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Débat sur la motion qui concerne l’étude préliminaire du projet de loi no 2 d’exécution du budget de 2017

Débat sur la motion qui concerne l’étude préliminaire du projet de loi no 2 d’exécution du budget de 2017

Débat sur la motion qui concerne l’étude préliminaire du projet de loi no 2 d’exécution du budget de 2017

L’honorable Joseph A. Day (leader des libéraux au Sénat) : 

Honorables collègues, il y a en fait deux aspects à cette motion. Ces deux aspects se confondent et nous parlons parfois des deux en même temps, mais il importe de comprendre qu’il y a deux aspects.

D’abord, il y a la longueur de ce projet de loi omnibus d’exécution du budget. Il compte 317 pages. On y crée quelques banques. J’ai avancé des arguments ici à plusieurs reprises au sujet des projets de loi omnibus, et nous y revoici.

Nous acceptons généralement de scinder un projet de loi et d’en renvoyer des parties à différents comités pour qu’ils y soient étudiés. Cette façon de procéder montre bien que le projet de loi renferme de nombreuses mesures qui ne peuvent être étudiées adéquatement par un seul comité.

De façon générale, nous sommes d’accord avec la leader adjointe du gouvernement pour répartir la charge de travail entre les divers comités, mais il s’agit là d’une solution pratique pour traiter un projet de loi multidimensionnel. J’aimerais revenir au cas d’un projet de loi portant sur un seul sujet qui nous serait renvoyé.

Le projet de loi C-49 ne pose aucun problème en tant que projet de loi omnibus, parce qu’il ne porte que sur les transports. Il peut donc être confié au Comité des transports, et c’est tout.

Par contre, quand il s’agit d’étudier un projet de loi qui part dans tous les sens, les choses se compliquent et nous faisons des erreurs. Nous avons commis des erreurs par le passé. Vous avez entendu parler de ces erreurs.

(1530)

Celle qui ne cesse de me revenir à l’esprit est notre assentiment à une petite disposition située à la toute fin d’un document de 300 ou 400 pages qui permettait à l’exécutif d’emprunter de l’argent sans avoir à obtenir l’autorisation du Parlement. Il s’agissait de l’un des rôles fondamentaux du Parlement et nous l’avons abdiqué sans débat, et la plupart d’entre nous ne l’ont même pas remarqué avant qu’il ne soit trop tard. Voilà ce qui me préoccupe généralement au sujet des projets de loi omnibus d’exécution du budget.

L’autre aspect est l’étude préalable. Les commentaires du sénateur Harder étaient axés sur l’étude préalable, mais je veux que vous gardiez les deux aspects à l’esprit. Je me méfie généralement de l’étude préalable. Je sais qu’elle est prévue dans le Règlement. Je sais qu’elle peut être un outil utile de temps à autre. Cependant, j’estime qu’elle nous empêche de jouer notre rôle de Chambre de second examen objectif. Elle nous impose un rôle parallèle à celui de la Chambre des communes, ce qui m’a toujours préoccupé. J’en ai déjà parlé.

Permettez-moi de me pencher un peu plus en détail sur la motion et la situation que nous avons.

Le projet de loi C-63, Loi no 2 d’exécution du budget, porte sur le budget présenté à l’autre endroit le 22 mars dernier. Le premier projet de loi d’exécution du budget dont a parlé le sénateur Harder, c’est-à-dire le projet de loi C-44, a reçu la sanction royale le 22 juin, juste avant la pause estivale, après que la Chambre des communes a rejeté les amendements du Sénat. Nous avions convenu de ne pas exiger l’adoption de nos amendements. Vous vous souvenez sûrement tous de cette période en juin.

Il s’agit du deuxième projet de loi que nous étudions qui aurait pour objectif de mettre en œuvre certains éléments du même budget, le budget de 2017. Le projet de loi C-63 a atteint l’étape du rapport à l’autre endroit. Hier, le comité l’a renvoyé sans amendements; cela répond à la question du sénateur Eggleton. Si j’ai bien compris, le projet de loi devrait être étudié aux étapes du rapport et de la troisième lecture lundi et mardi.

Chers collègues, un des principaux arguments habituellement présentés pour demander une étude préalable — celui que vient d’ailleurs tout juste de donner le sénateur Harder —, c’est que cette façon de faire donne l’occasion à la Chambre des communes de tenir compte de nos conclusions pendant sa propre étude du projet de loi. L’autre endroit peut ainsi tenir compte de nos recommandations et apporter des amendements au projet de loi en fonction de nos préoccupations avant de nous le renvoyer. C’est l’argument qu’on entend souvent.

