Rapport du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie sur le projet de loi S-208, Loi constituant la Commission canadienne de la santé mentale et de la justice
Publié le 22 juin 2015 Hansard et déclarations par l’hon. James CowanL’honorable James S. Cowan (leader de l’opposition) :
Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du rapport du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie sur mon projet de loi d’initiative parlementaire, le projet de loi S-208, Loi constituant la Commission canadienne de la santé mentale et de la justice.
Comme vous le savez, chers collègues, le comité a recommandé que le Sénat ne poursuive pas l’étude du projet de loi.
J’ai présenté celui-ci pour la première fois il y a deux ans, soit le 12 juin 2013. Je l’ai fait en raison de l’évidente inefficacité de l’approche actuelle en matière de santé mentale et de justice pénale. De plus en plus, ce ne sont pas des criminels endurcis qui remplissent les prisons, mais des personnes souffrant de problèmes de santé mentale. Les services de police ne s’affairent pas tant à combattre la criminalité dans nos rues qu’à répondre à des appels liés à la maladie mentale, à la toxicomanie et à la dépendance.
Je ne répéterai pas encore une fois les statistiques et la litanie de problèmes relatifs à la question. Il en est question dans un autre discours que j’ai prononcé sur ce projet de loi, dans les témoignages qui ont été entendus par le Comité des affaires sociales et dans un nombre de plus en plus grand de rapports, y compris, malheureusement, dans les rapports des coroners et les rapports judiciaires sur le décès de détenus atteints de maladie mentale.
Il y a une expression qui décrit bien ce qui se passe, chers collègues. Il est question ici de criminalisation de la maladie mentale. Le problème, c’est que les prisons ne sont pas des hôpitaux et que les gardiens de prison ne sont pas des professionnels de la santé mentale. On ne devient pas policier parce qu’on veut s’occuper des problèmes de santé mentale des citoyens; on devient policier parce qu’on veut empêcher les criminels d’agir.
Plus important encore, la criminalisation de la maladie mentale ne fait qu’aggraver la situation. Les membres du Comité des affaires sociales ont appris que, l’an dernier, on a dénombré plus de 1 000 blessures auto-infligées dans les prisons et que ce taux a plus que triplé au cours des cinq dernières années. Bien entendu, nous avons tous entendu des histoires tragiques concernant des Canadiens — trop souvent, de jeunes Canadiens — atteints de maladie mentale qui se sont suicidés pendant qu’ils étaient incarcérés.
Ce n’est pas le genre de société que nous voulons. Nous ne voulons pas non plus que nos concitoyens soient traités ainsi; nous ne voulons pas qu’ils se retrouvent derrière les barreaux parce qu’ils ont une maladie.
Mon projet de loi avait pour objectif de trouver une autre façon, bien meilleure, d’aborder la situation. Les rapports, les études et les professionnels, qu’il s’agisse de policiers, de juges, de responsables des services correctionnels ou de psychiatres, indiquent tous la même chose : il faut adopter une meilleure approche, une approche globale, qui réunit les divers ordres de gouvernement ainsi des institutions et des professionnels du milieu de la justice pénale, mais surtout, du milieu de la santé. Notre approche doit être axée sur le dépistage précoce et le traitement, et elle doit garantir que des services de soins de santé mentale seront offerts et que les Canadiens qui en auront besoin pourront s’en prévaloir quand c’est nécessaire.
Mon projet de loi visait à constituer une nouvelle commission dont le principal objectif serait de s’attaquer sérieusement à ces problèmes. J’ai été heureux de voir l’accueil favorable que ma proposition a suscité, notamment chez les intervenants que j’ai rencontrés, les témoins qui ont comparu devant notre comité et même d’autres sénateurs siégeant au comité. Comme l’a dit la sénatrice Frum au Sénat : « Il ne s’agit plus de s’entendre sur ce qui doit être fait, mais bien sur la meilleure façon d’atteindre les objectifs convenus. »
J’ai proposé la création de la nouvelle Commission canadienne de la santé mentale et de la justice. D’autres personnes, y compris plusieurs témoins qui ont comparu devant le comité ainsi que la majorité des sénateurs siégeant au Comité des affaires sociales, croyaient que la meilleure idée était de confier cette tâche à la Commission de la santé mentale du Canada.
