Deuxième lecture du projet de loi S-223, Loi modifiant la Loi sur les armes à feu, le Code criminel et d’autres lois en conséquence
Publié le 19 avril 2016 Hansard et déclarations par l’hon. Céline Hervieux-Payette (retraitée)L’honorable Céline Hervieux-Payette :
Honorables sénateurs, comme la plupart d’entre vous le savent certainement, j’ai toujours été indépendante et j’ai toujours combattu pour mes idées. À titre de Québécoise, je crois aux politiques de contrôle des armes à feu, mais je défends également la pratique de la chasse, puisque j’ai moi-même exercé cette activité lorsque j’étais plus jeune en compagnie de mon père. C’est dans cet ordre d’idées que je présente à nouveau mon projet de loi qui vise à renforcer la sécurité des Canadiennes et des Canadiens et à promouvoir la chasse et le tir sportif.
Les événements survenus récemment dans la communauté autochtone de La Loche ne peuvent que nous glacer le sang. Il s’agit d’une tragédie tout à fait désastreuse pour les familles des victimes auxquelles j’offre mes plus sincères condoléances. Il est maintenant trop tôt pour se prononcer sur les faits; nous devons laisser l’enquête progresser, mais nous connaissons certains facteurs clés responsables de la situation. La pauvreté, l’intimidation et le manque de ressources en santé mentale sont fort probablement tous des facteurs qui ont amené un jeune de 17 ans à commettre l’impossible et à tirer sur d’innocentes personnes dans une école de la petite communauté albertaine.
En outre, il semble que le problème de l’accessibilité des armes à feu pour les mineurs soit aussi un élément important. Je suis allée à plusieurs reprises dans le Nord canadien au cours de ma carrière, tant à titre de députée que de sénatrice, afin de militer pour la chasse au phoque. Je peux vous dire que la très grande majorité des Autochtones utilisent leurs armes de chasse à bon escient. J’en suis arrivée à formuler l’adage suivant : dans le Nord, on utilise l’arme à feu en tant qu’outil servant à la chasse de subsistance, alors que, dans le Sud, on semble de plus en plus fanatiser et idolâtrer les armes au lieu de s’en servir pour le plaisir de consommer du chevreuil ou une autre espèce animale de venaison.
Cette conception des choses m’est venue à l’esprit lorsqu’un journaliste m’a demandé de commenter la montée en flèche de la popularité des armes à feu restreintes, qui sont essentiellement des armes à feu semi-automatiques à percussion centrale et des armes de poing.
Honorables collègues, les chiffres sont astronomiques. En cinq ans, le nombre de détenteurs de permis de possession et d’acquisition d’armes à feu restreintes a bondi de 75 p. 100 au Canada. Ces armes ont été conçues strictement pour des fonctions militaires. Bien que je puisse comprendre qu’elles puissent être utilisées pour le tir sportif, elles ne remplissent tout simplement aucune utilité dans le cadre des activités de chasse.
Je tiens à souligner que mon projet de loi ne va pas à l’encontre des honnêtes citoyens qui respectent la loi. Au contraire, l’objectif principal de ce projet de loi est d’encourager la pratique de la chasse ou du tir sportif au Canada, tout en assurant la sécurité des Canadiennes et des Canadiens. Son objectif regroupe trois grands thèmes : premièrement, garantir la sécurité des Canadiennes et des Canadiens; deuxièmement, garantir aux passionnés de chasse et de tir sportif la possibilité d’effectuer leurs activités de façon sécuritaire; et troisièmement, retirer de nos maisons toute arme à feu qui n’est pas utilisée pour la chasse.
Honorables sénateurs, l’ancien gouvernement conservateur a complètement transformé notre régime des armes à feu. Sous le règne conservateur, le Canada a été l’un des rares pays à rétrograder ses politiques sur le contrôle des armes à feu. Après la tuerie du Collège Dawson en 2006 — lors de laquelle une jeune femme a été tuée et 19 autres personnes ont été blessées par balle — et celle de Moncton en 2014 — où 3 agents de police de la GRC ont été tués et 2 autres ont été blessés —, l’ancien gouvernement Harper a entériné le projet de loi C-19, qui prévoyait l’abolition du registre des armes d’épaule, et le projet de loi C-42, que ses auteurs ont vanté comme étant un texte de loi qui suivait le gros bon sens.
