraphe 15 :
[15] Ainsi, la Chambre haute — appelée Sénat par les auteurs de la Constitution — a été créée sur le modèle de la Chambre des lords britannique, mais adaptée au contexte canadien. Comme au Royaume-Uni, elle a été conçue pour permettre de donner un [traduction] « second regard attentif » (« sober second thought ») aux mesures législatives adoptées par les représentants du peuple à la Chambre des communes.
Des rôles supplémentaires se sont ajoutés (représentation des régions, représentation des minorités, et cetera), mais l’examen législatif était le rôle, et le plus fondamental, que le Sénat devait assumer.
Je reprends les mots mêmes de la Cour suprême :
[…] les nature et rôle fondamentaux du Sénat à titre d’assemblée législative complémentaire chargée de porter un second regard attentif aux projets de loi.
Notre examen des projets de loi s’attire souvent des éloges : pas toujours de la part du gouvernement du jour ou du parrain de la mesure législative — car personne, quelle que soit son orientation politique, n’aime que sa proposition soit modifiée —, mais de la part des Canadiens, qu’il s’agisse de spécialistes ou de gens ordinaires qui suivent nos délibérations. M. David Smith, éminent spécialiste du Sénat et professeur à l’Université de la Saskatchewan, a écrit ceci dans son ouvrage sur le Sénat :
Les bons commentaires à l’endroit de la Chambre haute du Canada portent surtout sur ce qu’elle fait, plutôt que sur les gens au nom desquels elle le fait. Même les critiques les plus sévères du Sénat louent son travail d’examen, d’enquête et de révision des projets de loi.
Bien des sénateurs, d’un côté comme de l’autre, ont déjà cité cette fameuse déclaration de sir John A. Macdonald :
Où serait l’utilité de la Chambre haute, si elle ne devait pas exercer, en temps opportun, son droit d’amender ou modifier la législation de la Chambre d’assemblée? Il ne faut pas que ce soit un simple bureau d’enregistrement des décrets de la Chambre basse, mais au contraire une Chambre indépendante, douée d’une action propre, et ce n’est qu’à ce titre qu’elle pourra modérer et considérer avec calme la législation de l’assemblée et empêcher la maturité de toute loi intempestive ou pernicieuse passée par cette dernière, sans jamais oser s’opposer aux vœux réfléchis et définis des populations.
Je suis convaincu, soit dit en passant, que personne n’oserait même insinuer que les erreurs que nous avons relevées correspondent « aux vœux réfléchis et définis des populations ». Au contraire, je suis persuadé que personne à l’autre endroit ne rejetterait la teneur des amendements dont il est question.
En fait, c’est un exemple parfait de mesure législative malavisée adoptée à la hâte par l’autre endroit. Chers collègues, ma question est donc la suivante : si nous n’apportons pas d’amendements au projet de loi dans de telles circonstances, quand le ferons-nous? Et si nous n’amendons pas le projet de loi, quel genre de Chambre sommes-nous?
J’ai mentionné que deux articles de journaux avaient déjà été publiés à ce sujet. Le premier article, paru dans l’Ottawa Citizen, s’intitule « Les sénateurs sont prêts à adopter un projet de loi sur les syndicats même s’il contient des erreurs de rédaction ». Le deuxième, rédigé par La Presse Canadienne et publié dans le Globe and Mail, porte le titre suivant : « Les sénateurs trouvent une erreur dans un projet de loi, mais décident tout de même de l’adopter ».
Honorables collègues, voulons-nous envoyer aux Canadiens le message que nous ne faisons pas le travail que nous devons faire pour eux?
Nous nous rappelons tous ce qui s’est passé il y a à peine six mois — et le sénateur Baker y a fait allusion plus tôt — quand le Sénat a adopté le projet de loi C-394 sur le recrutement par une organisation criminelle. Les sénateurs Joyal et Baker avaient trouvé deux erreurs dans le projet de loi. J’aimerais vous rappeler ce que le sénateur Plett, le parrain du projet de loi dans cette enceinte, avait dit à l’époque, c’est-à-dire le 3 juin. Je le cite :
Nos délibérations au sujet du projet de loi ont donné lieu à la découverte de deux omissions dans le libellé qui entraîneraient une certaine incohérence dans le Code criminel. Heureusement, les sénateurs Joyal et Baker les ont portées à notre attention.