Honorables collègues, la Commission de la santé mentale du Canada est un organisme dont tous les sénateurs sont très fiers, à juste titre, puisque sa création découle directement des recommandations qui avaient été faites par le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie dans son rapport novateur sur la santé mentale intitulé De l’ombre à la lumière. Nous savons que cette importante commission a été créée grâce au Sénat, et c’est une réalisation citée par bon nombre d’entre nous lorsque nous parlons du bon travail effectué par le Sénat.
La Commission de la santé mentale fait un travail excellent et important dans le domaine de la santé mentale. Cependant, j’avais des réserves à l’idée de lui confier les tâches définies dans mon projet de loi. C’est pourquoi j’ai proposé de constituer une nouvelle commission. Voici une explication.
Mentionnons d’abord que la Commission de la santé mentale a été créée par le gouvernement actuel en 2007 et que son mandat de 10 ans prendra fin en 2017. À l’approche de la date limite, au cours des dernières années, plusieurs sénateurs ont demandé au leader du gouvernement de nous assurer que le gouvernement prévoyait renouveler le mandat après 2017, mais le leader évitait soigneusement de nous donner cette assurance.
Cependant, il y a deux mois, soit le 21 avril 2015, le gouvernement a annoncé dans son budget que le mandat de la commission allait effectivement être renouvelé pour 10 autres années.
Les honorables sénateurs comprendront toutefois que, lorsque j’ai rédigé mon projet de loi en 2013, je ne pouvais pas tenir pour acquis que la Commission de la santé mentale existerait toujours et pourrait s’acquitter des tâches décrites.
C’était l’une des raisons, mais pas la seule.
Dans son discours du 21 avril, la sénatrice Frum a indiqué qu’il n’était pas nécessaire de créer un autre organisme, puisque la Commission de la santé mentale « se penche sur certaines questions de santé mentale dans le système de justice et au-delà ». Le problème, chers collègues, c’est que l’excellent travail de la commission ne représente qu’une infime parcelle de tout ce qu’il y aurait à faire dans ce domaine. La commission a réalisé quelques projets louables et fort utiles, certes, mais aucun n’était aussi poussé et aussi pratique que les tâches prévues par le projet de loi S-208.
Cela n’a rien d’étonnant, étant donné le vaste mandat de la Commission de la santé mentale du Canada.
Selon moi, il serait utopique de croire que la commission pourra continuer le travail qu’elle fait déjà dans d’autres domaines et s’attaquer, en plus, à la tâche très exigeante décrite dans mon projet de loi. Pour y parvenir, elle aurait besoin de ressources considérablement accrues.
Ma dernière préoccupation tient au fait que la Commission de la santé mentale n’a pas de mandat législatif. À l’heure actuelle, chers collègues, son mandat est déterminé par le gouvernement au pouvoir. Comme on a pu le voir, la survie même de l’organisme a été incertaine pendant une longue période. De toute évidence, il est difficile de planifier et de mener à bien des travaux de longue haleine dans pareil contexte.
Plusieurs témoins ont exprimé ces inquiétudes quand ils ont comparu devant le comité. Howard Sapers, enquêteur correctionnel du Canada et professionnel très respecté, a appuyé la création d’une Commission canadienne de la santé mentale et de la justice parce qu’elle « pourrait fournir l’énergie et la direction nécessaires pour conduire une réforme et un changement à l’échelle nationale ».