Tout cela pour dire qu’un gouvernement responsable n’aurait certainement pas agi de la sorte. Rappelez-vous les événements de Polytechnique en 1989, motivés par la misogynie de Marc Lépine. Personne ne peut oublier cette sordide soirée du 6 décembre 1989, lors de laquelle 14 jeunes personnes ont été froidement assassinées simplement parce qu’elles étaient des femmes.
Le gouvernement Chrétien a pris les choses en main et a fait preuve de leadership en adoptant, en 1995, le projet de loi C-68 qui deviendra la Loi sur les armes. C’est grâce à lui que nous pouvons nous vanter d’avoir un taux de mortalité par arme à feu aussi bas, qui est ironiquement utilisé aujourd’hui comme argument par le lobby des armes à feu. Si, en effet, nous avons autant de chances de mourir par une arme à feu que de mourir frappé par la foudre, c’est grâce aux politiques de contrôle des armes à feu d’un ancien gouvernement libéral.
Nous ne pouvons pas jouer à l’autruche face aux événements quasi quotidiens qui surviennent chez nos voisins du Sud qui, eux, ne bénéficient pas d’un régime visant à assurer la sécurité de leur population, tel celui du Canada. Les statistiques sont éloquentes : plus de 30 000 morts par balle aux États-Unis en 2011, comparativement à 698 au Canada. Durant les deux mandats du président Obama, il y a eu 9 tueries de masse qui ont provoqué la mort gratuite de 119 innocentes victimes qui se trouvaient simplement au mauvais endroit, au mauvais moment.
Le cri d’alarme du président Obama en janvier dernier a provoqué des échos ici, au Canada, et j’ai pu le constater moi-même à la télévision. Personne ne peut rester indifférent à son vibrant plaidoyer visant à changer l’esprit de ses concitoyens au sujet des armes à feu. À l’instar du premier ministre Chrétien, le président Obama est intervenu. Dans le cadre juridique limité de ses fonctions et de la majorité conservatrice au Congrès, il a réussi à mettre en œuvre le Common Sense Gun Safety Reform.
Honorables sénateurs, les différentes tueries survenues aux États- Unis m’amènent à vous préciser un élément fondamental qui distingue le régime des armes à feu du Canada de celui des États- Unis : la Constitution canadienne ne prévoit aucun droit de posséder des armes ou encore de porter une arme à feu au Canada.
De la même façon, les restaurants doivent payer des frais aux différents organismes municipaux et provinciaux pour pouvoir vendre et servir des produits alcoolisés à leurs clients, car il s’agit d’un privilège que de faire du commerce avec des produits alcoolisés dans les villes canadiennes qui y sont autorisées par les gouvernements. En outre, combien d’autres activités doivent être encadrées.
Voici donc les sept mesures audacieuses et progressives — j’ose espérer que vous serez du même avis — que je souhaite mettre en place grâce à cette loi.
Premièrement, le projet de loi réinvente le régime actuel des armes à feu en prévoyant que toutes les armes à feu au Canada soient prohibées des maisons d’habitation, à l’exception des armes à feu consacrées à la chasse et des armes de collection, moyennant un régime spécifique pour ces dernières.
Deuxièmement, on redéfinit deux des trois classes actuelles d’armes à feu en créant la catégorie des armes à feu de chasse et la catégorie des armes à feu à autorisation localisée. Cette dernière inclut la plupart des armes à feu restreintes sous l’ancien régime.
Troisièmement, on permet la possession des armes à feu de chasse dans nos maisons et on limite l’utilisation et l’entreposage des armes à feu à autorisation localisée dans les clubs de tir.
Quatrièmement, on limite le transport des armes à feu à autorisation localisée à des transporteurs spécialisés — une forme de transport qui relève de personnes qui n’ont aucun intérêt, sinon celui de faire du transport sécuritaire, semblable à celui de la Brink’s —, ce qui renforce le contrôle de la circulation des armes à feu.
Cinquièmement, le projet de loi remplace la terminologie du « certificat d’enregistrement » par celle du « certificat d’immatriculation ». Je tiens à souligner que le projet de loi ne remet pas en place le registre canadien des armes à feu sans restriction. C’est dans cette optique que nous voulons remplacer le terme « enregistrement » par celui d’« immatriculation », soit un terme plus approprié.
Sixièmement, le projet de loi renforce le rôle de la Gendarmerie royale du Canada et du commissaire aux armes à feu de façon statutaire.
