Déclaration faite le 12 juillet 2010 par le sénateur Grant Mitchell
L'honorable Grant Mitchell :
Honorables sénateurs, moi aussi, je suis heureux de pouvoir participer au débat. Je fais écho à ce qui a été dit au sujet de l'excellent travail qu'ont réalisé au comité le sénateur Day et le sénateur Gerstein. J'ai connu un certain nombre d'expériences comme celles-ci au Sénat où un travail spécial devait être accompli, où nous avons agi dans un but bien précis sur une question importante et où nous avons travaillé de très près et très efficacement. J'espère que je parle au nom de la plupart d'entre nous dans cette enceinte quand je dis que nous ne vivons pas souvent ce genre d'expérience dans notre carrière. Je suis ravi d'en faire partie.
Tout cela a commencé parce que bon nombre de sénateurs de l'autre côté ont affirmé que nous n'avions pas besoin d'examiner ce projet de loi d'exécution du budget et que nous devrions plutôt l'adopter à toute vapeur plutôt que d'en retarder l'adoption et d'entraîner des coûts.
Savez-vous ce que j'ai remarqué jour après jour, heure après heure? Il y a eu peu de sénateurs conservateurs qui n'avaient pas d'idées, de déclarations ou de questions qui, selon eux, devaient être énoncées relativement à ces projets de loi. Je reçois un message mixte ici. D'une part, ils disent que cet exercice n'était pas nécessaire, mais, d'autre part, les conservateurs qui siègent au comité ont participé très activement et intensément, et ils ont proposé de bonnes idées. Je les remercie de nous avoir aidés à faire ce qui s'imposait. Je pense d'ailleurs que nous avons fait du très bon travail.
Lorsque nous avons amorcé ce processus, lorsque nous avons commencé à parlé de scinder le projet de loi, à expliquer que c'était un projet de loi omnibus, et à se demander qui, parmi le public, saurait ce qu'est une telle mesure, j'ai songé au fait que la prorogation avait sensibilisé une grande partie de la population canadienne. Les gens ont commencé à comprendre cette notion ésotérique de la procédure parlementaire qu'est la prorogation. Il est également vrai que les Canadiens commencent à comprendre la notion ésotérique qu'est un projet de loi omnibus qui peut cacher des mesures que le gouvernement souhaite adopter à l'insu du public. Grâce à nos efforts, les Canadiens savent maintenant ce qu'il en est.
D'une façon plus générale, les Canadiens commencent aussi à comprendre et à apprécier la procédure parlementaire. Partout au pays, un grand nombre de personnes sont très choquées de voir l'impact de ce projet de loi omnibus sur le processus législatif et sur l'avenir. Elles sont choquées de voir les dangers liés au fait que le gouvernement essaie de gouverner en malmenant le système législatif parlementaire d'une manière inacceptable.
À titre d'exemple, j'ai reçu une pétition du STTP, de Lethbridge, en Alberta. Je suis convaincu que notre collègue de Lethbridge, le sénateur Joyce Fairbairn, connaît tous ceux et celles qui ont signé cette pétition. Je ne peux pas déposer la pétition de façon officielle, parce qu'elle ne nous a pas été présentée d'une manière tout à fait conforme aux règles. La pétition est appropriée, mais elle n'est pas conforme à la procédure parlementaire. Je vais en lire un extrait qui reflète ce que toutes ces personnes pensent, à savoir : « Les quatre dispositions dont le comité a jugé qu'elles ne devraient pas être incluses dans un projet de loi d'exécution du budget devraient être étudiées individuellement et être acceptées ou rejetées en fonction de leur mérite. Le budget devrait être un budget et non pas une mesure fourre-tout dont le gouvernement du jour se sert pour inclure toutes sortes d'éléments disparates. » On ne pourrait pas mieux dire. Ces gens ont décrit exactement ce qu'il en est. Il y en a beaucoup d'autres au pays qui pensent comme eux, et c'est bien ainsi.
Je prends la parole très tard dans le débat et une foule de sujets ont déjà été abordés. Par conséquent, je vais essayer de ne pas répéter ce qui a déjà été dit. Je vais traiter de quelques points et les présenter sous un angle différent, afin d'apporter une contribution au débat.