Il appuyait vigoureusement l’idée d’inscrire dans la loi le mandat d’une commission comme celle-ci. Voici ce que M. Sapers a répondu quand la sénatrice Seidman lui a demandé ce qu’il pensait de la proposition visant à décerner à la commission un mandat législatif :
Vous ne serez pas surprise d’apprendre que j’ai une idée sur l’importance des mesures législatives et du pouvoir légal. Mon bureau…
— il s’agit du Bureau de l’enquêteur correctionnel du Canada —
… profite bel et bien d’une telle situation. L’assise est un gage de stabilité et de continuité. Elle élimine par exemple la question devant laquelle se trouve actuellement la Commission de la santé mentale : l’organisation existera-t-elle au-delà de 2017? Il ne faut pas sous-estimer l’importance d’une telle certitude.
Cela ne veut pas dire que les organismes ou organisations ne peuvent pas exister sans pouvoir légal, ni que ces pouvoirs ne devraient jamais devenir caducs ou être révisés de temps à autre. Quoi qu’il en soit, je peux vous dire que je trouve très important que mon bureau ait un fondement législatif.
Anita Szigeti, qui possède aussi une grande vaste expérience du domaine, a comparu devant le comité et a témoigné au nom de la Criminal Lawyers’ Association. En 23 ans de carrière, elle a représenté plus de 6 000 clients atteints de graves troubles mentaux. Elle a indiqué que la Criminal Lawyers’ Association appuie la création d’une commission nationale de la santé mentale et de la justice. Selon elle, « les problèmes que vivent les personnes atteintes de maladie mentale qui ont des démêlés avec la justice pénale atteignent des proportions effarantes et […] pour les régler, il faut des personnes spécialisées dans le domaine et une solution globale ».
Mme Szigeti préconise elle aussi le recours à un mandat législatif. Elle a d’ailleurs déclaré ce qui suit : « un mandat législatif est nécessaire pour obtenir des résultats concrets ».
La majorité du comité a statué autrement en ce qui concerne la nécessité de donner à l’organisation un mandat législatif et de créer une nouvelle organisation. Ainsi, dans son rapport, le comité recommande que le projet de loi S-208 ne soit plus examiné par le Sénat. Le comité exhorte plutôt le gouvernement à confier à la Commission de la santé mentale du Canada un nouveau mandat élargi comprenant les missions et les fonctions énoncées dans le projet de loi S-208. J’ai été heureux de constater que le comité a indiqué, dans ses observations, que la Commission de la santé mentale doit être « adéquatement financée » et dirigée de façon à s’acquitter des fonctions qui lui sont confiées.
Chers collègues, je crois toujours qu’un mandat législatif est la meilleure solution. On a pu constater très concrètement les problèmes liés à un mandat limité dans le temps, qui dépend de la bonne volonté du gouvernement du moment. J’estime que la stabilité, la clarté, la transparence et l’imputabilité devant le Parlement que fournirait un mandat législatif sont cruciales.
Toutefois, bien que l’on sache avec certitude que le mandat de la Commission de la santé mentale du Canada sera renouvelé, on ne sait pas encore en quoi consistera le nouveau mandat et on ne dispose pas non plus de renseignements sur les ressources qui seront fournies.
Il y aura beaucoup d’incertitude si le Sénat choisit de procéder comme le recommande le rapport du comité. Ce qui est certain, c’est qu’il y a beaucoup de travail à faire, que, tous les jours, des Canadiens se retrouvent pris dans un système de justice pénale qui n’est pas en mesure de résoudre leurs problèmes et que ce système est utilisé d’une façon qui n’était tout simplement pas prévue lorsque le système a été conçu.
Des gens qui ne sont pas des criminels, mais qui souffrent de maladie mentale, de même que leur famille et leurs amis, paient de leur vie le prix de notre inaction. En un mot, ou bien nous établissons la Commission canadienne de la santé mentale et de la justice, ou bien nous donnons au plus vite à la Commission de la santé mentale le nouveau mandat et les ressources financières dont elle a grandement besoin.
Je vous remercie, chers collègues.