Deuxième lecture du projet de loi S-209, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles
Publié le 3 février 2016 Hansard et déclarations par l’hon. Maria Chaput (retraitée)L’honorable Maria Chaput :
Honorables sénateurs, c’est avec fierté que je vous présente aujourd’hui le projet de loi S-209, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, partie IV (communications et services destinés au public), soit les services offerts par les institutions fédérales.
C’est la quatrième fois que je dépose un tel projet de loi au Sénat. Le premier texte, le projet de loi S-220, est mort au Feuilleton en 2011. Le deuxième, le projet de loi S-211, a été déposé au Sénat en mai 2012 et a été adopté à l’étape de la deuxième lecture en cette Chambre. Il est aussi mort au Feuilleton à la suite de la décision de proroger le Parlement. Le projet de loi S-205, déposé en novembre 2013, a été renvoyé au Comité sénatorial permanent des langues officielles, a fait l’objet d’un débat intéressant et enrichissant au sein de ce comité, mais n’a pas atteint l’étape de la troisième lecture.
Le projet de loi S-209 que je vous présente aujourd’hui a le même contenu que le projet de loi S-205. Je ne m’éterniserai donc pas sur les détails du projet de loi. Je propose plutôt de vous en faire un résumé et de vous expliquer pourquoi le projet de loi demeure pertinent et encore plus nécessaire aujourd’hui, en 2016.
Le projet de loi S-209 met à jour la partie IV de la Loi sur les langues officielles, soit la partie qui régit l’offre de services dans les deux langues officielles de la part des institutions fédérales. Il reconnaît que les services dans les bureaux fédéraux seront offerts dans la langue officielle minoritaire lorsqu’il y a une « demande importante », et c’est le mode de calcul de cette « demande importante » qui doit être modifié. Le projet de loi contient donc deux recommandations majeures en ce sens.
La première, c’est de ne plus se limiter à la formule de la « première langue officielle parlée » pour déterminer la taille de la communauté de langue officielle en situation minoritaire. Le projet de loi propose plutôt le critère plus inclusif de la « connaissance de la langue officielle ».
La deuxième, c’est de tenir compte de la vitalité d’une communauté de langue officielle — et non seulement de sa taille relative — lorsque vient le temps de déterminer l’octroi des services dans la langue officielle de cette communauté.
Bref, ce projet de loi fait état du fait que, là où il y a une communauté de langue officielle en milieu minoritaire, plusieurs personnes qui en font partie ne répondent pas aux critères limitatifs et dépassés du régime actuel. La loi et le règlement actuels donnent une image imprécise et incorrecte de la taille réelle de la communauté. La législation doit reconnaître cette réalité afin que le gouvernement puisse élaborer une réglementation qui en tienne compte.
Le visage des communautés de langue officielle en situation minoritaire a beaucoup évolué au cours des 20 dernières années. Or, c’est un règlement qui date de 1991 qui régit encore la gestion des services offerts à ces communautés.
Si les mécanismes que le gouvernement se donne pour calculer la taille des communautés de langue officielle ne sont pas à jour, ce sont ces communautés ainsi que la dualité linguistique du Canada qui en souffrent. Il y a urgence, car la diminution des services, qui se fonde sur des définitions fausses et dépassées, contribue à l’assimilation et va à l’encontre de la Loi sur les langues officielles.
Au Québec, la minorité anglophone ne voit pas sa langue menacée au même degré que les minorités francophones. Pourtant, il est prévu que l’on applique aux deux minorités de langue officielle la même réglementation qui repose sur des formules statistiques, sans les mettre en contexte.
Le projet de loi S-209 contient une formulation plus souple. En mettant l’accent sur les minorités et leurs besoins, le gouvernement serait en mesure de mieux évaluer les besoins de chaque minorité et de lui fournir des services adéquats.
Pourquoi, me diriez-vous, déposer ce projet de loi de nouveau? Je sens qu’il y a un certain consensus au Sénat depuis que j’ai déposé mon premier projet de loi, le projet de loi S-220, il y a plus de cinq ans, sur le fait que les questions soulevées sont importantes pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Je ne dis pas qu’il y a un appui unanime vis-à-vis ce projet de loi au Sénat. Je dis simplement qu’il y a un consensus sur le fait que le problème dont il traite est réel et est reconnu.
