Troisième lecture du projet de loi C-210, Loi modifiant la Loi sur l’hymne national (genre)
Publié le 28 mars 2017 Hansard et déclarations par l’hon. Joan FraserL’honorable Joan Fraser :
Honorables sénateurs, je tiens à féliciter le sénateur Cormier de son discours, dans lequel il a présenté une vision très large et fait appel à nos sentiments les plus élevés. Cependant, il sait déjà que je ne suis pas d’accord avec lui.
Une voix : Bien essayé!
La sénatrice Fraser : Chers collègues, comme je l’ai déjà dit au Sénat et comme je le dirai probablement encore, je suis une féministe engagée, mais je n’appuie pas ce projet de loi pour plusieurs raisons.
Commençons par la raison qui est probablement la moins importante. Je pense que le libellé proposé, « in all of us command », est maladroit, lourd et banal. C’est un bon exemple de ce qui se passe lorsqu’on laisse la politique se mêler d’affaires qui ne la regarde pas. En général, les politiciens ne sont pas poètes.
En plus d’être extrêmement maladroit, le changement proposé ne fait rien pour enlever l’ambiguïté de cette phrase de notre hymne national. Mes collègues se souviendront de la discussion très intéressante que nous avons eue quand le sénateur MacDonald a parlé, à l’étape de la deuxième lecture, de la grammaire et de la signification réelle de la phrase « in all of us command ». À quoi fait référence le mot « command »? Que ce soit « in all of us » ou « in all thy sons », l’ambiguïté demeure. Si nous avions déjà décidé de modifier l’hymne national, pourquoi ne l’avons-nous pas modifié pour le rendre plus clair?
Pendant que j’y suis, l’amendement proposé ne fait rien pour améliorer une autre phrase que j’ai toujours trouvé discutable — selon les termes d’un comité parlementaire pour notre hymne national —, soit « from far and wide, O Canada, we stand on guard for thee ».
Je crois qu’il s’agit d’une tentative de reconnaître et de rendre hommage aux nouveaux arrivants dans ce pays, et Dieu sait à quel point ils méritent notre reconnaissance et notre considération. Sans eux, notre pays ne serait pas aussi grand et prospère qu’il l’est actuellement. Les paroles « From far and wide » rappellent un mouvement, alors que « Stand on guard » renvoie à une position stationnaire. Je ne vois pas comment les deux sont possibles à la fois.
C’est peut-être le genre d’objection à laquelle on peut s’attendre d’une ancienne réviseure. On peut bien quitter la salle de rédaction, mais la salle de rédaction ne nous quitte jamais. Je suggère que le Parlement, s’il décide, dans son infinie sagesse, de réécrire l’hymne national, ait recours aux services du poète officiel du Parlement, maintenant que nous en avons un, plutôt qu’aux services de parlementaires, qui, bien que passionnés et éloquents, ne sont pas des poètes.
Plus sérieusement, il y a la question de savoir si l’hymne national devrait refléter l’ensemble des valeurs que les Canadiens chérissent et tentent de respecter. En théorie, on pourrait affirmer que c’est la chose à faire. Nombre de sénateurs ont affirmé en effet que c’est la chose à faire, qu’il faut reconnaître que le Canada n’est pas uniquement composé de fils, mais également de filles.
Si nous voulons toutefois inclure les femmes, qu’allons-nous faire des autres groupes qui pourraient ne pas être pris en compte ou qui pourraient être offusqués par les paroles de l’hymne national? Par exemple, je m’interroge quant à la décision du comité parlementaire, qui souhaite inclure les paroles « God keep our land glorious and free ». La notion de « Dieu » a été ajoutée par les parlementaires. Ne vous y trompez pas, honorables collègues. Il est question du Dieu des chrétiens et pas celui des autres religions. Il ne fait aucun doute que les paroles renvoient au Dieu des chrétiens. Si quelqu’un en doute, il suffit d’examiner la version française, la version originale de l’hymne, qui fait référence à la croix et à la « valeur, de foi trempée » — la foi chrétienne, sans aucun doute.
Qu’en est-il des gens qui ne sont pas chrétiens? Qu’en est-il des athées ou des polythéistes? Comment se sentent-ils lorsqu’ils sont obligés de chanter « God keep our land glorious and free »?
À mon avis, il est inutile, voire insultant, de se lancer dans ce genre de choses. Dans ce cas, je pense que le comité parlementaire aurait dû laisser le concept de dieu à la conscience et la croyance de chaque citoyen.