Un certain nombre de questions affectent les petites et moyennes entreprises, en ce sens qu'elles créent un problème, qu'elles l'exacerbent ou encore qu'un problème existant n'est pas du tout réglé. Je vais en mentionner quelques-unes pour illustrer mon point de vue, parce que je crois déceler une tendance. Le gouvernement dit qu'il croit énormément aux petites et moyennes entreprises et au secteur privé. Il ajoute qu'il ne croit pas aux impôts et que, en fait, il les déteste. Pourtant, si vous analysez la situation comme nous l'avons fait durant toutes ces semaines, vous constatez que ni l'une ni l'autre de ces déclarations ne se reflète dans les mesures prises par le gouvernement.
Nous avions un article sur l'assurance-emploi. Au cours de notre étude, il est devenu très apparent, surtout d'après les témoignages des représentants des associations de PME, que la pire chose parmi tout ce que l'on peut faire pour limiter leur capacité d'investir, de prendre de l'expansion et de créer des emplois, c'est de lever une taxe sur l'emploi. En fait, ces représentants ont parlé abondamment du fait que le gouvernement permettra l'augmentation automatique des cotisations d'assurance-emploi au cours des cinq prochaines années. Ils ont dit que c'était une mauvaise chose, surtout à une époque où l'économie ne redémarre pas avec vigueur et intensité, même si elle se rétablit. La reprise est pour le moins précaire. Pour que la reprise soit vigoureuse, il faut que les PME soient prêtes à embaucher, à prendre de l'expansion et à faire de la recherche et du développement, ce qui nécessite des travailleurs. Ils soutiennent que l'assurance-emploi est une taxe sur l'emploi et que c'est la pire chose que l'on peut faire aux entreprises, mais c'est ce que fait le budget.
Le sénateur Day a mentionné que certains groupes que nous avons entendus affirmeraient que le gouvernement n'a pas donné aux manufacturiers ce qu'ils voulaient, soit une déduction pour amortissement accélérée. Le gouvernement a plutôt introduit une réduction sélective ou une réduction des droits de douane. Il est évident que les manufacturiers ne seraient pas déçus d'avoir les deux, mais ils préféraient nettement l'allocation pour amortissement accélérée. Les entreprises ont très bien su démontrer que ce serait plus efficace qu'une réduction des droits de douane, mais que ce serait aussi plus économique et moins interventionniste parce que toutes les entreprises pourraient en profiter et prendre les décisions leur permettant d'en profiter, et que ces déductions toucheraient davantage d'entreprises et auraient un effet plus direct sur l'économie. Les PME ont fait valoir auprès du gouvernement que c'est ce qu'elles préféreraient. Le gouvernement ne les a pas entendues.
Il y a aussi la TPS rétroactive à laquelle le sénateur Moore a fait allusion. Encore là, cela touche en grande partie les PME et les professionnels indépendants qui offrent des services financiers. Ce sont des gens qui se retrouvent dans tous les secteurs de l'économie. Ils sont frappés par ce qui est presque inédit et incompréhensible, soit une taxe rétroactive. J'ai dit à un sénateur conservateur qu'ils n'avaient pas seulement trouvé le moyen d'augmenter les impôts, mais qu'ils avaient trouvé le moyen de les augmenter en remontant jusqu'à 20 ans dans le passé. C'est un peu fort pour un gouvernement dont un des crédos est le rejet des taxes et impôts.
Le prochain élément est intéressant. Il était supposé s'appeler le droit pour la sécurité des passagers du transport aérien, mais le ministre lui a donné son nom véritable, c'est-à-dire la taxe pour la sécurité des passagers du transport aérien. Qu'est-ce qu'est cette taxe? C'est un droit perçu auprès de tous les aéroports et de tous les passagers aériens. Le gouvernement augmentera ce droit d'environ 50 p. 100, je crois. Je m'excuse, de 52 p. 100. Je ne voulais pas réduire la valeur de cette augmentation. Ce droit sera augmenté de 52 p. 100. Il y a des gens qui soutiennent que ce n'est pas une taxe, mais un droit, et que l'argent prélevé sera consacré à la sécurité. Il est intéressant de noter que plus d'un tiers de cet argent ne sera pas du tout consacré à la sécurité. En effet, un tiers de cet argent sera versé dans les recettes générales. Les sommes versées dans les recettes générales ne sont pas des droits. Ce sont des taxes. Cette taxe a augmenté de 50 p. 100. Approximativement 225 millions de dollars par année au cours des cinq prochaines années seront prélevés en vertu de cette taxe. Cet argent ne sera pas consacré à la sécurité des passagers aériens. Il sera versé dans les recettes générales. Le gouvernement dit qu'il n'aime pas les taxes. Il peut bien les appeler comme il veut, mais une taxe c'est une taxe et nous avons bien affaire à une taxe dans le cas présent, et elle a été augmentée considérablement.