Cependant, le Comité permanent des finances de la Chambre des communes a déjà terminé l’étude du projet de loi. Il a mené son étude article par article. Comme je l’ai mentionné, le programme prévu à la Chambre des communes indique que le projet de loi franchira l’étape du rapport sans amendements, alors cela se fera assez rapidement, et que la troisième lecture sera effectuée lundi et mardi. À notre retour, mardi après-midi, le projet de loi pourrait nous être renvoyé.

S’il y avait une occasion pour que l’autre endroit tienne compte des conclusions et des recommandations d’une étude préalable, cette occasion est passée depuis longtemps. Le sénateur Harder a mentionné qu’il aurait voulu que cette motion soit présentée plus tôt, et peut-être que la situation aurait été différente si cela avait été le cas. La réalité est que le projet de loi pourrait nous être renvoyé la semaine prochaine, alors pourquoi débattons-nous présentement de cette motion? Même si elle était adoptée aujourd’hui, est-ce qu’on peut prétendre avec sérieux que le Comité des finances de l’autre endroit serait en mesure de tenir compte des travaux d’une étude préalable qui ne débuterait que la semaine prochaine?

Il faut aussi tenir compte du travail que notre comité effectuera ici. Le Comité permanent des finances nationales se trouve actuellement dans ma province, le Nouveau-Brunswick, où il tient des audiences sur les nouvelles propositions fiscales du ministre des Finances, M. Morneau, à la demande et sur les encouragements du gouvernement. Quand le comité reviendra à Ottawa, il devra élire ses vice-présidents et s’organiser parce qu’il n’a pas pu faire cela sur la route. Il devra travailler sur son rapport sur les audiences concernant les modifications fiscales qu’il a tenues d’un bout à l’autre du pays. Enfin, il devra entreprendre l’examen du Budget supplémentaire des dépenses (B), conformément à la motion que nous venons d’adopter. C’est ce que le Comité des finances devra faire au cours des prochains jours. Il ne pourra pas entreprendre l’étude préalable avant au moins une semaine.

Dans ces circonstances, peut-on s’attendre de manière réaliste à ce que notre comité puisse mener une étude préalable à temps pour qu’elle soit examinée à l’étape du rapport lundi prochain à l’autre endroit? Je ne crois pas.

Chers collègues, on nous dit que le projet de loi C-63 doit être adopté rapidement, c’est-à-dire avant que le gouvernement commence à travailler sur son budget de 2018. On nous dit qu’il ne serait pas raisonnable d’être encore en train d’examiner un projet de loi d’exécution du budget de 2017 alors que le gouvernement prépare le budget de 2018, qui devrait être publié en mars prochain. On nous dit qu’il serait inconcevable de s’attendre à ce que le gouvernement présente le nouveau budget sans d’abord avoir fait adopter les projets de loi d’exécution du budget de 2017. Toutefois, est-ce que ce serait vraiment inconcevable?

Examinons un autre projet de loi no 2 d’exécution du budget, soit celui qui portait sur le budget de 2004. Ce budget avait été présenté par Ralph Goodale, alors ministre des Finances, le 23 mars 2004. Près d’un an plus tard, le 7 mars 2005, le Sénat a été saisi du projet de loi no 2 d’exécution du budget, le projet de loi C-33. Je m’en souviens parce que j’étais le parrain de ce projet de loi.

Le sénateur Plett : C’était un horrible projet de loi.

Le sénateur Day : Il a fini par être adopté par le Sénat. Merci d’avoir appuyé ce projet de loi à ce moment-là.

Le sénateur Mercer : Il n’était pas au Sénat à l’époque.

Le sénateur Day : Il n’y a pas eu d’étude préalable pour ce projet de loi, honorables sénateurs. Il a été traité comme un projet de loi ministériel normal. C’est ce qu’il était, même s’il touchait à certains aspects importants du budget d’un an plus tôt.

Toutefois, entre-temps, le 23 février 2005, M. Goodale avait déposé le budget de 2005. Le Sénat a reçu et adopté le projet de loi no 2 d’exécution du budget de 2004 bien après que le gouvernement eût eu déposé le budget de l’année suivante. Je crois que cela montre que l’idée selon laquelle il faut à tout prix que tous les projets de loi d’exécution du budget de l’année en cours soient traités le plus rapidement possible parce qu’un nouveau budget sera déposé au mois de mars de l’année suivante est erronée. Personne ne trouvait cela inusité en 2004 ou 2005.