Le consensus est beaucoup plus prononcé au sein des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Ces communautés comprennent très bien que les décisions qui se prennent par la voie de statistiques désuètes minent leur vitalité. D’ailleurs, le contenu de ce projet de loi a été enrichi grâce à l’apport de multiples organismes, tant à l’échelle locale que nationale — que j’ai consultés et avec lesquels j’ai toujours maintenu un lien direct au cours de mes années au Sénat — qui sont venus témoigner leur appui lors du débat sur le projet de loi S-205 au sein du Comité sénatorial permanent des langues officielles.
N’eût été les aléas de la politique, ce projet de loi aurait pu être adopté. Nous avons tenu un débat et une étude publics sur des questions de grande importance pour nos communautés. Nous avons au moins franchi un pas vers un redressement de la situation, mais il y a eu une élection fédérale en 2011, une prorogation en 2013 et une autre élection fédérale en 2015. Alors, me voilà de nouveau.
Je ne tiens rien pour acquis, bien entendu. Cependant, la même réalité qui, en 2014, a amené le Sénat à renvoyer le projet de loi S- 205 à un comité pour qu’il en fasse l’étude existe encore aujourd’hui.
Selon un rapport du commissaire aux langues officielles, l’interprétation faite par le gouvernement des données de 2001 avait entraîné une réduction des services dans 100 bureaux fédéraux du Canada. Reste à voir ce que l’interprétation faite par le gouvernement des dernières données nous apportera. La fermeture de bureaux, la perte, ou encore la réduction des services dans la langue de la minorité officielle découlent davantage des lacunes dans la réglementation que de la réalité démographique. Par conséquent, malgré les bonnes intentions, les règlements ont pour effet d’affaiblir ces collectivités au lieu de leur fournir du soutien.
Il n’y avait aucune raison — pas d’études ni de rapports — de penser que les choses seraient différentes en 2011. En fait, les statistiques ont confirmé ce que nous pensions qu’il arriverait. Le nombre de Canadiens vivant hors Québec dont la première langue officielle était le français est passé de 997 125 en 2006 à 1 007 580. Bien qu’elle soit modeste, il s’agit tout de même d’une augmentation.
Étant donné les effets de l’urbanisation et des mariages mixtes sur la survie des communautés francophones minoritaires, il est rassurant et encourageant de constater que celles-ci ont été en mesure de maintenir leur population en général, voire de la faire croître légèrement. Cette situation reflète la vitalité de ces communautés.
Les statistiques qui suivent sont frappantes et revêtent une importance cruciale. En 2006, ces 997 000 Canadiens représentaient 4,2 p. 100 de la population totale. Ils sont maintenant plus d’un million, mais ils ne représentent plus que 4 p. 100 de la population totale. C’est donc la taille relative des communautés francophones qui diminue, pour des raisons indépendantes de leur volonté. En fait, nous savons très bien que l’absence d’immigration francophone — le gouvernement fédéral n’a d’ailleurs pas hésité à reconnaître que c’est là la source du problème — est ce qui nuit le plus à la croissance de ces communautés.
Ce qui est déplorable, c’est que c’est la taille relative de ces communautés qui détermine si celles-ci pourront continuer de recevoir des services de la part des ministères et organismes fédéraux dans leur langue. Comme le commissaire aux langues officielles l’a si bien expliqué, nous fondons notre évaluation de la vitalité des communautés minoritaires sur la vitalité des communautés majoritaires. Il s’agit d’une approche défaillante et destructive.
Par conséquent, à l’heure actuelle, un plus grand nombre de francophones habitent dans les provinces à majorité anglophone qu’en 2001 ou en 2006, mais ils recevront tout de même moins de services en français. Honorables sénateurs, si nous adoptons de nouveau une telle approche jusqu’en 2021, ce serait faire preuve de négligence, voire même d’indifférence, et je ne crois pas que c’est ce que nous souhaitons.
Chers collègues, un projet de loi similaire à celui que je présente aujourd’hui a été renvoyé à un comité en 2014 pour y être étudié de façon approfondie. Comme je l’ai expliqué plus tôt, les événements qui se sont produits dans l’intervalle, y compris la publication de données sur la langue et le profil démographique de la population par Statistique Canada, n’ont fait qu’exacerber la nécessité d’étudier le projet de loi à nouveau et de l’adopter.
Honorables sénateurs, je vous exhorte à appuyer le projet de loi S- 209 pour qu’il puisse, encore une fois, faire l’objet du débat public qu’il mérite au Comité sénatorial permanent des langues officielles. Je vous remercie.