Forum des sénateurs libéraux

Troisième lecture du projet de loi C-38, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 29 mars 2012 et mettant en œuvre d’autres mesures

Troisième lecture du projet de loi C-38, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 29 mars 2012 et mettant en œuvre d’autres mesures

Troisième lecture du projet de loi C-38, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 29 mars 2012 et mettant en œuvre d’autres mesures


Publié le 28 juin 2012
Hansard et déclarations par l’hon. Art Eggleton

L’honorable Art Eggleton :

 J’ai quelques observations complémentaires concernant l’intervention de madame le sénateur Eaton. Elle a parlé de sujets qui lui tiennent à cœur. Je le comprends et j’apprécie ses remarques.

En ce qui concerne ses observations au sujet des arts et de la culture, je trouve que le gouvernement reprend d’une main ce qu’il donne de l’autre. Il y aura peut-être des augmentations. Elle souligne que le financement versé au Conseil des arts du Canada est plus élevé que jamais. Si on tient compte de l’inflation, on peut affirmer la même chose à chaque année. Cela ne veut rien dire. L’autre main reprend, et CBC/Radio-Canada en est un exemple. Il faut se méfier du genre de choses que le gouvernement appuie, car il impose aussi des compressions dans bien d’autres secteurs.

En ce qui concerne les organismes de bienfaisance, il est évident que certains commentaires ont eu un effet paralysant sur la population. Je n’ai rien contre l’ouverture et la transparence, pourvu qu’on les observe également chez les organismes envers lesquels le parti du sénateur pourrait être plus favorable, notamment ceux qui s’intéressent au contrôle des armes à feu.

Le sénateur Eaton : Cela vaut pour tout le monde.

Le sénateur Eggleton : Oui, je suis d’accord.

Laissez-moi parler de trois aspects de ce projet de loi. Je parlerai d’abord du processus législatif, ensuite, de l’amendement proposé par le sénateur Ringuette, et enfin, des dispositions sur l’immigration qui ont été étudiées par le Comité des affaires sociales.

Honorables sénateurs, on a dit plusieurs fois — mais je crois qu’il faut le répéter — qu’avec ses très nombreuses divisions, le projet de loi C-38 témoigne d’un abus du processus parlementaire et d’un abus de pouvoir. Il est tout simplement déraisonnable, et il ne permet pas de tenir un débat raisonnable sur toutes ces mesures enfouies dans un seul projet de loi.

Nous avons déjà été saisis d’autres projets de loi omnibus. Cela n’a rien de nouveau, et il est vrai que ces projets de loi ont été présentés tant par les libéraux que par les conservateurs. Cependant, ils n’ont jamais eu l’ampleur de celui dont nous sommes saisis aujourd’hui. Le projet de loi contient plus de 420 pages, il comprend quelque 720 articles, il modifie ou abroge quelque 70 lois, y compris des lois importantes comme la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale et les lois qui protègent les habitats des poissons. Le projet de loi abolit la Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie, le Conseil national du bien-être social, qui tente d’aider les Canadiens vivant dans la pauvreté, l’organisme Droits et Démocratie, la Commission des nominations publiques, et le poste de l’inspecteur général qui vérifie les activités du SCRS, pour ne nommer que ces éléments. Le projet de loi modifie en profondeur le filet de sécurité sociale du Canada, y compris l’assurance-emploi et la Sécurité de la vieillesse.

Le gouvernement se justifie en disant que tout est lié à l’économie. On pourrait probablement dire que presque tout ce que nous faisons est lié à l’économie d’une manière ou d’une autre. Le gouvernement en viendra peut-être à présenter un seul projet de loi par année, un seul projet qui contiendra tout, puisque tout est lié à l’économie. Le sénateur Wallin y voit là une bonne idée. À mon avis, c’est une mauvaise idée. J’espère que lorsqu’ils parleront au premier ministre et à leurs collègues du Cabinet, les sénateurs d’en face leur diront : « Évitons de refaire la même chose. Mettons dans le projet de loi du budget les questions qui sont logiquement liées au budget, et traitons les autres points dans des mesures législatives distinctes. »

Le sénateur Carignan, leader adjoint du gouvernement au Sénat, a dit plus tôt aujourd’hui que les comités avaient abondamment discuté des différentes parties de ce projet de loi. Comme nous sommes censés être une Chambre de second examen objectif, j’avoue trouver étrange que, parmi tout ce que le public nous a dit pendant le temps limité consacré aux audiences, pas un seul commentaire n’a reçu l’approbation des sénateurs conservateurs; pas un seul. Faut-il en conclure qu’aucune des idées présentées n’aurait justifié un amendement? Les audiences n’ont-elles vraiment rien donné? Ou le côté du gouvernement a-t-il simplement décidé d’aller de l’avant comme il l’entendait sans porter aucune attention aux commentaires, d’appuyer le gouvernement sans retenue, et de se lever pour offrir son appui unanime? C’est ridiculiser le concept même du second examen objectif, selon moi. À quoi devrait servir le second examen objectif, sinon à examiner des idées raisonnables puis à tenter de présenter des amendements qui amélioreront la mesure législative?