(1540)

En fait, le sénateur Murray a déclaré, pendant un débat tenu le 20 avril 2005 : « […] il ne faudrait pas donner à ce projet de loi un caractère d’urgence […] »

C’est généralement ce que nous cherchons à déterminer quand il est question de mener une étude préalable : quelle est l’urgence? Pourquoi faudrait-il s’attaquer rapidement à ce dossier précis? Pourquoi le processus normal ne conviendrait-il pas?

Le sénateur Murray a tenu ces propos alors que le projet de loi à l’étude visait à mettre en œuvre les dispositions d’un budget déposé 13 mois plus tôt, et qu’un autre budget avait été déposé entre-temps.

Lorsque je suis intervenu à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-33, j’ai d’ailleurs rappelé aux sénateurs que mes observations portaient sur le budget de 2004 et non sur celui de 2005, annoncé peu de temps auparavant. Ces deux budgets modifiaient les frais de sécurité facturés aux passagers en vertu du Droit pour la sécurité des passagers du transport aérien. Le Sénat n’a eu aucune difficulté à traiter les modifications prévues dans le budget de 2004 et le projet de loi no 2 d’exécution du budget, dont nous débattions ce jour-là, et ce, même si le budget de 2005 modifiait encore les frais en question.

Bref, il est utile de savoir comment le Sénat a traité le projet de loi C-33, une mesure d’exécution du budget présentée par le gouvernement libéral de l’époque. Cela dit, l’actuel gouvernement libéral nous dit maintenant qu’il faut adopter le nouveau projet de loi budgétaire avant la fin de l’année civile, donc plusieurs mois avant le dépôt du prochain budget. On ne nous a malheureusement pas fourni de motifs qui justifieraient cette urgence. Nous n’avons toujours pas reçu le projet de loi, mais nous pourrions le recevoir dès la semaine prochaine. Le gouvernement nous encourage vivement à accepter la motion d’examen préalable pour que nous puissions le traiter rapidement dès sa réception.

On nous presse de renoncer à notre rôle de Chambre de second examen objectif pour endosser celui de Chambre d’examen concomitant. S’il y avait une raison impérieuse d’adopter cette approche, je pourrais y souscrire, mais je n’en vois aucune qui justifie une étude préalable. S’il y avait dans le projet de loi C-63 des dispositions qui ne pouvaient pas entrer en vigueur avant la sanction royale, cela nous amènerait à reconsidérer notre décision de procéder à l’étude préalable, mais il n’y en a aucune.

Il y a plus d’une semaine, mes services ont demandé à ceux du représentant du gouvernement s’il y avait dans le projet de loi des dispositions urgentes, supposant l’adoption avant l’ajournement pour les vacances de Noël et du Nouvel An. On nous a répondu qu’il n’y en avait pas, en ajoutant que le sénateur Harder « estimait que l’adoption du projet de loi C-63 cette année était opportune et raisonnable, compte tenu des attentes du public, des pratiques antérieures relatives aux projets de lois budgétaires et de la nécessité de diligenter l’examen du programme législatif du gouvernement ».

C’est à peu près ce que vient de nous dire le sénateur Harder. J’ai déjà montré, avec l’exemple du projet de loi C-33 en 2004, que les pratiques antérieures ne justifient pas l’idée que le Sénat doit automatiquement approuver les études préalables de tous les projets de loi d’exécution du budget afin que nous puissions les expédier dès leur renvoi chez nous, surtout s’ils ne contiennent pas de disposition urgente.

Je conviens cependant de la nécessité pour le gouvernement de diligenter l’examen de l’ensemble de son programme législatif. Cela doit toutefois se faire dans le respect du rôle que doit jouer le Sénat en tant qu’organe législatif complémentaire chargé de porter un second regard attentif aux projets de loi. J’ai pour priorité d’assurer que le Sénat puisse jouer ce rôle. Il doit pouvoir disposer du temps nécessaire pour examiner les textes de loi adoptés à l’autre endroit. L’étude préalable systématique court-circuite le processus. La Chambre des communes aura étudié le projet de loi C-63 pendant plus d’un mois avant que nous le recevions. Il y avait été présenté le 22 octobre. Pourquoi le Sénat serait-il censé l’adopter en quelques jours après l’avoir reçu?

