L’honorable Joseph A. Day (leader des libéraux au Sénat) :
Honorables sénateurs, je me joins au débat avec mes collègues pour appuyer le projet de loi C-211, qui demande l’élaboration d’un cadre global relatif à l’état de stress post-traumatique. Je tiens à remercier le sénateur Housakos d’avoir été le parrain de ce projet de loi indispensable et la sénatrice Bernard des observations réfléchies qu’elle a présentées plus tôt sur le sujet.
Je n’ai pas l’intention de parler longtemps aujourd’hui, mais je voulais attirer votre attention et insister sur le travail qui a déjà été fait dans ce dossier au Sénat et, en particulier, par le Sous-comité des anciens combattants du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense.
Lorsque j’étais président de ce sous-comité en 2014, celui-ci a commencé une étude exhaustive sur les répercussions médicales, sociales et opérationnelles des problèmes de santé mentale dont sont atteints des membres actifs et des membres retraités des Forces armées canadiennes. Entre autres problèmes, mentionnons les blessures de stress opérationnel, que l’on appelle parfois BSO, comme l’état de stress post-traumatique, ou ESPT. Notre étude avait pour objet d’examiner les programmes et services, tant publics que privés, offerts aux militaires actifs et aux anciens combattants des Forces armées canadiennes et de la Gendarmerie royale du Canada souffrant de blessures de stress opérationnel. Nous voulions aussi nous documenter sur les nouvelles technologies et les nouveaux traitements utilisés pour surmonter les problèmes de santé mentale.
Nous avons commencé par entendre des représentants des Forces armées canadiennes et de la GRC, des fonctionnaires, des experts en santé mentale et des fournisseurs de soins. Nous avons beaucoup appris sur la prévalence de l’état de stress post-traumatique et sur les programmes et services offerts à l’époque. Nous avons appris, en particulier, que l’état de stress post-traumatique est l’une des blessures opérationnelles les plus souvent associées au service militaire. Ainsi, selon le Dr Greg Passey, qui travaille à la clinique de traitement des traumatismes liés au stress opérationnel de la Colombie-Britannique, la recherche montre qu’entre 5 et 15 p. 100 — voire plus — de militaires qui reviennent de théâtres d’opérations sont en état de stress post-traumatique. Nous nous sommes documentés sur les composantes du traitement — traitement clinique, tel que la thérapie comportementale, accompagné ou non de médication, et appui psychologique offert, par exemple, par la famille et les collègues.
Nous avons également beaucoup appris sur la recherche relative aux blessures de stress opérationnel qui englobent tous ces différents symptômes. De concert avec le Collège militaire royal du Canada à Kingston, l’Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans, qui a été fondé il y a un peu plus de sept ans à l’Université Queen’s, est un leader dans cette recherche. Je peux vous dire, honorables collègues, que 43 universités du Canada et d’ailleurs collaborent à cette recherche. Outre les partenariats formés dans chacune de ces universités, il y a littéralement des centaines de chercheurs œuvrant dans ce domaine. Nous devrions être très fiers de l’œuvre de pionnier accomplie dans ce domaine par l’institut, qui a connu un essor très rapide.
Les Forces armées canadiennes et Anciens Combattants Canada travaillent beaucoup avec l’Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans.
Enfin, nous avons reçu beaucoup d’information de représentants de haut niveau des Forces armées canadiennes, de la Défense nationale, de la GRC ainsi que d’Anciens Combattants Canada sur divers programmes et services qu’ils fournissent à leurs membres en service et aux anciens combattants souffrant de blessures de stress opérationnel. Nous avons entendu parler de ce qui a bien fonctionné, mais aussi des obstacles bien réels à la collaboration entre les services. Bien que le sous-comité ait constaté de grands progrès, il reste encore beaucoup de travail à faire.
En juin 2015, après 13 audiences, nous avons déposé un rapport provisoire décrivant les conclusions du sous-comité. Je vous le recommande. C’est un excellent document d’information.
Aujourd’hui, près de trois ans plus tard, un article paru récemment dans le National Post nous rappelle que le problème persiste. Selon la Défense nationale, le nombre de membres des Forces armées canadiennes qui ont fait une demande de prestations d’invalidité à long terme a augmenté de 60 p. 100 au cours des cinq dernières années.