Deuxièmement, je voudrais me pencher sur trois éléments de l’amendement présenté hier par le sénateur Ringuette. J’ai vraiment beaucoup de peine à comprendre pourquoi le projet de loi vise à modifier la Sécurité de la vieillesse, alors que l’actuaire en chef, d’autres actuaires et le directeur parlementaire du budget disent tous que ce n’est pas nécessaire du tout. Le changement n’entrera pas en vigueur avant longtemps de toute façon, et les comptes publics du pays ne le justifient aucunement.

Je crains les conséquences que la population aura à subir. Beaucoup de gens voudront probablement continuer de travailler après l’âge de 65 ans. Je crois que c’est ce que font la plupart des sénateurs, et c’est tant mieux. Je compte travailler aussi longtemps que je pourrai. Je travaillerai jusqu’à ce que j’aie un pied dans la tombe. Tant mieux pour moi. Cependant, jusqu’à nouvel ordre, j’ai la chance d’être en assez bonne santé, tandis que beaucoup de gens ne le sont pas. De nombreux travailleurs manuels ne peuvent pas continuer à travailler au-delà de l’âge de 65 ans. Souvent, ils gagnent un salaire peu élevé. Après l’âge de 65 ans, ils ont absolument besoin du régime de pensions ainsi que, peut-être, du Supplément de revenu garanti et de la Sécurité de la vieillesse — puisque, ne l’oublions pas, il faut toucher des prestations de la Sécurité de la vieillesse pour être admissible au Supplément de revenu garanti. Mais je constate qu’on a oublié ces gens. On tient pour acquis que tous pourront désormais continuer de travailler après l’âge de 65 ans, car nous serons en meilleure santé. Ce n’est pas le cas pour tout le monde, et c’est le problème qui me préoccupe le plus à propos des gens qui sont touchés par cette disposition relative à la Sécurité de la vieillesse. J’appuie la disposition de l’amendement qui prévoit la suppression de cet article.

Les changements à l’assurance-emploi sont une autre pierre d’achoppement. Le projet de loi prévoit de nouvelles formules. Le chômeur aura un temps donné pour trouver un emploi convenable, et s’il n’y arrive pas, il recevra des prestations moins élevées au cours des semaines suivantes. J’oublie ce que disent exactement toutes les annexes. Je ne les ai pas sous les yeux, mais les sénateurs savent ce dont je parle. Tout repose sur les expressions « travail convenable » et « emploi convenable ».

Le problème, c’est que ces expressions ne sont pas définies par le gouvernement. Or, le diable est dans les détails. C’est très important et l’amendement prévoit dans ce cas-ci que le ministre devrait rendre des comptes au Parlement à ce sujet et qu’il ne devrait pas simplement prendre la décision seul. Nous laissons à ces ministres une grande discrétion pour prendre des décisions sans qu’ils aient à consulter le Parlement. Ce devrait être examiné par le Parlement. Par conséquent, l’amendement prévoit que la définition de ce que l’on désigne comme un emploi convenable devrait faire l’objet d’une surveillance et d’une reddition de comptes accrues au Parlement et que cette définition devrait être présentée aux deux Chambres pour qu’elles en examinent l’incidence et les penchent sur les problèmes d’ordre juridique potentiels.

Il y a aussi l’immigration. Ce que l’on appelle les « instructions ministérielles » ont fait leur apparition dans le projet de loi d’exécution du budget de 2008. Le ministre — je pense que c’est le même qu’à l’époque, le ministre Kenney — les a utilisées quatre fois, ce qui commence à faire beaucoup. On prend énormément de décisions concernant le système d’immigration du Canada au moyen d’instructions ministérielles, sans qu’on n’ait encore une fois à rendre des comptes au Parlement. Le Parlement du Canada n’assure aucune surveillance. C’est inacceptable. Cet amendement, qui se rapporte plus particulièrement à une autre disposition sur les instructions ministérielles contenue dans le projet de loi C-38, porte sur la nécessité d’assurer une surveillance parlementaire pour que les deux Chambre puissent examiner l’incidence et les problèmes d’ordre juridique potentiels associés à une instruction ministérielle donnée.

