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Nick Sibbeston

L Nommé au Sénat par le Très honorable Jean Chrétien, le sénateur Nick Sibbeston représente les Territoires du Nord-Ouest et la division sénatoriale Territoires du Nord-Ouest. Sa nomination remonte au 2 septembre 1999.

Deuxième lecture du projet de loi C-377, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières)

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Déclaration faite le 07 mai 2013 par la sénateure Pierrette Ringuette

L'honorable Pierrette Ringuette :

Honorables sénateurs, j'aimerais remercier les sénateurs Cowan, Tardif, Hervieux-Payette, McCoy, Mercer et Rivest de leur contribution au débat sur le projet de loi C- 377.

Je désire vous faire part aujourd'hui de mon opinion concernant le projet de loi C-377, qui a été présenté au Sénat par la sénatrice Eaton et par le député Russ Hiebert à l'autre endroit.

Le projet de loi C-377 constitue une attaque pernicieuse non seulement à l'endroit des organisations ouvrières, mais aussi contre tous les Canadiens qui travaillent fort et leurs familles.

Dans son discours, la sénatrice Eaton a tenté de son mieux de nous faire accepter le faible argument du cabinet du premier ministre, à savoir que les organisations ouvrières devraient être assujetties aux mêmes exigences en matière de rapports financiers que celles imposées aux organismes de bienfaisance. Au mieux, cette comparaison est malhonnête; au pire, elle traduit une croyance selon laquelle quiconque gagne sa vie honnêtement en travaillant pour une organisation ouvrière vit de la charité des autres. Certains Canadiens, du haut de leur piédestal, partagent peut-être cette opinion, mais les travailleurs du monde entier, en particulier les travailleurs canadiens et leurs familles,, sont reconnaissants du fait que les organisations ouvrières défendent sans relâche leurs intérêts. Pour ma part, je les remercie des batailles longues et ardues qu'elles ont livrées pour améliorer le sort de tous les Canadiens, et non seulement ceux qui sont syndiqués.

En tout premier lieu, j'aimerais remettre les pendules à l'heure concernant les arguments invoqués par la sénatrice Eaton pour justifier la présence au Sénat d'un tel projet de loi. Elle nous a indiqué que les organisations de bienfaisance, depuis plusieurs années, rendent public, par l'intermédiaire de l'Agence du revenu du Canada, un rapport de leurs revenus et dépenses en guise de reddition de comptes afin d'émettre des reçus déductibles d'impôt à leurs bienfaiteurs. Avec cet argument, elle croit justifier que les organisations de relations ouvrières recevant le même bénéfice que celles-ci devraient aussi remettre au grand public, via le ministre du Revenu du Canada, des états financiers détaillés.

Honorables sénateurs, les similarités invoquées par la sénatrice Eaton sont sans fondement et, selon moi, font l'objet d'un préjudice sérieux auprès des Canadiens et Canadiennes syndiqués.

Voici ce que la sénatrice a omis de vous indiquer :

Les quelque 85 000 œuvres de bienfaisance sont accréditées uniquement par le gouvernement fédéral, par une unité d'accréditation de Revenu Canada qui est responsable de superviser leurs activités financières pour maintenir cette accréditation. C'est aussi pourquoi la divulgation d'informations concernant les finances et activités d'organismes de bienfaisance est régie par la Loi de l'impôt sur le revenu, sous l'égide de Revenu Canada.

La plupart des Canadiens qui contribuent à ces organisations n'en sont pas membres et n'auraient donc aucun autre moyen de vérifier les comptes. De plus, Revenu Canada, en publiant certaines informations financières sur ces organisations, se dégage quelque peu de ses responsabilités de supervision en invitant le public à commenter. En somme, si ce n'était de la loi visant à rendre publiques les finances et activités de ces organismes de bienfaisance, leurs contributeurs n'auraient pas accès à ces informations. Tel n'est pas le cas pour les organisations ouvrières.

Voici ce qu'a déclaré la sénatrice Eaton :

[...] notre gouvernement l'appuie, affirmant par le fait même que les entités qui bénéficient des deniers publics devraient rendre ouvertement des comptes sur la manière dont elles les emploient.

La position du cabinet du premier ministre, telle que véhiculée par la sénatrice, révèle la véritable portée du projet de loi C-377. Je vais approfondir cette question plus loin dans mon discours, tout en analysant la nouvelle définition de l'expression « organisation ouvrière » qui figure dans le projet de loi C-377.