Septièmement, le projet de loi renverse toutes les dispositions du projet de loi C-42, exception faite des interdictions de recevoir un permis de possession et d’acquisition à la suite d’un verdict de culpabilité en matière de violence conjugale.
Nous allons maintenant voir en détail ces sept mesures.
Pour commencer, je crois que nous devons renverser le régime actuel en autorisant exclusivement les armes à feu de chasse dans les maisons. Il ne s’agit pas d’un secret de Polichinelle, le lobby des armes à feu canadien s’est énormément renforcé sous le règne du gouvernement Harper. L’Association canadienne des armes à feu regroupe actuellement plus de 75 000 membres au pays. Je dois préciser qu’ils m’envoient des courriels tous les jours. Depuis plusieurs années, ce groupe ne cesse de faire pression à Ottawa. Son message est simpliste : il soutient que les armes ne tuent pas, car ce sont les hommes qui tuent les hommes.
Je ne souscris pas à cette vision un peu étriquée, car c’est par les armes à feu que les hommes se tuent. Je suis persuadée que tous les honorables membres de cette Chambre se souviennent de l’horrible évènement du 14 décembre 2012, le jour où Adam Lanza, un jeune autiste de 20 ans, a commis l’inimaginable en ouvrant le feu dans une école primaire avec une arme d’assaut semi-automatique. À la suite de l’hécatombe, 20 enfants âgés de 6 à 7 ans et 6 adultes responsables de leur éducation ont été lâchement assassinés.
Bien que le geste d’Adam Lanza soit impensable et tout à fait incompréhensible, nous ne pouvons lui jeter tout le blâme. Ce jeune homme souffrait de maladie mentale et de troubles sociaux. Il n’aurait jamais dû avoir accès à ce type d’arme. Le blâme devrait se porter sur le lobby des armes, qui ne cesse de promouvoir la violence et le non-sens de l’armement civil.
Lorsque de tels évènements surviennent, on se concentre trop souvent sur l’individu qui a commis la tuerie, en omettent le rouage et la rhétorique du lobby des armes. Dans une société libre et démocratique comme la nôtre, on ne peut se contenter de gérer seulement les symptômes : il faut s’attaquer aux causes.
Ici, au Canada, on se rappelle les évènements tragiques de 2014, lorsque Justin Bourque, dans une folie meurtrière, a ouvert le feu sur des policiers de la GRC. On se souvient que trois policiers sont décédés, et que deux ont été gravement blessés à la suite de cette fusillade. À l’instar d’Adam Lanza, M. Bourque était un véritable fanatique des armes à feu. Contrairement à la grande majorité des criminels qui utilisent les armes à feu pour commettre des crimes, M. Bourque avait dûment enregistré toutes ses armes, et il possédait tous les permis requis.
Le changement proposé au régime actuel, qui autoriserait exclusivement les armes à feu de chasse dans les maisons, est une forte réponse à l’endroit des fausses prétentions du lobby des armes à feu. Contrairement à eux, je n’ai pas d’armes à vendre, mais j’ai bel et bien la sécurité des Canadiennes et des Canadiens à protéger.
La sécurité de nos compatriotes m’amène à aborder le deuxième point de mon projet de loi : la redéfinition de deux des trois classes actuelles d’armes à feu. Ce changement majeur en matière de définition favorise une meilleure distinction entre les armes à feu qui peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse — donc, qui peuvent être conservées dans une maison selon les règlements qui les entourent — et les armes à feu que les tireurs sportifs manient dans des clubs de tir et qu’ils devront entreposer dans ces mêmes clubs.
Alors, quelles sont ces définitions? La catégorie des armes à feu de chasse regroupe toute arme à feu pourvue d’un canon d’une longueur de plus de 470 millimètres, à âme lisse ou striée — ne soyez pas inquiets, je n’ai rien inventé —, soit, respectivement, les fusils et les carabines. Toutes les armes à feu semi-automatiques sont exclues de la définition d’armes à feu de chasse, à l’exception des carabines semi-automatiques de calibre .22 à percussion annulaire.
Par ailleurs, plusieurs personnes m’ont posé la question à savoir si les fusils de chasse semi-automatiques, communément appelés shot guns, sont inclus dans les définitions d’armes à feu de chasse. La réponse est oui.
