Motion—Étude préalable du projet de loi C-14
Publié le 20 avril 2016 Hansard et déclarations par l’hon. George Baker (retraité), Joan Fraser, Serge JoyalL’honorable Joan Fraser (leader adjointe des libéraux au Sénat) :
Chers collègues, les sénateurs de ce côté-ci appuient volontiers cette motion. Une étude préalable est décidément tout indiquée dans le cas d’un projet de loi comme celui-là.
Je tiens toutefois à souligner, comme c’est toujours le cas, que si nous appuyons une motion en faveur d’une étude préalable, celle-ci ne doit pas servir d’argument, ensuite, pour éviter l’étape de l’examen en comité lorsque le Sénat sera saisi du projet de loi. Nous n’avons pas, pour le moment, la version finale que nous renverra la Chambre des communes. Il faudra soumettre cette version finale à l’examen attentif du comité le moment venu.
Entre-temps, je crois vraiment qu’une étude préalable est absolument la meilleure chose à faire pour nous, et nous pouvons espérer qu’elle influencera la Chambre des communes dans ses travaux à l’égard du projet de loi.
L’honorable Serge Joyal :
Honorables sénateurs, j’aimerais vous faire part de mon opinion concernant la motion, car je crois qu’il est important de la mettre en contexte.
J’ai eu le privilège de recevoir récemment, de la part du professeur Andrew Heard, de l’Université Simon Fraser, un certain nombre de réflexions au sujet des études préalables effectuées par les années passées. J’aimerais lire certaines des réflexions qu’il présente. Je me suis assuré de les faire distribuer aux sénateurs, alors vous trouverez le document sur votre pupitre.
J’aimerais lire le premier commentaire du professeur Heard sur le nombre d’études préalables que nous avons faites ces dernières années et à quel sujet. J’estime qu’il est utile de prendre quelques instants pour écouter cela afin de comprendre ce que nous faisons. Le professeur Heard écrit ceci :
Seuls cinq projets de loi ont fait l’objet d’une étude préalable au cours de la période allant de 2000 à septembre 2013.
Je répète : en 13 ans, nous n’avons effectué que cinq études préalables.
Toutefois, lors de la deuxième session de la 41e législature, 10 projets de loi ont été renvoyés au comité sénatorial pour qu’il en fasse l’étude préalable. Parmi ce nombre, il y avait 3 projets de loi omnibus qui ont été renvoyés à différents comités […] Cette vague d’activités coïncidait avec une longue période pendant laquelle le Sénat a seulement amendé un projet de loi du gouvernement.
Mes estimés collègues se rappelleront certainement que ces projets de loi omnibus étaient des projets de loi d’exécution du budget qui ont été renvoyés au Comité des finances, et qu’il y avait eu des discussions sur la possibilité de les scinder. Je tiens à rappeler à mes collègues qu’il s’agit d’une procédure très spéciale. Ce n’est pas quelque chose qui figure dans notre Règlement ou nos pratiques depuis longtemps. Dans le célèbre ouvrage que j’ai mentionné — et que je ne recommande à personne de lire —, j’ai lu de nouveau le chapitre du professeur Franks sur l’étude préalable des projets de loi, que je trouve instructif. Voici ce qu’il dit à ce sujet :
Cette pratique [l’étude préalable] s’est révélée particulièrement utile lors de l’étude de la législation fiscale extrêmement complexe de 1971.
L’étude préalable des projets de loi remonte à 1971. L’ancien sénateur Salter Hayden, alors président du Comité des banques, qui était chargé d’étudier la volumineuse législation fiscale, a cru qu’il serait utile d’effectuer pour le ministre une étude préalable, c’est-à- dire d’examiner l’ensemble de la législation afin de tenter de présenter un rapport qui aiderait le ministre à rédiger la mesure législative.
Je tiens à répéter que l’étude préalable avait pour but d’aider le ministre à rédiger une mesure législative. C’est très important.
Que réclame la motion d’aujourd’hui? Cette motion a été proposée parce qu’en janvier dernier, le comité mixte spécial qui venait d’être formé a été chargé d’étudier la teneur de la décision que la Cour suprême du Canada a rendue il y a près d’un an et demi dans l’affaire Carter, qui portait sur l’aide médicale à mourir. Le Sénat avait alors demandé à cinq de ses membres, les estimés et excellents sénateurs Ogilvie, Nancy Ruth, Seidman et Cowan, ainsi qu’à moi, d’étudier la décision de la Cour suprême dans l’affaire Carter, qui constitue au Canada le fondement de l’aide médicale à mourir.
Le 25 février, le comité publiait un rapport rigoureux, après avoir entendu plus de 61 témoins et reçu plus d’une centaine de mémoires de citoyens et de groupes intéressés. Il y faisait 21 recommandations sur l’aide médicale à mourir.
Aujourd’hui, le gouvernement nous demande d’étudier la teneur du projet de loi C-14. Si le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles hérite de cette tâche, il ne fait aucun doute dans mon esprit que son étude devra se faire à la lumière des 21 recommandations du rapport du comité mixte spécial. J’insiste sur le fait, honorables sénateurs, que ce rapport a reçu l’appui de tous les sénateurs qui faisaient partie du comité mixte spécial, c’est-à-dire trois collègues de l’opposition officielle et deux issus de notre groupe de libéraux indépendants.