Le gouvernement doit mieux gérer son programme législatif.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Day : La Chambre des communes ne devrait pas tenir pour acquis que nous allons contourner nos pratiques habituelles et traditionnelles afin de pallier sa difficulté à gérer son programme.

Enfin, chers collègues, je note que le programme électoral de 2015 du Parti libéral dit ceci, à la page 32 :

M. Harper s’est également servi des projets de loi omnibus pour empêcher les parlementaires d’étudier ses propositions et d’en débattre convenablement. Nous mettrons un terme à cette pratique antidémocratique en modifiant le Règlement de la Chambre des communes.

Quels que soient les changements apportés au Règlement de la Chambre des communes, cela n’a pas empêché le gouvernement de nous envoyer récemment ce projet de loi omnibus de 317 pages.

Même si le Président de l’autre endroit a jugé que certaines mesures de ce projet de loi devaient faire l’objet d’un vote distinct à l’étape de la deuxième lecture, puisqu’il n’en était même pas question dans le budget de 2017, il est évident que la fameuse « pratique antidémocratique » des projets de loi omnibus se poursuit. Pourtant, le programme électoral de 2015 du Parti libéral disait très clairement que ces projets de loi « empêch[ent] les parlementaires » de faire leur travail. Or, le Sénat demeure une institution parlementaire canadienne fondamentale.

Chers collègues, nous devons avoir le temps de faire notre travail lorsque nous examinons d’importants projets de loi ministériels. En menant régulièrement des études préalables, nous ne faisons qu’aider — voire encourager — le gouvernement à recourir à des projets de loi omnibus, ce qui complique encore davantage les travaux du Parlement et des parlementaires.

Mon opposition à ce que la Chambre des communes nous envoie de volumineux projets de loi d’exécution du budget à la dernière minute ne date pas d’hier. Par exemple, en 2012, nous avons reçu le deuxième projet de loi d’exécution du budget de l’année le 6 décembre. Il avait 414 pages. Lors de mon intervention du 10 décembre 2012, à l’étape de la deuxième lecture, j’ai souligné que le projet de loi arrivait très tard et qu’on s’attendait malgré cela à ce que nous l’adoptions en quelques jours.

J’ai dit : « Quel mépris de notre rôle de contrôleurs des dépenses publiques. » J’ai expliqué que le fait de réaliser une étude préalable allait à l’encontre de notre rôle en tant que Chambre de second examen objectif.

J’ai tenu les propos suivants :

Nous perdons le rôle pour lequel le Sénat a été créé. Nous abandonnons ce rôle pour nous adapter à une nouvelle pratique.

Le sénateur Mitchell a immédiatement lancé : « C’est une attaque contre la démocratie. »

Des voix : Oh, oh!

Le sénateur Day : Voilà ce que, à dit le sénateur Mitchell au sujet de l’étude préalable de ce projet de loi omnibus d’exécution du budget : « C’est une attaque contre la démocratie. » Ses mots peuvent être trouvés à la page 3013 des débats.

En décembre 2014, nous avons reçu un autre projet de loi omnibus d’exécution du budget, le projet de loi C-4. Il comptait 460 pages. Le 10 décembre, lorsque j’ai parlé du rapport d’étude préliminaire du Comité des finances nationales, j’ai déclaré :

Les études préliminaires détournent notre attention de notre rôle traditionnel de second examen objectif.

(1550)

J’ai aussi profité de l’occasion pour critiquer une fois de plus le recours du gouvernement aux projets de loi omnibus d’exécution du budget. J’ai déclaré ceci :

Nous avons répété à maintes reprises qu’il n’est pas judicieux de regrouper tant de mesures différentes dans un projet de loi omnibus, car il est alors presque impossible d’étudier ces mesures comme il se doit. La vraie question […] est de savoir si le recours à de tels projets de loi omnibus d’exécution du budget sert l’intérêt public.

Je ne croyais pas — et je ne crois toujours pas — que le recours aux projets de loi omnibus d’exécution du budget et les études préliminaires servent l’intérêt public. Peu importe l’allégeance du gouvernement qui présente ces projets de loi, cette façon de faire entre en conflit avec le rôle fondamental du Sénat, qui est la Chambre législative de second examen objectif. Comme on ne nous a donné aucune raison de traiter le projet de loi C-63 différemment ou d’une façon spéciale en raison de dispositions pressantes, je ne peux pas appuyer cette motion d’étude préliminaire.