Cette nouvelle définition de l’arme à feu de chasse est basée notamment sur les indications des chasseurs et d’un instructeur du Cours canadien de sécurité dans le maniement des armes à feu. En effet, dans le cadre de l’étude du présent projet de loi, les instructeurs m’avaient fortement déconseillé l’utilisation d’armes à feu semi-automatiques pour la chasse, en raison des nombreux accidents qu’elles provoquent.
Le projet de loi S-223 abroge ainsi le privilège des titulaires de permis de possession et d’acquisition de garder dans leur maison d’habitation toute carabine semi-automatique à percussion centrale. Pourtant, le projet de loi S-223 ne prohibe pas le droit d’en faire usage. Ceux et celles qui ont la passion du maniement de ces armes et qui souhaitent continuer à vivre leur passion peuvent le faire dans les centres de tir, où ces armes seraient entreposées. Je veux ainsi, dans le cadre de mon projet de loi, favoriser la pratique et le commerce sécuritaires du tir sportif.
Je ne suis donc pas contre les armes à feu, mais je suis favorable à ce qu’on les utilise de façon sécuritaire.
Ainsi, avec le projet de loi S-223, tout titulaire d’un permis de possession et d’acquisition aura la possibilité d’acquérir et de posséder une carabine à percussion centrale et de s’exercer au tir dans un club réservé à cet effet. Lorsque ce titulaire de permis aura terminé sa session de tir, il devra entreposer son arme à l’intérieur du club de tir. La distinction entre les carabines semi-automatiques de calibre .22 à percussion annulaire et les carabines semi-automatiques à percussion centrale est un élément essentiel de mon projet de loi.
Par ailleurs — je vous invite à prendre note de ceci —, le Royaume-Uni a adopté la même distinction après les terribles évènements de Hungerford. En 1987, un tireur fou nommé Michael Ryan massacre 16 personnes, y compris sa propre mère. Équipé d’une arme de poing et de deux carabines semi-automatiques, soit une arme à feu appelée Type 56 Assault Rifle — variante chinoise du fusil d’assaut AK-47 —, et d’un M1 Carabine, Ryan a également blessé 14 autres personnes avant de se suicider. Selon les autorités, Ryan aurait commis sa folie meurtrière sans aucun motif. Autre fait important, Ryan possédait toutes ces armes à feu conformément aux lois britanniques de l’époque.
L’année suivante, la première ministre Margaret Thatcher a promptement répondu à cette horrible tragédie. Le gouvernement conservateur de la dame de fer a effectivement banni complètement les armes à feu semi-automatiques à percussion centrale du Royaume-Uni et restreint l’utilisation des fusils de chasse ayant une capacité maximale de trois cartouches. Les seules qui sont demeurées légales au Royaume-Uni sont les armes à feu semi- automatiques à percussion annulaire de calibre .22.
Les politiques britanniques strictes en matière d’armes à feu ne s’arrêtent toutefois pas en 1988, car, en 1996, soit neuf ans après la tragédie de Hungerford, la Grande-Bretagne se retrouve encore une fois en état de choc à la suite d’une fusillade meurtrière. Un individu nommé Thomas Hamilton est alors entré dans une école primaire de Dunblane, en Écosse, et a tué 16 enfants âgés de 4 à 5 ans, ainsi que leur professeur d’éducation physique, avant de se suicider. Hamilton possédait légalement deux carabines de chasse et une arme de poing. Le massacre a été commis avec l’arme de poing qui était dûment enregistrée.
En réponse à ce massacre, le gouvernement britannique a demandé à lord William Douglas Cullen de présider une commission royale afin d’enquêter sur les circonstances qui ont amené Hamilton à commettre un tel geste, et surtout à faire des recommandations pour empêcher une nouvelle tragédie semblable.
Dans son rapport, lord Cullen suggère que l’État effectue un nouveau resserrement du contrôle des armes à feu. Le gouvernement britannique a répondu au rapport Cullen en adoptant la Firearms (Amendment) Act 1997. C’est ainsi qu’il est maintenant interdit à tout civil de posséder et d’entreposer dans une maison d’habitation la plupart des armes de poing en Grande-Bretagne.