Comme le savent de théâtres d’opérations sénateurs, les symptômes de l’état de stress post-traumatique apparaissent souvent de nombreuses années après le traumatisme. C’est ce que nous commençons à voir, et ce que nous avons observé chez les anciens combattants de la guerre d’Afghanistan, un conflit où certaines personnes commencent tout juste à comprendre certains des symptômes que ces hommes et ces femmes ignoraient avoir.
Une autre facette de ce problème est extrêmement pénible. Les sénateurs se souviennent du nombre de décès annoncé chaque jour et qui ne cessait de grimper au moment de la présence du Canada en Afghanistan. Au total, 158 soldats sont morts dans des opérations pendant les années que nous avons passées en Afghanistan, mais, honorables sénateurs, on estime à près de la moitié de ce chiffre ceux qui sont morts par suicide depuis qu’ils sont rentrés d’Afghanistan, soit plus de 71 jusqu’à maintenant. Ce sont 71 anciens combattants de la guerre en Afghanistan qui sont morts parce qu’ils ne pouvaient pas supporter l’état de stress post-traumatique. C’est énorme. C’est près de la moitié. Nous avons souvent vu l’autre chiffre, mais nous ne voyons pas assez souvent ce deuxième chiffre pour comprendre que nous avons là un défi colossal.
Honorables sénateurs, selon le ministère, l’augmentation du nombre de demandes de prestations d’invalidité de longue durée est en partie attribuable à une sensibilisation et à une prise de conscience accrues à l’égard de ce problème, et c’est peut-être vrai. Les chiffres augmenteront à mesure que nous perfectionnerons les méthodes de diagnostic, car nous posons maintenant un diagnostic qui n’existait pas auparavant.
Voici ce que dit un article récent :
Depuis longtemps, des spécialistes nous préviennent qu’il faudra attendre des années avant de bien saisir l’ampleur des coûts psychologiques associés à la guerre en Afghanistan, puisqu’on s’attend à ce que bien d’autres anciens combattants demandent de l’aide après avoir participé à des missions [dans ce pays].
J’aimerais également souligner que le trouble de stress post-traumatique est un problème qui n’est pas seulement associé aux forces armées et au service militaire. Selon le Dr Passey, dont j’ai parlé plus tôt, le taux de trouble de stress post-traumatique et de suicide est même plus élevé chez les premiers intervenants, les ambulanciers, les pompiers et les policiers que chez les militaires et les anciens combattants qui ont combattu en Afghanistan. Il nous a dit également que le taux de trouble de stress post-traumatique est plus élevé chez les membres de la GRC que chez les membres des Forces armées canadiennes. Il y a donc un taux plus élevé chez les agents de la GRC et les premiers intervenants que chez les militaires, et nous savons déjà que le taux observé chez les militaires est inacceptable.
Natalie Harris, une ambulancière paramédicale qui a témoigné devant le Comité permanent de la santé à l’autre endroit, a raconté en détail comment elle a souffert du trouble de stress post-traumatique. Voici ce qu’elle a dit :
Nous pensions être suffisamment forts, mais personne n’est à l’abri. La force ne se mesure pas en fonction du nombre de décès que nous constatons. Elle se mesure par le nombre de décès dont nous acceptons de parler pour pouvoir dormir la nuit. Les premiers intervenants sont des gens extraordinaires, mais accepter d’en devenir un ne signifie pas qu’on accepte d’avoir le cœur brisé.
C’est tout à fait vrai. J’espère que la mise en place d’un cadre sur l’état de stress post-traumatique aidera tous les Canadiens qui, comme Mme Harris, souffrent de ce problème. C’est l’objectif de ce projet de loi.
Notre bon ami, l’ancien sénateur et lieutenant-général Roméo Dallaire, m’a rappelé récemment que le 100e anniversaire du décès du lieutenant-colonel et député Samuel Sharpe serait célébré ce printemps.
Vous le savez peut-être, le colonel Sharpe était député et il a servi en tant que soldat dans la bataille de la crête de Vimy, ainsi qu’à Passchendaele. Il est aussi, malheureusement, le premier politicien canadien qui, après être rentré de son service à l’étranger, s’est enlevé la vie en raison de troubles du stress post-traumatique. Je crois qu’il est tout à fait à propos que nous débattions de ce projet de loi à l’approche de cet anniversaire. J’appuie sans réserve le projet de loi C-211, et j’espère que vous ferez de même.