Le problème, c’est qu’on ne peut renvoyer le projet de loi à l’autre endroit, comme le veut la procédure, car depuis la présentation initiale du projet de loi, l’auteur, Parm Gill, est devenu secrétaire parlementaire. Or, les secrétaires parlementaires ne peuvent présenter de projet de loi d’initiative parlementaire ni même recevoir du Sénat leur projet de loi amendé, ce que notre greffier confirme. Par conséquent, cela devrait entraîner la mort du projet de loi.
J’ai cru comprendre que le parrain du projet de loi au Sénat aurait accepté que nous amendions le projet de loi afin de corriger ces erreurs, n’eût été de la situation inhabituelle selon laquelle le parrain à l’autre endroit a été nommé secrétaire parlementaire. À mon avis, aucun sénateur n’aimait l’idée d’adopter un projet de loi avec des erreurs connues, mais, dans les circonstances, nous avons accepté que c’était nécessaire, car sinon, comme l’a dit le sénateur Plett, cela aurait entraîné « la mort du projet de loi ».
Chers collègues, c’était le projet de loi C-394. La situation est différente avec ce projet de loi-ci. Le statut de Blaine Calkins, parrain du projet de loi C-525 à l’autre endroit, n’a pas changé. Pour autant que je sache, aucune règle de l’autre endroit n’empêche que le Sénat renvoie le projet de loi amendé à M. Calkins. Notre greffier ne nous a rien dit en ce sens.
En outre, il n’existe aucune contrainte de temps externe qui commande l’adoption immédiate de ce projet de loi. En effet, M. Calkins a rédigé le projet de loi de sorte qu’il entre en vigueur six mois après avoir reçu la sanction royale. Visiblement, il ne voyait aucune urgence. En fait, le projet de loi avait initialement été déposé au Sénat le 10 avril 2014, mais le Sénat n’a été informé du nom du parrain du projet de loi que le 23 septembre. De toute évidence, personne ne voyait de raison objective d’en précipiter l’étude.
Le Parlement ne sera pas prorogé ou dissolu — le gouvernement Harper a adopté la loi sur la tenue d’élections à date fixe. Par conséquent, nous pouvons tous dormir tranquilles : il n’y aura pas d’élections avant octobre 2015. C’est dans près d’une année. Les députés ont donc amplement le temps d’étudier nos amendements et de les adopter s’ils sont d’accord.
Alors, pourquoi avons-nous refusé de faire notre travail et d’amender le projet de loi, afin de corriger ces erreurs très simples et évidentes?
La seule raison qui a été invoquée, c’est celle qui a été mentionnée par le sénateur Tannas devant le comité : « Compte tenu de la procédure en vigueur à l’autre endroit, nous allons faire avorter le projet de loi en le renvoyant là-bas. »
Chers collègues, je ne comprends tout simplement pas cet argument. Comme je viens de le souligner, les greffiers à la procédure du Sénat ne nous ont pas avisés que le projet de loi avorterait, comme ce fut le cas, par exemple, pour le projet de loi C- 394. D’après ce que je peux comprendre, le sénateur Tannas ne prétend pas qu’on ferait avorter le projet de loi; il dit simplement que, compte tenu de la procédure probable à l’autre endroit, il se pourrait que, dans sa version amendée, le projet de loi ne fasse pas l’objet d’une mise aux voix.
La sénatrice Fraser et le sénateur Baker ont expliqué comment fonctionne le système. Il est possible de saisir la Chambre de nos amendements. Ceux-ci seraient inscrits au 31e rang sur la liste, mais on pourrait procéder à un échange pour les faire monter dans l’ordre de priorité. Si le gouvernement tient tant à faire adopter ce projet de loi, il pourrait exercer un peu de son influence sur les députés conservateurs dont le nom apparaît plus haut sur la liste que celui de M. Calkins. La Chambre des communes pourrait alors examiner nos amendements et, espérons-le, les approuver.
Chers collègues, ne serait-il pas préférable de laisser les députés s’occuper des questions de procédure, ainsi que des règles qui, ont-ils convenu, devraient régir leurs travaux?