La réalité est que moins de 10 p. 100 des organisations ouvrières au Canada sont régies par le ministre du Travail fédéral conformément au statut du Code du travail canadien. L'article 110 de ce code stipule, pour les organisations syndicales et les organisations d'employeurs, l'obligation de fournir leurs états financiers à leurs membres, c'est-à-dire leurs contributeurs, à titre de prescription de reddition de comptes, et il en va de même pour la régie des organisations ouvrières dans la plupart des provinces.

Notez qu'il est faux de dire que les organisations de relations ouvrières bénéficient de déductions d'impôt. En réalité, ce sont les travailleurs et les travailleuses, individuellement, qui peuvent déduire leur contribution de leur impôt, s'il y a lieu. Les organisations d'employeurs et les organisations d'employés qui ont pour objet de régir les relations entre les employeurs et les employés sont considérées par Revenu Canada comme des organisations à but non lucratif, au même titre que les associations de médecins, d'ingénieurs, d'infirmières, d'enseignants, et cetera.

La sénatrice Eaton prône aussi que la France, l'Angleterre, les États-Unis et l'Australie ont des lois similaires au projet de loi C- 377. C'est encore faux. La législation de ces pays en cette matière provient de leur autorité en relations ouvrières et non de leur juridiction fiscale. De plus, les informations perçues sont minimes par comparaison aux extrêmes que nous retrouvons dans le projet de loi C-377.

Honorables sénateurs, en résumé, les arguments en faveur du projet de loi C-377 sont essentiellement faux.

Permettez-moi maintenant de parler des enjeux sérieux liés au projet de loi C-377, car je ne voudrais pas perdre mon temps à continuer de réfuter les arguments faibles et boiteux invoqués par la sénatrice Eaton pour défendre cette mesure législative.

A priori, mais pas uniquement, ce qu'il faut vraiment reconnaître dans le projet de loi C-377 est son non-respect de la Constitution canadienne par rapport à la juridiction constitutionnelle des provinces; son entrave à la Charte canadienne des droits et libertés; et son abdication à nos engagements internationaux sous la Convention 87 — Liberté d'association et d'organisation, 1948 — de l'Organisation internationale du travail des Nations Unies, convention que le Canada a entérinée en 1972, suite à l'agrément des provinces; son atteinte à la vie privée des Canadiens et Canadiennes; et l'ampleur de sa définition d'organisation ouvrière.

Honorables sénateurs, est-il nécessaire de vous rappeler que notre présence au Sénat a pour but de porter un second regard sur les projets de loi adoptés par l'autre Chambre et de s'assurer que ces projets de loi soient conformes à la loi du pays et le respect des provinces que nous représentons individuellement? L'ensemble de la population canadienne s'attend pleinement que les législateurs qu'ils ont élus au Parlement et à leurs assemblées législatives respectives connaissent au moins les paramètres législatifs du pays, c'est-à-dire la Constitution, dans l'élaboration de nos lois.

La Constitution décrit, à l'article 91, les matières de compétence exclusive au Parlement, et, à l'article 92, celles qui sont de compétence exclusive aux provinces. Les relations ouvrières relèvent de la compétence exclusive des provinces, à l'article 92, sous la catégorie de sujets 13, la propriété et les droits civils dans la province. Ces droits civils incluent le droit contractuel, le fondement d'organisations patronales et syndicales qui négocient et sont signataires à des contrats régissant les relations ouvrières. La jurisprudence confirme cette exclusivité.

J'aimerais ouvrir une parenthèse concernant la jurisprudence en matière fédérale, en matière de relations ouvrières. Il s'agit d'une exception en faveur du fédéral qui se limite aux situations où le fédéral régit les opérations de sociétés à caractère interprovincial, comme la Société canadienne des postes, Air Canada, les traversiers interprovinciaux. C'est-à-dire que le Parlement peut légiférer dans le domaine des relations ouvrières pour les industries, commerces et entreprises sous sa juridiction, selon la nature de leur exploitation. Aussi, le Parlement peut avoir un pouvoir de légiférer en sa sphère de compétence s'il y a un état d'urgence, une situation grave qui porte atteinte à la vie ou à la survie de l'État.