Les résultats de ces politiques de contrôle des armes à feu sont impressionnants. En 2011, seulement 38 Britanniques ont été tués par une arme à feu, alors que, pour la même année, avec une population au moins deux fois moindre, 153 Canadiens ont été assassinés de la même façon. Selon d’autres données pour l’année 2011, le taux d’homicide britannique serait plus faible qu’au Canada : 0,06 sur une population de 100 000 habitants contre 0,45 sur 100 000 habitants au Canada. Toutes ces mesures mises en œuvre par le Royaume-Uni en 1988 et en 1997 prouvent encore une fois qu’un meilleur contrôle des armes et un retrait de celles-ci des foyers contribuent à faire diminuer le nombre d’homicides par arme à feu.
Le projet de loi S-223 s’inspire d’un modèle qui a fait ses preuves. Je veux bien entendre toutes les critiques contre mon projet de loi et recevoir tous les messages Twitter. Cependant, les critiques qui consistent à attaquer un modèle qui fonctionne pour se rapprocher du modèle américain, qui est manifestement une faillite sécuritaire, n’ont aucun sens, ou plutôt, si elles ont un sens, elles servent les intérêts d’une industrie et certainement pas celles des Américains.
Le projet de loi S-223 remplace l’actuelle catégorie des armes à feu restreintes par la catégorie des armes à feu à autorisation localisée. Une arme à feu à autorisation localisée regroupe toute arme à feu qui est pourvue d’un canon qui ne dépasse pas 470 millimètres, comme armes de poing, ainsi que les armes à feu semi-automatiques à percussion centrale, nonobstant la longueur du canon si elles ne sont pas prohibées.
Comme le terme le laisse entendre, un titulaire de permis de possession et d’acquisition d’une arme à feu de telle catégorie ne pourra qu’utiliser et entreposer ces armes dans les clubs de tir. C’est le troisième point de mon projet de loi. Je me suis assurée que la traduction anglaise des termes « circumscribed firearms » fasse également référence à cette notion de localisation.
Honorables sénateurs, ce n’est pas sans raison que mon projet de loi range ces armes dans la catégorie « à autorisation localisée ». Ce sont de telles armes qui ont été impliquées à répétition dans des tueries au Canada. Je pense à Marc Lépine, à Kimveer Gill et à Justin Bourque. Ils avaient tous un élément en commun au niveau de leur arsenal. En effet, ils s’étaient conformés à la Loi sur les armes à feu et avaient tous des armes d’épaule semi-automatiques tirant des munitions à percussion centrale. Ces armes sont extrêmement dangereuses et ne remplissent aucun rôle utilitaire en matière de chasse. Elles n’ont donc pas leur place dans une maison.
C’est aussi le sens de la déclaration de Me David Lutz, l’avocat de Justin Bourque, qui a communiqué avec moi. Dans les minutes qui ont suivi le prononcé de la peine de son client, Me Lutz a lancé un vibrant plaidoyer contre les armes à feu à la sortie du Palais de justice de Moncton, le 31 octobre 2014. Il a mentionné ce qui suit à la CBC, et je cite :
Trois policiers sont morts à Moncton et un autre à Ottawa parce que les mauvaises personnes avaient des armes à feu.
Il poursuit en affirmant ce qui suit, et je cite :
Aucun chasseur n’a besoin d’une arme comme celle qu’a utilisée Bourque. Aucun.
Quatrièmement, le projet de loi S-223 vient renforcer le contrôle de la circulation de ces armes semi-automatiques. Ainsi, tout propriétaire d’une telle arme qui aurait besoin de la déplacer, notamment pour l’entreposer dans un autre centre de tir ou participer à une compétition, devra faire appel à un service extérieur, un transporteur spécialisé.
Suivant la présentation du précédent projet de loi, j’ai reçu plusieurs plaintes selon lesquelles l’entreposage des armes à feu à autorisation localisée impliquerait des coûts faramineux. Je leur réponds que ce n’est pas au législateur de s’adapter aux clubs de tir et au lobby des armes. C’est à ces commerces et groupes de pression de s’adapter à nos mesures sur les armes à feu, d’abord, pour la sécurité des Canadiennes et des Canadiens, et ensuite, pour favoriser la pratique du sport.
Le personnel de mon bureau et moi avons consulté plusieurs experts, y compris d’anciens policiers, qui ont tous affirmé que les carabines semi-automatiques à percussion centrale sont des armes à feu dangereuses comparativement aux autres mécanismes. Ils ont insisté sur le fait qu’il n’y a aucune nécessité de garder ce type d’arme dans une maison d’habitation. Le modèle américain le prouve : plus il y a de circulation d’armes à feu dans un pays, plus le taux d’homicide est élevé. Or, le projet de loi S-223 vise à renforcer la sécurité des Canadiennes et des Canadiens.