En fait, le sénateur Tannas nous demande de substituer le point de vue de la Chambre élue au nôtre — d’établir que le projet de loi C- 525 est plus important que les autres projets de loi d’initiative parlementaire qui figurent plus haut dans la liste de priorité de la Chambre des communes. Peut-être nous demande-t-il de présumer que les députés élus n’accepteront pas nos amendements et qu’ils choisiront de ne pas accélérer l’étude du projet de loi à l’autre endroit. Honorables sénateurs, il n’est pas de notre ressort de prévoir de quelle façon l’autre endroit choisira de mener ses travaux. Ce sont ses travaux, pas les nôtres.
Le Sénat a été créé en tant que Chambre de second examen objectif. Sir John A. Macdonald n’a pas dit que nous allions exercer nos pouvoirs d’examen en fonction des particularités du Règlement de la Chambre des communes.
Si l’autre endroit reçoit nos amendements et décide alors de torpiller le projet de loi, comme le dit le sénateur Tannas, quel que soit le moyen choisi, c’est assurément sa prérogative et son droit constitutionnel de le faire.
Honorables sénateurs, je reviens à la même question fondamentale : si les circonstances et le moment ne sont pas appropriés pour adopter des amendements, quand le seront-ils? Comme on dit : si nous ne le faisons pas maintenant, quand le ferons-nous?
Je tiens à rappeler aux sénateurs qu’il s’agit d’un projet de loi d’initiative parlementaire, et non d’un projet de loi d’initiative ministérielle. Il ne s’agit manifestement pas d’une priorité du gouvernement, sinon celui-ci aurait présenté un projet de loi d’initiative ministérielle. N’oublions pas non plus que ce projet de loi a été soumis au Sénat au mois d’avril et que ce n’est que récemment qu’il est devenu une priorité pour les sénateurs d’en face.
Comme il s’agit d’un projet de loi d’initiative parlementaire, il n’a probablement pas fait l’objet d’un examen attentif par des juristes du ministère de la Justice, comme cela aurait été le cas pour un projet de loi d’initiative ministérielle. Le sénateur Baker a bien expliqué le processus. S’ajoute à cela le fait que les problèmes auxquels nous faisons face découlent d’amendements adoptés à la hâte par le comité à l’autre endroit.
Personne ne remet en question la pertinence des amendements que le Sénat vient de rejeter. Je n’ai entendu personne dire que la sénatrice Bellemare ou moi avions tort lorsque nous avons souligné les erreurs. Tout le monde est d’accord pour dire que les erreurs doivent être corrigées et que ne pas les corriger créera certainement des difficultés pour la commission et peut-être aussi pour d’autres personnes. Ne pas corriger les erreurs maintenant aura des conséquences, et les corrections pourraient être faites avec de simples amendements.
Chers collègues, si ce projet de loi n’est pas un bon exemple de cas où nous devons exercer notre droit d’amender un projet de loi de la Chambre basse, pour reprendre les paroles de sir John A. Macdonald, je me demande bien quand nous pourrions exercer ce droit. En restant les bras croisés, nous ferions la démonstration que la Chambre haute n’est, comme il le dit, « d’aucune utilité si elle se [borne] à sanctionner les décrets de la Chambre basse ».
Le 26 mars, la sénatrice Eaton a prévenu le Sénat que :
Nous ne devons, et ne pouvons, pas permettre que le Sénat se contente d’approuver automatiquement les projets de loi que lui renvoie la Chambre des communes.
Le sénateur Wallace a dit essentiellement la même chose le 29 avril :
Il ne fait aucun doute que le Sénat n’a pas été créé dans le but d’être la copie conforme de la Chambre des communes ou d’approuver d’office tout ce qu’elle propose. Bien au contraire.
Les sénateurs se rappelleront que nous avons tenu un débat intéressant à la fin du discours du sénateur Wallace, ce jour-là, et que débat a porté notamment sur la question de la portée que devraient avoir les amendements effectués par le Sénat. En réponse à une question de ma part, le sénateur Wallace a répondu ceci :
[…] je me suis moi-même demandé si le rôle du Sénat ne revient pas à examiner les aspects techniques des projets de loi d’abord présentés à la Chambre. Le rôle du Sénat consiste-t-il à garantir qu’ils sont exempts de toute lacune, sans remettre en question les politiques qui les sous-tendent?