Honorables sénateurs, vous conviendrez que le projet de loi C-377 n'est pas une urgence, ni une question de vie ou de survie de l'État. Ce projet de loi est une intrusion pure et simple dans la compétence provinciale. D'ailleurs, quatre provinces ont déjà signalé leur désaccord. Est-ce que l'objet, le caractère essentiel du projet de loi C-377, vise les relations ouvrières, ou s'ingère-t-il dans la fiscalité pour camoufler son champ d'application?

Même si le titre du projet de loi C-377, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu, suggère une mesure fiscale, le sous-titre du projet de loi, Exigences applicables aux organisations ouvrières, est un indice clair qu'il s'agit d'une mesure uniquement applicable aux organisations ouvrières, qui relèvent exclusivement de la compétence provinciale.

En d'autres mots, le gouvernement Harper, avec son projet de loi C-377, tente de faire par la porte de derrière ce qu'il n'a pas compétence de faire par la porte de devant. Le projet de loi C-377 ne fait pas partie intégrante de sa compétence principale dans le sujet. Est-ce que le projet de loi C-377 doit se lire strictement pour les organisations ouvrière sous le ressort du fédéral, c'est-à-dire environ 10 p. 100 de ces organisations?

La Loi de l'impôt sur le revenu, pour des fins de déduction, reconnaît dans la même catégorie l'objet « cotisations », celles-ci étant nécessaires à un Canadien et/ou une Canadienne pour recevoir un revenu de son travail, peu importe l'organisation qui reçoit ces cotisations. Pour les fins de déduction, c'est le travailleur qui doit démontrer au fisc la pertinence de ces cotisations vis-à-vis de son revenu. Je vous réfère au bulletin d'interprétation IT-158R2 et IT- 103R de l'Agence du revenu du Canada pour en faire la constatation.

Afin que ce projet de loi soit à caractère et d'objet fiscal, la Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu devrait cibler l'objet fiscal que sont les cotisations. Honorables sénateurs, vous pouvez lire et relire le projet de loi C-377, et nulle part dans son contenu vous ne trouverez le mot « cotisations ».

Donc, la matière, l'objectif, l'essence et la nature de ce projet de loi n'est nullement fiscal, mais bel et bien dans la gérance financière et organisationnelle des organisations ouvrières, qui est de compétence provinciale.

Il n'y a aucune mesure fiscale, ni plus ni moins d'imputations sur le revenu des travailleurs. Le projet de loi C-377 est une ingérence administrative et opérationnelle ayant pour objectif le programme politique du gouvernement.

D'ailleurs, l'Association du Barreau canadien a écrit au président du Comité des finances de l'autre Chambre qu'il n'était pas approprié d'apporter des restrictions opérationnelles sous forme d'amendement à une loi fiscale. Si le projet de loi avait pour objet les mesures fiscales pour les organisations à but non lucratif, notamment les organisations ouvrières, il s'adresserait à l'ensemble de la catégorie fiscale que sont les organisations à but non lucratif.

La spécificité du projet de loi C-377 ne se situe pas dans le fiscal. Il suffit d'en lire le sommaire :

Le texte modifie la Loi de l'impôt sur le revenu afin d'exiger que les relations ouvrières fournissent des renseignements financiers au ministre afin qu'il puisse les rendre publics ».

Le projet de loi C-377 est déguisé en droit fiscal, mais sa réalité en est une de gestion interne qui relève des provinces.

En 1972, lorsque le gouvernement canadien a entériné la Convention 87 de l'Organisation internationale du travail des Nations Unies, il a dû recevoir l'agrément des provinces puisqu'il s'agissait de leur compétence exclusive. Il est donc de notre responsabilité, puisque nous sommes les seuls représentants des provinces au Parlement canadien, de rejeter le projet de loi C-377 puisqu'il touche à la compétence des provinces.

La promulgation, en 1982, de la Constitution canadienne et de la Charte canadienne des droits et libertés a établi notre maturité en tant que pays et en tant que société libre et démocratique. C'est un symbole de liberté pour nos concitoyens et une source d'inspiration pour de nombreux pays du monde entier. Les libertés d'association et d'expression font partie des libertés fondamentales dont jouissent les Canadiens. L'article 32 de la Charte indique clairement que celle- ci s'applique au Parlement, au gouvernement du Canada, ainsi qu'à l'assemblée législative et au gouvernement de chaque province. Au Canada, tous les législateurs doivent se conformer à la Charte lorsqu'ils s'acquittent de leur responsabilité de légiférer.