Mon cinquième point concerne le remplacement du certificat d’enregistrement par un certificat d’immatriculation. Selon moi, le choix des mots est important. Le projet de loi S-223 prend acte de la disparition du registre canadien des armes à feu, et il ne reviendra pas sur ce point. Je déplore toutefois la disparition de ce registre — et je souligne que le Québec est en train de se doter d’un registre —, une autre mesure des conservateurs qui visait à satisfaire le lobby des armes à feu. Cependant, par souci d’efficacité, mon projet de loi ne reviendra pas sur cette mesure afin de ne pas dévier du débat qu’il propose.
Le terme « certificat d’enregistrement » rappelle l’idée d’un registre; le terme « immatriculation » évoque le privilège. Pour les mêmes raisons, en anglais, c’est l’expression « inscription certificate » qui vient remplacer l’expression connotée « registration certificate ». Personne ne s’oppose à faire immatriculer son automobile, et parfois son vélo, à des fins administratives. Je souhaite ainsi que l’on immatricule son arme à feu à autorisation localisée dans le même esprit.
En sixième lieu, le projet de loi S-223 renforce les rôles de la Gendarmerie royale du Canada et du commissaire aux armes à feu en précisant leurs responsabilités dans le processus de classification des armes à feu, ce qui est inexistant dans la loi actuelle. Pour plus de précision, sous le régime du projet de loi S-223, et contrairement au projet de loi C-42, le gouverneur en conseil devra s’appuyer sur les recommandations du commissaire aux armes à feu lorsqu’il utilisera son pouvoir discrétionnaire pour désigner une arme à feu de chasse par règlement. En outre, le gouverneur en conseil ne disposera pas de pouvoirs discrétionnaires pour désigner une arme à feu autre qu’une arme à feu de chasse, et cela contrairement à la loi C-42. Il s’agit d’un ajout important à la loi actuelle, puisque le rôle de ces acteurs n’est pas clairement expliqué dans notre régime lorsque vient le temps de classifier une arme.
De plus, le projet de loi S-223, contrairement à la loi C-42, ne permet pas au gouvernement de décider de manière unilatérale la « déclassification » d’une arme à feu et ne permet pas de « déjuger » la GRC, c’est-à-dire de lui enlever le pouvoir de mesurer la dangerosité. Le dossier traité par l’ancien ministre de la Sécurité publique Blaney dans le dossier des Swiss Arms en est un bel exemple.
En 2014, à la suite de plaintes selon lesquelles ces armes à feu semi-automatiques pouvaient être facilement converties en armes à feu automatiques, la Gendarmerie royale du Canada a mené une enquête. Au terme de cette enquête, la GRC a prohibé les Swiss Arms. Furieux, plusieurs lobbyistes d’armes à feu ont fait pression sur le gouvernement conservateur pour qu’il infirme la décision de la GRC.
Comme la loi de l’époque ne permettait pas de « déclassifier » une arme à feu, le ministre Blaney a pris, le 13 mars 2014, un décret d’amnistie de deux ans afin de protéger les propriétaires de ces armes contre les dures peines que son propre gouvernement avait prévues dans le cadre du projet de loi C-10 en 2012, ce qui paraissait absurde. Donc, même le ministre qui avait légiféré sur ce dossier est revenu sur son propre projet de loi. Enfin, le ministre Blaney a annoncé ce qui suit, dans un communiqué de presse daté du 28 février 2014, et je cite :
J’ai été troublé d’apprendre que des bureaucrates non élus ont décidé d’interdire certaines armes importées de la Suisse.
Il parlait de la GRC. Il a affirmé ensuite qu’il prendrait des mesures pour assurer que cela ne se reproduise pas.
Je traduis : le ministre de l’époque n’aimait pas que ceux qui sont responsables de la sécurité des Canadiens prennent des mesures contraires aux intérêts des groupes de pression des armes à feu. Le ministre a donc proposé des mesures dans le cadre du projet de loi C-42, qui ont pris la forme d’un pouvoir discrétionnaire confié au Cabinet pour « déclassifier » des armes à feu, même si cela s’opposait aux recommandations de la GRC.
Mon septième et dernier point est le suivant : mon projet de loi abroge toutes les modifications que la loi C-42 a apportées à notre régime canadien des armes à feu, à l’exception du cas où une personne coupable de violence conjugale ne pourra jamais plus recevoir de permis de possession et d’acquisition d’armes à feu.