Ce rapport est important parce que ces cinq sénateurs appuyaient les recommandations qui devaient guider le gouvernement dans la rédaction de son projet de loi.
Honorables sénateurs, le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles devra absolument étudier la teneur du projet de loi à la lumière des recommandations de ce rapport, qui est fondé sur la décision Carter. C’est la décision Carter qui est le point de départ du projet de loi C-14. Il faut donc se rappeler que l’étude préalable qu’on nous demande de faire ne pourra pas se contenter de chercher à définir les concepts en jeu, puisque ces concepts ont déjà été définis par les 61 témoins que le comité a entendus et les 100 mémoires qu’il a reçus. Ne l’oublions surtout pas, honorables sénateurs.
Je vous invite à examiner ces recommandations. Elles figurent d’ailleurs au Feuilleton d’aujourd’hui sous le nom du sénateur Ogilvie. Il importe que tous ceux d’entre nous qui souhaitent se pencher sur la question de l’aide médicale à mourir gardent à l’esprit les recommandations formulées dans le rapport du comité spécial, car elles ont fait l’objet d’un consensus, comme je l’ai dit, parmi les sénateurs qui siégeaient au comité.
Le titre du rapport, L’aide médicale à mourir : une approche centrée sur le patient, est un élément important de la discussion, car la décision de la Cour suprême est essentiellement une interprétation de l’article 7 de la Charte, qui porte principalement sur le droit de tout individu à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. Le projet de loi C-14 porte essentiellement sur une question liée à la Charte selon l’interprétation qu’en fait la Cour suprême du Canada.
Honorables sénateurs, j’aimerais renchérir sur ce qu’a dit ma collègue, la sénatrice Fraser, lorsqu’elle a appuyé cette motion. J’utiliserai pour ce faire les paroles du professeur Thomas tirées du même livre, que mon humilité m’empêche de brandir — vous comprenez pourquoi. Le professeur Thomas écrit ce qui suit, à la page 220 :
Le mécanisme de l’étude préliminaire s’est avéré des plus efficaces lorsqu’on voulait influencer la pensée du gouvernement sans que le Sénat renonce au droit qu’il conserve toujours de proposer des amendements.
À mon avis, honorables sénateurs, c’est ce que nous devons garder à l’esprit en amorçant l’étude préalable.
L’honorable George Baker :
Honorables sénateurs, quand le sénateur Joyal parlait de nos études préalables, j’ai pensé à une étude préalable que nous avons faite il n’y a pas très longtemps au sujet d’un projet de loi financier compliqué, dont une partie portait sur la Loi fédérale sur la responsabilité. Il y a eu 54 amendements proposés par le Sénat et approuvés par le gouvernement, et 50 proposés par le gouvernement. Le gouvernement a profité de l’occasion pour proposer des amendements à ce projet de loi complexe. Le sénateur Joseph Day s’en souvient parfaitement, car il présidait le Comité des finances, et c’est lui qui a transmis la mauvaise nouvelle au gouvernement à l’époque. Le gouvernement a accepté tous les amendements et en a lui-même proposé 50; il s’agissait de corrections.
Honorables sénateurs, cette procédure est utile, car elle permet au gouvernement en place de suggérer des changements à ses propres projets de loi; ce n’est pas quelque chose de nouveau. Dans le cas qui nous occupe, nous avons un rapport sur une étude préalable du jugement Carter réalisée par un comité parlementaire. Il y a maintenant un élément nouveau, soit la réponse suggérée par le gouvernement à la décision rendue. Le gouvernement en place est semblable à celui d’alors. Certains disent que les gouvernements n’acceptent pas facilement les amendements. Celui qui était en place à l’époque en a accepté 54 à la Loi fédérale sur la responsabilité qu’il avait proposée. Ce n’était pas un gouvernement libéral, n’est-ce pas?
Nous avons maintenant un gouvernement qui dit qu’il examinera aussi les amendements. N’oublions pas que le premier ministre s’est déclaré favorable à la participation du Sénat. Il est ouvert aux amendements suggérés par le Sénat. Pour conclure, je dirai que les cours supérieures de trois provinces ont rendu des jugements sur l’arrêt Carter, car il s’appliquait à des affaires dont elles étaient saisies. Ces jugements peuvent nous éclairer dans l’étude du projet de loi. Si les sénateurs le désirent, mon bureau peut les leur faire parvenir.
Le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles se réjouit à la perspective de cet examen. Son excellent président, le sénateur Runciman, qui exerce ses fonctions depuis un certain temps, a suggéré au gouvernement précédent des changements à des projets de loi. À la fin de l’étude des projets de loi, il n’hésitait pas à suggérer des amendements et à formuler des observations qui n’étaient pas toujours accueillis favorablement par le gouvernement en place. Nous avons un excellent comité qui, j’en suis convaincu, saura très bien étudier la mesure législative présentée par le gouvernement. Il suggérera peut-être des amendements que le gouvernement pourrait prendre au sérieux et dont il pourrait tenir compte.