De plus, les droits qui sont maintenant imposés aux voyageurs internationaux au Canada seront les plus élevés au monde.
Le sénateur Cordy : Plus élevés que ceux de Tel-Aviv?
Le sénateur Mitchell : Absolument. Peut-être cet argent servira-t-il à financer le coût de la sécurité aux sommets du G20 et du G8, soit 1,1 milliard de dollars. Peut-être qu'ils n'avaient pas le choix. Je ne le sais pas. Toutefois, ce droit sera le plus élevé du monde.
L'un des sénateurs du comité était très agressif, comme il en est capable. Il interpellait les témoins, disant ceci : « Lorsque vous descendez de l'avion, vous savez que vous serez en sécurité. » D'accord. Nous avons besoin de cette taxe, mais vous ne la payez pas pour la sécurité. Plus encore, tous les pays qui imposent une taxe inférieure — autrement dit, tous les pays, parce qu'ils perçoivent tous une taxe inférieure à la nôtre — ne sont-ils pas sûrs? Lorsque vous voyagez avec un transporteur américain, n'êtes-vous pas autant en sécurité? Les droits que ce transporteur demande ne sont pas aussi élevés. La compagnie Lufthansa n'est-elle pas sécuritaire? El Al n'est-elle pas sécuritaire? Ils font tous payer moins. Il n'y a donc pas de corrélation entre le montant des droits et le degré de sécurité. Cela dépend de la façon dont vous la gérer, mais je me demande s'ils parlent de taxe. Je me demande si dans les autres pays, ces droits sont versés au Trésor ou s'ils sont affectés à la sécurité. Je ne le sais pas. Ce que je sais, c'est qu'il est très trompeur de parler de droit et de verser la somme dans les recettes générales.
Cela n'aide pas les entreprises canadiennes, car, comme l'ont expliqué des représentants du secteur touristique, notre dollar est fort, ce qui rend les choses difficile pour ce secteur. Nous avons encore des craintes face au terrorisme, ce qui affecte le tourisme parce que les gens, et plus particulièrement les Américains, ne voyagent pas. Nous avons une reprise économique plutôt timide. Le secteur du voyage a été durement touché sur tous les fronts et il sera maintenant touché par cette augmentation de taxe. Un témoin a dit qu'une augmentation de 1 p. 100 du prix d'un billet entraînait une baisse de 1 p. 100 du nombre de voyageurs et une baisse de 1 p. 100 du nombre de voyageurs, c'est grave quand il s'agit de personnes qui viennent au Canada. En Alberta, le secteur du tourisme est le troisième en importance et il est affaibli par les effets de politiques comme celle-ci.
Il y a aussi les frais de cartes de crédit. Une partie de ce projet de loi prévoit comment gérer plus efficacement les frais de cartes de crédit et de débit. On ne cesse de nous répéter qu'il ne s'agit là que d'une première étape et que ce qu'il faut, en fait, c'est réduire les frais. À qui vont ces frais en ce moment? Aux grandes banques. Qui paye ces frais? Les petites et moyennes entreprises. Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas posé le geste qui comptait vraiment, soit réduire les frais dès maintenant? Pourquoi ne l'a-t-il pas fait? Quels intérêts le gouvernement a-t-il choisi de servir? Ceux des grandes entreprises, au détriment de ceux des PME. Cela me semble totalement contraire aux valeurs fondamentales prônées par le gouvernement.
Lorsqu'on met ensemble tous ces éléments, ce budget n'est plus aussi favorable aux petites entreprises, à la création de nouveaux emplois, etc. Je tenais à le souligner afin de présenter un autre point de vue.
On a aussi parlé d'une autre partie, qui vise à transformer les coopératives de crédits en banques fédérales, ce qui n'est probablement pas une mauvaise idée. Nous aimons tous la concurrence et la croissance, c'est certain. Il reste toutefois à déterminer qui s'occupera des petits marchés régionaux, où les coopératives de crédit ont joué pendant si longtemps un rôle important et significatif dans le développement des collectivités. Cela dit, il existe probablement une excellente raison pour assujettir les coopératives de crédit en croissance aux lois fédérales, mais il y a un hic. Selon les témoignages entendus, lorsqu'on assujettit une coopérative de crédit aux lois fédérales, les dépôts sont alors garantis par la Société d'assurance-dépôts du Canada, et deviennent donc la responsabilité du fédéral. Si cette banque déclarait faillite et qu'il fallait rembourser 100 000 $, ce remboursement n'incomberait plus au gouvernement provincial, comme dans le cas de la coopérative de crédit, mais plutôt au gouvernement fédéral.