Je terminerai l’explication du texte de mon projet de loi qui, soit dit en passant, est très volumineux, en rappelant son titre, Loi renforçant la sécurité des Canadiens et promouvant la chasse et le tir sportif. Je ne reviendrai pas sur la question de la sécurité. J’ai suffisamment expliqué en quoi les Canadiens bénéficieraient réellement de ce projet de loi à ce chapitre. Cependant qu’en est-il de la promotion de la chasse et du tir sportif?
Le projet de loi S-223 redéfinit les armes de chasse au sens strict et fait de ces armes les seules qui aient l’autorisation de se trouver entre les mains des usagers sur le territoire canadien. Il donne toute sa légitimité à cette activité en lui accordant un privilège que nulle autre arme à feu ne possède. Il ne rétablit pas le registre des armes à feu. Autrement dit, c’est un projet de loi qui est favorable à la chasse et aux chasseurs, et je m’en réjouis. En outre, je suis sûre que si mon père était encore parmi nous, il en serait heureux.
La définition restrictive de l’arme de chasse retenue dans mon projet de loi est basée sur les indications des chasseurs et d’un instructeur du Cours canadien de sécurité dans le maniement des armes à feu, et sur le modèle britannique. Ce projet de loi fait du chasseur le détenteur d’une arme à feu qui est réellement consacrée à la chasse. L’image du chasseur devrait donc en ressortir améliorée dans l’opinion publique.
Quant aux clubs de tir, la nouvelle classification énoncée dans mon projet de loi, notamment la nouvelle catégorie des armes à feu à autorisation localisée, permet de développer un marché tout en assurant la sécurité. En effet, le fait de contraindre l’usage des armes à feu semi-automatiques d’autres calibres que le calibre .22 aux clubs de tir et d’en obliger l’entreposage accroît de facto l’activité des clubs de tir qui, moyennant l’aménagement des lieux, pourront même devenir des armureries et pourront s’associer à elles.
Pour conclure, je tiens à remercier l’équipe d’avocats, de juristes, de légistes et de rédacteurs du Sénat qui ont travaillé très fort au cours de l’été dernier pour faire de ce projet de loi une réalité. Il n’a pas été conçu en quelques minutes, je peux vous l’assurer. Ce projet de loi respecte les amoureux de la chasse et les passionnés du tir tout en apportant de réels bienfaits à la sécurité des Canadiens.
Comme je l’ai déclaré au tout début de mon discours, j’ai toujours été une personne indépendante. J’ai toujours défendu mes idées et travaillé au service des Canadiens et des Canadiennes. Je viens d’une famille de chasseurs qui a habité une petite ville au nord de Montréal, qui a toujours eu du plaisir à consommer du gibier toute l’année, mais je crois cependant aux politiques sur le contrôle des armes à feu.
L’élaboration de ce projet de loi s’est effectuée en l’absence de dogmatisme et d’idéologie. Je me suis fondée sur des faits, des chiffres et des résultats documentés tirés des politiques canadiennes, américaines et britanniques. J’ai également mis sur pied une base de travail pour tout gouvernement ou toute organisation non gouvernementale qui voudra faire un pied de nez au lobby des armes, qui est très actif, mais qui, à mon avis, n’a pas à cœur la sécurité des Canadiens et Canadiennes.
1 Avis
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Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’apporter des arguments ici pour manifester son désaccord face à ce projet de loi: le texte parle de lui-même et il est, de toute évidence, complètement farfelu.
Les propositions contenues dans ce projet de loi on clairement été rédigées par des personnes qui ne connaissent ni ne comprennent rien aux armes à feu et à leurs propriétaires. De telles propositions, bâties à partir d’idées préconçues, de préjugés et d’une peur justifiée par la seule l’ignorance du sujet, montrent un manque total de respect envers les Canadiens et Canadiennes respectueux des lois et de leurs concitoyen(ne)s et portent atteintes aux droits et libertés de tous et chacun.
Pendant que les vrais criminels continueront de courir les rues, l’application d’une telle loi criminaliserait alors des milliers de gens honnêtes et sans histoire.
J’espère sincèrement que vous descendrez de votre nuage et que vous reprendrez contact avec la réalité et que cette loi ridicule, stupide, inutile, loufoque, rétrograde et révoltante ne verra jamais le jour.