Honorables sénateurs, bien que la Charte garantisse des droits individuels, ces droits sont essentiellement accordés aux organismes également lorsqu'une personne cherche à s'y joindre pour exercer ses droits ou ses aspirations, comme l'honorable juge McIntyre l'a indiqué. Par extension, les syndicats jouissent des droits et des libertés individuels de leurs membres, des Canadiens justes qui exercent leurs libertés d'association, d'expression et de réunion pacifique dans le but commun d'améliorer leur vie en général et les conditions de leur citoyenneté. Ces libertés individuelles exercées collectivement par l'entremise d'une association ou d'un organisme dans un but commun peuvent exiger la tenue d'activités politiques ou apolitiques. Elles peuvent exiger que des sommes soient consacrées strictement à l'amélioration de divers aspects de la vie, comme les soins de santé, la retraite, un congé de maladie, les services d'un avocat, et ainsi de suite, qui font tous partie intégrante des libertés de parole et d'association dans le but de faire avancer une cause. La divulgation publique excessive dont les éléments sont énumérés dans le projet de loi C-377 constitue une contrainte directe aux droits et libertés individuels prévus par la Charte et, par conséquent, aux droits collectifs des individus regroupés dans une association.

Plusieurs sénateurs se souviendront du sénateur Beaudoin. Son livre, intitulé La Constitution du Canada, qu'il m'a donné, décrit les limites raisonnables qu'un corps législatif peut invoquer pour restreindre les droits et libertés. Il ajoute que ces limites doivent être raisonnables et justifiables dans une société libre et démocratique et que le fardeau de la preuve appartient à l'entité qui cherche à limiter ces droits et libertés. Je répète, parce que c'est important : le fardeau de la preuve appartient à l'entité qui cherche à limiter ces droits et libertés. Le législateur doit démontrer l'urgence de la situation lorsqu'il cherche à limiter les droits et libertés, et démontrer qu'on s'efforce de maintenir un équilibre entre l'importance de la question et les mesures proposées par voie législative.

Les partisans du projet de loi C-377 n'ont pas réussi à nous convaincre du caractère raisonnable ou justifiable de la mesure ou encore de l'existence d'un problème urgent menaçant la stabilité du Canada.

Honorables sénateurs, comme je l'ai mentionné plus tôt, en 1972, le Canada, avec l'accord des provinces, a ratifié la Convention 87, la Convention sur la liberté d'association et la protection du droit syndical de l'Organisation internationale du travail des Nations Unies.

L'article 3 de la Convention 87 dit ceci :

3. (2) Les organisations de travailleurs et d'employeurs ont le droit d'élaborer leurs statuts et règlements administratifs, d'élire librement leurs représentants, d'organiser leur gestion et leur activité, et de formuler leur programme d'action.

3. (1) Les autorités publiques doivent s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal.

Si je cite la Charte canadienne des droits et libertés et la Convention internationale 87 dans mes arguments sur les libertés, c'est parce que je crois que ces deux instruments sont complémentaires et inextricablement liés, surtout lorsqu'il est question du projet de loi C-377. La Convention 87 a été ratifiée en 1972 par le Canada et les provinces, avant l'inscription de la Charte dans notre Constitution en 1987. Le droit individuel dont il est question dans la Charte vient s'ajouter au droit collectif de tous les Canadiens découlant de la Convention 87.

Remarquez qu'au titre de la Convention 87, les organisations ont le droit d'organiser leur gestion et leur activité et de formuler leur programme d'action. La liste de renseignements qui doivent être rendus publics aux termes du projet de loi C-377 constitue une violation complète de l'article 3 de la Convention 87, que nous avons signée aux Nations Unies.

Les sénateurs savent sûrement qu'il y a quelques années, l'Organisation internationale du travail a commencé à faire enquête sur des plaintes émanant de trois pays au titre de l'article 3 de la Convention 87. En substance, ces trois pays faisaient l'objet de la même plainte, soit une plainte de surveillance exercée par l'État sur la caisse des organisations ouvrières. Les trois pays en question sont le Guatemala, le Pakistan et le Zimbabwe.