Je vous pose encore la question : si nous refusons d’exercer notre droit d’amender ce projet de loi et si la majorité des sénateurs refusent d’adopter les amendements nécessaires, sommes-nous en train de renoncer au rôle principal du Sénat, qui consiste à examiner les projets de loi? Nous ne serons plus la Chambre indépendante de second examen objectif, mais une assemblée qui ne fait qu’approuver automatiquement les décisions du gouvernement. Nous ne serons plus une Chambre législative, mais un club d’amateurs de débats qui coûte 90 millions de dollars par année. Pourquoi nous prendrait-on au sérieux si nous ne sommes même pas capables de nous prendre nous-mêmes assez au sérieux pour donner suite à nos recommandations?
Il va sans dire que je suis très déçu qu’une majorité de sénateurs ait choisi de rejeter les amendements proposés par la sénatrice Fraser. Je comprends maintenant que les sénateurs se pliaient simplement à la recommandation du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles énoncée dans les observations jointes au rapport qu’il a présenté au Sénat. Je vais vous lire le dernier paragraphe de ces observations :
La situation est regrettable, mais le comité propose d’adopter le projet de loi et de corriger l’erreur de rédaction dans de prochaines mesures législatives avant l’entrée en vigueur du projet de loi C-525.
Je signale également en passant que, pour une raison quelconque, le mot « recommande » s’est transformé en « propose », et ce, après que le comité ait décidé à l’unanimité, avant de s’ajourner, d’écrire dans ses observations « Bien que ce soit regrettable, le comité recommande… ». Cela dit, je pense que l’intention unanime du comité est claire. Les observations ont été rédigées en réponse à l’appel lancé aux membres du comité par la présidente de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, qui devra nettoyer le gâchis que créera le projet de loi C- 525. Elle a dit ceci :
À mon avis, si le projet de loi C-525 est adopté sous sa forme actuelle, il ne faudra ménager aucun effort pour rétablir le pouvoir de réglementation de la commission dont il est actuellement question à l’alinéa 39(1)d) de notre loi habilitante, et ce, de préférence avant l’entrée en vigueur du projet de loi C-525.
En réponse à cette demande claire et ferme, le sénateur Tannas, parrain du projet de loi, a proposé de joindre des observations au rapport du comité. Plus précisément, il a proposé que le paragraphe que j’ai cité il y a quelques instants soit bien mis en évidence à la toute fin des observations. Au terme d’une discussion, les observations, dont celles dans le paragraphe en question, ont été adoptées à l’unanimité par le comité.
Chers collègues, j’ai constaté l’importance de cette question autant pour la présidente de la commission touchée que pour les membres du comité des deux côtés de l’enceinte. Cependant, nous avons un autre problème. Il suffit de lire les dispositions du projet de loi C-525 pour constater qu’à moins de l’amender, il entrera en vigueur six mois après la date de sa sanction. Étant donné le libellé actuel du projet de loi, rien ne pourra changer cela. Pour accéder au souhait du parrain du projet de loi et donner suite à la recommandation unanime du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, il faut amender cette disposition.
Par conséquent, je suggère que le projet de loi entre en vigueur à une date fixée par le gouverneur en conseil, soit le Cabinet, au moins six mois après la sanction royale. Cet amendement permettrait au gouvernement de reporter l’entrée en vigueur du projet de loi jusqu’à ce que les modifications nécessaires aient été apportées, comme le réclament la présidente de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et tous les membres du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Je suis conscient que, pour ce faire, il faut s’en remettre au gouvernement et croire qu’il n’usera pas de la latitude qu’on lui donne pour mettre la loi en vigueur sans qu’elle ait été modifiée comme entendu ou avant la fin des six mois suivant la sanction royale. Je ne doute pas que mes collègues d’en face n’ont aucune difficulté à se fier au gouvernement. Avec cet amendement, je suis prêt à faire de même.
Motion d’amendement
L’honorable James S. Cowan (leader de l’opposition) : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose :
Que le projet de loi C-525 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à la page 6, en substituant l’article 13 comme suit :
« 13. La présente loi entre en vigueur à la date fixée par décret du Gouverneur en Conseil, mais pas plus tôt que six mois après la date où elle reçoit la sanction royale. ».
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