J'ai immédiatement pensé que le gouvernement transférerait les cotisations payées par ces institutions ainsi que les gains générés par ces primes — qui constituent une caisse d'assurance — afin de couvrir les assurances provinciales équivalentes à la SADC. Savez- vous ce qu'il a répondu? Il a répondu non. Quel genre d'entreprise assumerait la responsabilité d'une dette sans aussi prendre possession des actifs qui aideront à payer cette dette, s'ils existent? C'est incompréhensible. Rien ne pourrait justifier une telle décision. Rien ne permet de comprendre pourquoi il ferait cela, mais c'est exactement ce que le gouvernement du Canada fera. J'ai réfléchi à la question et me suis dit que s'il peut faire cela, je peux enfin comprendre le genre de raisonnement qui nous amène à un déficit de 57 milliards de dollars. C'est facile à comprendre. Cela en dit long sur la capacité du gouvernement de gérer et de comprendre ces questions complexes; je ne pense pas qu'il soit en mesure de le faire.
Beaucoup de gens ont parlé du fait que le projet de loi réduira la portée des évaluations environnementales. Nous savons cela. Cela veut dire qu'on pourra ne pas évaluer et qu'on n'évaluera probablement pas les répercussions que les grands projets auraient sur les changements climatiques. Cela veut dire que, d'un seul coup, ce projet de loi va exempter un grand nombre de projets, certainement tous les projets de relance économique, d'une évaluation relative aux changements climatiques.
Enfin, pour insister sur l'argument présenté par le sénateur McCoy, à un moment où le monde suit le Canada en raison de son image et de sa réputation environnementales, nous devons faire quelque chose pour les renforcer. Pour ce faire, les publicités placées dans les arrêts d'autobus à Ottawa et publiées dans le National Post ne suffisent pas. Il faut faire beaucoup plus que cela. Il faut agir sérieusement et de façon pertinente. Le fait de commencer à miner les évaluations environnementales n'est ni sérieux ni pertinent dans le cadre de ce dossier important.
M. Waxman, un démocrate très influent, vient d'annoncer qu'il allait s'opposer au prolongement du pipeline de bitume de Keystone aux États-Unis, et cela nuit à l'Alberta. Il y a deux semaines, 50 membres du Congrès ont pris la parole et ont annoncé qu'ils s'opposent à l'achat de pétrole tiré des sables bitumineux — ce n'est pas l'expression qu'ils ont utilisée — aux États-Unis. Nous avons un problème et la situation empirera.
Le gouvernement utilise l'argument selon lequel il doit modifier les évaluations environnementales parce qu'elles retardent les projets et nuisent à l'économie, mais les témoignages révèlent qu'elles ne retardent pas les projets. Il y a très peu d'éléments de preuve qui appuient cet argument. Des retards peuvent être causés par des revendications territoriales, par l'augmentation des taux d'intérêt, par la baisse du prix du pétrole, par la pénurie de main- d'œuvre. Les projets peuvent être retardés pour toutes sortes de facteurs, mais les évaluations environnementales n'en font vraisemblablement pas partie. Ces modifications sont mises de l'avant parce qu'il est question de savoir qui obtiendra l'argent, et ce sera les grandes entreprises.
En ce qui concerne EACL, madame le sénateur Ringuette a soulevé un bon point. On parle de 8,5 milliards de dollars alloués à EACL au fil des décennies. En dollars actuels, cela représente 19 milliards de dollars. Or, le gouvernement a alloué 15 ou 20 milliards de dollars au secteur de l'automobile en une seule année, pour sauver le même nombre d'emplois. Il ne s'agit pourtant pas d'emplois de haute technologie, d'emplois de l'avenir. Bien sûr, les emplois du secteur de l'automobile valent la peine d'être sauvés, mais EACL n'est pas vue du même œil. C'est difficile à comprendre. C'est peut-être une question de politique.
Lorsqu'on examine les chiffres, on se rend compte que personne ne parle des recettes générées par EACL au fil des années pour les services qu'elle a fournis, pour les centrales et les isotopes qu'elle a vendus et les déchets qu'elle a traités en toute sécurité, entre autres. Il est malheureux que le gouvernement s'apprête à privatiser EACL sans avoir le moindre plan pour garder un certain contrôle, pour faire preuve de leadership et prendre les mesures nécessaires afin que ce type de produit — les réacteurs CANDU et autres réacteurs — se vende dans le marché international complexe de l'énergie.
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