Oui, honorables sénateurs, grâce au projet de loi C-377, le Canada se joindra à un club sélect de pays regroupant le Guatemala, le Pakistan et le Zimbabwe, qui, aux Nations Unies, ont la réputation d'exercer une surveillance indue sur les caisses des organisations ouvrières. Voilà qui ne correspond certainement pas à la reconnaissance internationale à laquelle aspirent les Canadiens. En tant que membres de la Chambre de second examen objectif du Canada, les sénateurs, individuellement et collectivement, ne devraient pas appuyer un projet de loi comme le projet de loi C- 377, qui comporte des lacunes inhérentes et évidentes. Son adoption serait source de honte pour le Sénat et le Canada, tant sur la scène nationale qu'internationale.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-377 pose aussi la grande question du droit à la vie privée, car il exige la divulgation de renseignements détaillés, notamment le nom de la personne, pour tout versement de plus de 5 000 $ par année. La personne en question peut être un employé, un fournisseur de services ou un retraité, par exemple.

Se peut-il que le projet de loi C-377 soit d'une telle absurdité? Quelle méconnaissance de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui s'applique à toutes les lois fédérales, y compris la Loi de l'impôt sur le revenu, que le projet de loin C-377 tente de modifier sans raison. Permettez-moi d'énumérer les dispositions les plus évidentes de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Article 4 :

Les seuls renseignements personnels que peut recueillir une institution fédérale sont ceux qui ont un lien direct avec ses programmes ou ses activités.

Paragraphe 5(1) :

Une institution fédérale est tenue de recueillir auprès de l'individu lui-même, chaque fois que possible, les renseignements personnels destinés à des fins administratives le concernant, sauf autorisation contraire de l'individu ou autres cas d'autorisation prévus au paragraphe 8(2).

Paragraphe 8(1) :

Les renseignements personnels qui relèvent d'une institution fédérale ne peuvent être communiqués, à défaut du consentement de l'individu qu'ils concernent, que conformément au présent article.

Le paragraphe 8(2) énumère ensuite les exceptions, dont les mandats, les poursuites judiciaires, et le reste.

Le projet de loi C-377 n'exige pas que les particuliers consentent à la publication de leurs renseignements personnels. Il contrevient donc à la Loi sur la protection des renseignements personnels.

En réalité, honorables sénateurs, le projet de loi C-377 contient deux exigences en matière de publication. La première prévoit que l'organisation ouvrière transmette des renseignements à Revenu Canada, et la deuxième prévoit que le ministre responsable de Revenu Canada transmette les renseignements au public par l'entremise du site web de cette agence.

L'Agence du revenu du Canada et son ministre devront communiquer avec chacun des membres des organisations ouvrières mentionnés dans les exigences de publication du projet de loi C-377 afin d'obtenir leur consentement écrit avant de pouvoir considérer que leurs renseignements personnels peuvent faire partie du domaine public. Cette seule activité signifie qu'il faudra probablement communiquer avec des millions de personnes au moins une fois année afin d'obtenir leur consentement écrit. Comme le projet de loi C-377 précise clairement que les renseignements doivent être publiés par le ministre, c'est lui, et non les organisations ouvrières, qui doit obtenir, auprès des Canadiens concernés, l'autorisation de publier leurs renseignements personnels.

Honorables sénateurs, je ne puis songer à un tollé, quel qu'il soit, dans l'opinion publique, qui pourrait rivaliser avec cette atteinte à la vie privée des travailleurs canadiens.

Voici une autre question qui demeure sans réponse : et si une organisation ouvrière signait un contrat de service contenant une disposition de non-divulgation?

Je vais maintenant passer au mot « organisation ». Il y a tellement de controverses au sujet du projet de loi C-377 dont je n'ai pas encore parlé. Toutefois, l'une d'entre elles est extrêmement importante, et elle porte sur le mot « organisation ».

À l'article 149.01(1) proposé, on peut lire : « Les définitions qui suivent s'appliquent à l'article 149 et au présent article. » La définition suivante est donnée :

« organisation ouvrière » Association syndicale ou autre organisation ayant notamment pour objet de régir les relations entre les employeurs et les employés [...]

Par exemple, la Cour suprême a statué récemment que, bien qu'elle ne soit pas accréditée, l'association des membres de la police montée avait les mêmes droits qu'un organisme accrédité puisque sa raison d'être est de réglementer les rapports avec l'employeur. Ce précédent sera appliqué à toutes les organisations syndicales et patronales, comme la Ligue nationale de hockey ou la Ligue canadienne de football.