La version anglaise de notre hymne national mentionne notre « home and native land ». À mon avis, cela ne fait pas référence aux peuples autochtones du Canada. Je crois plutôt que cela renvoie aux colons européens qui se sont installés au Canada il y a longtemps et dont les descendants sont nés et ont été élevés ici. Si on revient à la version française, on peut voir qu’il est question de la « Terre de nos aïeux », c’est-à-dire de la terre de nos ancêtres.
Lorsque je regarde autour de moi, je vois des sénateurs dont les ancêtres ne sont évidemment pas nés au Canada. Nous sommes très chanceux et heureux de tous les avoir. Pourquoi les excluons-nous de l’hymne national si nous essayons d’en faire une représentation appropriée de nos valeurs?
La réalité, c’est qu’il est très rare que les hymnes nationaux illustrent les valeurs d’aujourd’hui ou ce que ces valeurs pourraient être à un moment donné. Tous les hymnes nationaux ont tendance à être sanguinaires, ethnocentriques, axés sur une seule religion et non inclusifs de manière générale.
Permettez-moi de vous donner quelques exemples. L’hymne national du Brésil comprend des paroles qui se traduisent comme suit : « Tu ne verras aucun de tes enfants fuir le combat, ni même, celui qui t’adore, craindre la mort. » Soit dit en passant, l’hymne fait aussi mention de la croix.
L’hymne russe parle d’une terre natale protégée par Dieu.
Dans son hymne national, le Pakistan se décrit comme une citadelle de la foi. L’hymne comprend aussi la mention du drapeau du croissant et de l’étoile, des symboles musulmans.
(1610)
L’hymne de l’Italie affirme que les Italiens « sont prêts à mourir ». J’ignore l’origine de cette référence, mais elle se trouve dans le texte depuis très longtemps.
L’hymne national argentin dit : « Nous promettons de mourir dans la gloire. » En Irlande, on chante ce qui suit : « Nous entonnerons un chant, un chant de soldat […] impatients de livrer la bataille à venir. » En Grèce, on dit : « Sur la tombe de nos morts, votre bravoure prévaudra. »
Comme je l’ai dit à ce sujet il y a quelques années, l’exemple le plus frappant d’un hymne national qui ne reflète pas les valeurs d’aujourd’hui est sans doute La Marseillaise, qui a été écrit à la fin du XVIIIe siècle. Étant donné le contexte de l’époque, les références de l’hymne aux envahisseurs et à la tyrannie sont facilement compréhensibles. Toutefois, compte tenu des valeurs d’aujourd’hui, la plupart d’entre nous trouveront inacceptable de souhaiter que du sang impur abreuve les sillons de la France.
En fait, la valeur de ces hymnes nationaux ne repose pas sur les mots qu’ils utilisent. Ils sont plutôt portés par les générations de citoyens qui les ont entonnés dans ces pays.
On chante La Marseillaise depuis plus de 200 ans, et cet hymne a résonné durant les périodes de guerre. Si je ne me trompe pas, les Français n’étaient pas autorisés à le chanter pendant l’occupation nazie. Le simple fait de le chanter constituait un acte d’héroïsme et de loyauté ainsi qu’une affirmation de liberté. Voilà ce qui fait de La Marseillaise un symbole sacré, et non ses quelques mots sur le sang impur. La situation est la même pour les hymnes nationaux de partout dans le monde. Chers collègues, la même chose s’applique, selon moi, à celui du Canada.
Il y a eu des périodes dans l’histoire du pays où l’on ne tenait pas le patriotisme canadien pour acquis. Des périodes où se lever et dire : « Je crois en ce pays » exigeait un certain courage. Des périodes où chanter l’hymne national était une manifestation de ces croyances, de cette loyauté et de ce patriotisme. C’était le fait même de chanter, et non les mots, qui importait, et c’est toujours le cas.
Si nous laissons l’idée d’être correctement modernes en tout temps nous obnubiler, nous perdrons une partie de notre patrimoine. Notre patrimoine n’est peut-être pas parfait — et ce n’est pas ce que je prétends —, mais il est le nôtre. Je crois qu’il mérite qu’on le respecte et que nous l’acceptions pour ce qu’il est : il est imparfait, mais il est le nôtre.
Par conséquent, je n’appuie pas le projet de loi, même si j’ai le plus grand respect possible pour ceux et celles qui l’appuient ainsi que pour les intentions qui le sous-tendent.
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