La définition comprise dans le projet de loi s'appliquerait à un large éventail d'organismes, n'importe quel groupe dont les fonctions peuvent être considérées comme des relations de travail. Ce groupe comprendrait des associations professionnelles, comme l'Association médicale canadienne, l'Association du Barreau canadien, la Ligue nationale de hockey et la Ligue canadienne de football, des groupes auxquels, si je ne m'abuse, certains d'entre nous appartiennent.

Honorables sénateurs, nous avons tous entendu l'expression « Méfiez-vous de ce que vous souhaitez. »

La sénatrice Tardif : C'est vrai.

La sénatrice Ringuette : Bien, voilà. Cette définition comprend les organisations patronales, car elle comprend les mots « ou autre organisation », et s'applique non seulement au nouvel article 149.01, mais aussi à l'article 149 en entier.

C'est normal puisque, comme on dit, le tango se danse à deux; autrement dit, il faut qu'il y ait deux parties. Pour qu'il y ait une « relation », il faut que l'employeur et l'employé y participent. Cette nouvelle définition s'apparente à davantage à une autre définition qu'on a pu trouver dans les ouvrages suivants.

Celui de Gérard Dion, par exemple, le seul dictionnaire canadien des relations industrielles, offre à la page 326 une définition du mot « organisation » pour le contexte des relations industrielles, qui se lit comme suit : « [...] tout groupement permanent visant à la réalisation d'objectifs déterminés. Une entreprise est une organisation, de même un syndicat. »

En outre, à la page 5 du Code canadien du travail, on définit le terme « organisation patronale » comme étant un groupement d'employeurs ayant notamment pour objet de réglementer les relations entre employeurs et employés, et à la page 6, on y définit le mot « syndicat » comme étant une association — y compris toute subdivision ou section locale de celle-ci — regroupant des employés en vue notamment de la réglementation des relations entre employeurs et employés.

Dans la Loi sur les relations industrielles du Nouveau-Brunswick, le terme « organisation d'employeurs » s'entend d'une organisation d'employeurs formée à des fins comprenant la réglementation des relations entre employeurs et salariés et comprenant toute organisation ayant comme buts, ou l'un de ses buts, la réglementation des relations entre employeurs et salariés, et s'entend également d'une organisation d'employeurs agréée.

L'article 10 de la Convention 87 de l'Organisation internationale du Travail des Nations Unies, que j'ai mentionnée plus tôt, propose la définition suivante :

Dans la présente convention, le terme « organisation » signifie toute organisation de travailleurs ou d'employeurs ayant pour but de promouvoir et de défendre les intérêts des travailleurs ou des employeurs.

Honorables sénateurs, étant donné que la définition des termes « syndicat » et « organisation d'employeurs » est constante et uniforme dans les lois provinciales, fédérales et internationales sur les relations de travail, cela nous confirme que les exigences de divulgation prévues dans le projet de loi C-377 s'appliquent aux organisations d'employeurs.

Je crois aussi que si le projet de loi C-377 devait faire l'objet d'une contestation judiciaire, le tribunal pourrait fort bien décider qu'une entreprise est aussi une organisation. Les exigences du projet de loi C-377 s'appliqueraient donc aussi à un employeur unique qui doit réglementer les relations de travail qu'il entretient avec ses employés.

L'Association du Barreau canadien a abordé brièvement cette question dans une lettre qu'il a fait parvenir au président du Comité permanent des finances de la Chambre des communes.

Puisqu'il est précisé de façon explicite au paragraphe 149.01(1) que les définitions s'appliquent à l'ensemble de l'article 149, cela confirme l'inclusion des organisations d'employeurs, car à l'heure actuelle, ce terme n'est pas défini dans les dispositions exonératoires de la Loi de l'impôt sur le revenu.

Par exemple, l'article 149.1, à la page 2176 de la Loi de l'impôt sur le revenu, est celui qui énumère les particuliers ou les entités qui sont actuellement exonérés d'impôt. Les organisations ouvrières se trouvent à l'alinéa 149(1)k).

La nouvelle définition qui figure dans le projet de loi C-377 et est applicable à l'article 149 a un but : ajouter les organisations d'employeurs à l'article 149.01 sur les exemptions. C'est sûrement nécessaire, étant donné qu'elles sont aussi soumises aux obligations de communication de renseignements du projet de loi C-377.

Honorables sénateurs, il ne faut pas s'y tromper. C'est un groupe d'intérêt spécial antisyndical qui est parvenu à faire venir jusqu'ici un projet de loi qui est un vrai cheval de Troie, avec l'aide de ses amis du cabinet du premier ministre, qu'il doit remercier d'avoir ouvert les portes du Parlement. L'objectif est simple : un espionnage par les sociétés qui soit autorisé par la loi. C'est une guerre déclarée au mouvement syndical canadien, avec l'appui de l'État. De façon flagrante, le gouvernement arme les grandes sociétés au moyen de mesures comme le projet de loi C-377. Voilà qui est répréhensible et indigne du Sénat.

Ma seule consolation, c'est que la bombe va leur exploser en plein visage : elles devront se conformer aux mêmes mesures de divulgation. Oublions les déclarations de revenus à faire tous les trois ans, comme c'est le cas du grand promoteur de ce projet de loi, Merit Canada.

Honorables sénateurs, il y a certainement d'autres problèmes que recèlent différents article du projet de loi C-377, en plus de ceux que j'ai signalés. Toutefois, je suis fermement convaincue que ceux que j'ai énumérés justifient l'abandon de l'étude du projet de loi. La portée du projet de loi C-377 s'étend non pas à un millier d'organisations, mais à environ 50 000, qui représentent des millions de travailleurs canadiens et leurs employeurs.

Le projet de loi n'a rien à voir avec la fiscalité ni avec le contribuable, comme on l'a prétendu. Quel intérêt pour le contribuable de savoir qui fait le ménage du bureau d'un syndicat. C'est une tactique odieuse ourdie par des groupes d'intérêt. L'enjeu du projet de loi, ce sont les relations ouvrières, qui relèvent de la compétence des provinces. Le but du projet de loi, c'est la surveillance des fonds des organisations ouvrières, comme elle se pratique au Guatemala, au Pakistan et au Zimbabwe. C'est inacceptable. Poursuivre l'étude de ce projet de loi et peut-être l'adopter, ce serait une honte pour le Sénat et tous les parlementaires canadiens, une honte aux niveaux national et international. Ce projet de loi ferait de nous tous des parias. Pensons-y à deux fois.

L'honorable Jane Cordy : L'honorable sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?

Le parrain du projet de loi a affirmé qu'il n'avait reçu aucune plainte de syndiqués selon laquelle ils étaient incapables d'obtenir de l'information de leurs dirigeants syndicaux. Lorsqu'elle a fait ses recherches sur le projet de loi, la sénatrice a-t-elle trouvé une surabondance de plaintes formulées par des personnes incapables d'obtenir de l'information des syndicats, ou croit-elle qu'il s'agit simplement d'un projet de loi antisyndical?

La sénatrice Ringuette : Honorables sénateurs, mes recherches révèlent que, au cours des 18 derniers mois, je crois, il y a eu en tout six plaintes. Si on considère qu'il y a 25 000 organisations qui représentent probablement entre 15 et 16 millions de travailleurs au Canada, on peut affirmer qu'il n'y a absolument aucun problème. Chose certaine, ce n'est pas une question urgente et c'est encore moins un problème qui menace l'État.

La sénatrice Cordy : J'ai lu les mêmes renseignements : six plaintes pour des milliers de syndiqués. Sauf erreur, ces six plaintes ont été réglées.

En écoutant l'intervention de la sénatrice, je me suis demandé, car je n'y avais pas pensé avant, ce qu'il en était des organisations de sportifs, par exemple l'Association des joueurs de la Ligue canadienne de football, ou celle des joueurs de la Ligue nationale de hockey. Croyez-vous qu'elles seraient assujetties à cette loi?

La sénatrice Ringuette : L'intention qui se profile derrière le projet de loi est tellement mesquine que le texte est truffé d'imperfections. Tout à l'heure, j'ai donné la définition aux honorables sénateurs.

Le sénateur Nolin doit être au courant de la démarche de l'association des policiers qui s'est adressée à la Cour suprême pour se faire reconnaître comme un groupe de négociation afin de négocier de meilleures conditions avec l'employeur. La Cour suprême a dit que, même si elle n'était pas un groupe accrédité d'employés, c'est-à-dire qu'elle n'était pas un syndicat, elle avait les mêmes droits, et elle est reconnue comme une association d'employés, au sens du projet de loi. Quand on considère sérieusement ce fait, l'association des policiers de la GRC est maintenant assujettie aux exigences du projet de loi en matière de divulgation. Aux termes du projet de loi, la LNH et la LCF et toutes ces organisations sportives professionnelles, employés aussi bien qu'employeurs, devront divulguer toutes les dépenses de plus de 5 000 $.

J'ai montré clairement aux honorables sénateurs que le terme « organisation », utilisé afin de régir les relations entre employeur et employé, a probablement une extension plus large que ce que souhaitait le promoteur du projet de loi. La rédaction est très médiocre. Par conséquent, il faudrait apporter des amendements, et on aurait dû en apporter à l'autre endroit. Toutefois, comme c'est le cas pour bien d'autres projets de loi, nous avons la mission de faire un second examen objectif.

Honorables sénateurs, je vous invite à vous rendre sur le site web de l'Organisation internationale du travail de l'ONU. En 1972, nous avons apposé notre signature pour affirmer le droit de syndicalisation et le droit d'association. Les honorables sénateurs peuvent-ils imaginer que, si ce projet de loi était soumis à l'ONU — même si nous y avons perdu beaucoup de terrain ces dernières années, et je suis persuadée qu'une organisation ouvrière au Canada déposera une plainte au sujet du projet de loi C-377 —, nous serons rangés aux côtés du Guatemala, du Pakistan et du Zimbabwe pour ce qui est des plaintes relatives au travail?

J'ignore si l'un des ministres ou le député qui propose le projet de loi demandent aux sénateurs de signer dans l'urgence parce qu'ils devront rester ici en juillet s'ils ne signent pas cette mesure qui nous fera honte sur la scène internationale.

C'est aux sénateurs de décider. Nous pouvons dire de ce projet de loi : trop, c'est trop. Au bout du compte, ce ne sont pas seulement les organisations d'employés qui sont visées et qui devront communiquer des renseignements. Toutes les organisations d'employeurs devront faire la même chose et, selon les interprétations judiciaires, cela pourrait aller jusqu'aux organisations formées d'un seul employeur.

Honorables sénateurs, j'ai dit tout à l'heure qu'il fallait se méfier de ce qu'on souhaite. Lisez le projet de loi. Faites des recherches. Depuis deux mois, j'examine le projet de loi et ses conséquences. C'est consternant. Je n'arrive pas à croire que nous soyons saisis de pareil projet de loi et qu'il ait été lu trois fois à l'autre endroit sans qu'on en examine sérieusement les conséquences.

J'espère que j'ai répondu à la question de la sénatrice Cordy. Pendant que j'ai la parole, puis-je avoir cinq minutes de plus?

Des voix : D'accord.

La sénatrice Ringuette : Cela dit, le projet de loi ne pose pas seulement problème par rapport à la Constitution, à notre Charte, loin de là : il aura également dans le monde entier des répercussions dont aucun d'entre nous ne devrait être fier.

La sénatrice Cordy : La sénatrice estime-t-elle aussi que le projet de loi s'appliquerait également aux associations telles que les Chambres de commerce canadiennes? Tiendrait-il compte, par exemple, des propriétaires de dépanneur canadiens? Des propriétaires d'entreprises indépendantes? Est-ce que toutes ces organisations seraient assujetties à la mesure législative?

La sénatrice Ringuette : À l'instar de la plupart des lois provinciales qui régissent les relations de travail, le projet de loi C-377 a expressément pour but de réglementer les relations entre les employeurs et les employés.

Par conséquent, si un organisme tel qu'une chambre de commerce s'est donné pour objectif de réglementer les relations entre les gens d'affaires de la région et leurs employés, la réponse est oui. Le problème, c'est la définition prévue dans la mesure législative. Aux termes du projet de loi C-377, une « organisation », c'est une entité ayant pour objet de régir les relations entre les employeurs et les employés. Par conséquent, quiconque correspond à cette définition serait assujetti à la loi.

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24 oct., 2013 | Par la sénatrice Joan Fraser | Honorables sénateurs, je ne veux en aucune façon interrompre le débat. Je sais qu'un bon nombre de sénateurs souhaitent encore prendre la parole, mais je veux mentionner quelques points.

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24 oct., 2013 | Par le sénateur Wilfred Moore | Monsieur le leader, croyez-vous qu'il est temps de charger un comité parlementaire de surveiller les activités du Centre de la sécurité des télécommunications Canada?
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