Ce que le projet de loi C-38 a de particulier, c’est que le ministre pourra maintenant créer de nouvelles catégories et sous-catégories d’immigrants qualifiés. Un quota est imposé quant au nombre dans chaque catégorie, mais il n’y en a pas pour le nombre de catégories. Cela pourrait prendre des proportions énormes et je pense qu’il faut une surveillance parlementaire accrue et plus de possibilités de mener des seconds examens objectifs. Que devient le Parlement s’il n’est pas en mesure d’assurer ce genre de surveillance dans l’une ou l’autre de nos Chambres? Je pense qu’il est important que nous l’assurions.

Enfin, permettez-moi de parler plus longuement de l’immigration dans le cadre des audiences du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Nous avons entendu plusieurs témoignages — dont le gouvernement fait également fi — au sujet des travailleurs étrangers temporaires. C’est de plus en plus contradictoire. Nous assouplissons les règles et les mécanismes de surveillance concernant les travailleurs étrangers temporaires. Avant, les employeurs devaient publier les offres d’emploi pendant cinq jours sur le site web Guichet emplois du Canada. Maintenant, nous assouplissons ces règles. Il y aura moins d’examens de conformité, seulement des vérifications.

Certains témoins ont également fait valoir que les employeurs non syndiqués retirent d’énormes avantages des modifications réglementaires qui permettent de verser aux travailleurs étrangers temporaires un salaire inférieur de 15 p. 100 au salaire régional moyen et que ces dernières entraîneront une diminution des salaires. Les témoins ont soulevé des préoccupations concernant les répercussions de toutes ces mesures.

Ce qui est contradictoire, c’est que la ministre responsable de l’assurance-emploi essaie de faire en sorte que davantage de Canadiens acceptent certains de ces emplois. Nous devrons suivre cela de près et voir ce qui se passe.

Mon dernier point — celui qui nuit le plus au Canada et qui porte le plus atteinte à sa réputation — c’est la suppression de l’arriéré des demandes présentées dans la catégorie de travailleur qualifié fédéral. Il y en a environ 100 000 et si on ajoute la famille des demandeurs, cette décision touche quelque 300 000 personnes. Ces personnes ont respecté les règles et on leur dit maintenant : « Désolé, nous ne traitons plus votre demande. Vous pouvez présenter une nouvelle demande, mais nous avons changé les règles et créé de nouvelles catégories. Si vous êtes admissible, vous pouvez recommencer le processus. »

Je ne pense pas que cela contribue à améliorer notre réputation de pays équitable. Le Canada a la réputation d’être un pays juste, qui respecte les règles et les lois. Or, tout à coup, nous balayons tout cela du revers de la main. Cela nuira à notre réputation. Les gens diront que le Canada vous invite à présenter une demande, la jette ensuite à la poubelle et change les règles.

Pour être juste, beaucoup de ces personnes attendent depuis des années que leur demande soit traitée. Ils ont mis leur vie en suspens. Bon nombre d’entre eux ont reporté des études, un emploi ou un mariage parce qu’ils pensaient que leur demande serait examinée dans le respect des règles qui étaient en place au moment de présenter leur demande. Maintenant, tout à coup, on anéantit leurs espoirs et on leur dit que leur demande n’est plus en voie d’être traitée.

Honorables sénateurs, nous ne sommes pas obligés d’agir de cette façon. Pour ceux qui font une demande en vertu des nouvelles règles, le gouvernement dit qu’il faudra trois mois, au plus, pour la traiter. Si le gouvernement peut faire cela, il peut aussi mettre assez de ressources en place pour régler l’arriéré de façon juste et équitable. Cette mesure sera probablement contestée devant les tribunaux comme étant contraire à la loi, mais nous verrons ce qui arrivera. À mon avis, maintenir notre réputation et notre intégrité en matière d’immigration compte encore plus que l’aspect juridique. Il faut que nous soyons équitables envers ces gens.

En résumé, je reconnais que le projet de loi d’exécution du budget prévoit des mesures intéressantes. En fait, certains d’entre nous en avons souligné quelques-unes au comité. L’une d’elles s’appelle le Projet canadien d’intégration des immigrants, qui offre une orientation gratuite de deux jours sur l’intégration, la recherche d’emplois et la reconnaissance des titres de compétences étrangers. Voilà un bon programme, et je félicite le ministre de cette initiative. Nous pensons qu’il faudrait en étendre la portée, tout comme il faudrait essayer de favoriser l’immigration en provenance de pays…

Son Honneur le Président intérimaire : Je regrette d’informer le sénateur que son temps de parole est écoulé.

Le sénateur Eggleton : Puis-je avoir cinq minutes de plus?

Son Honneur le Président intérimaire : Honorables sénateurs, acceptez-vous d’accorder plus de temps au sénateur?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président intérimaire : Vous avez cinq minutes de plus.

Le sénateur Eggleton : Merci.

Il y a de bonnes choses dans le budget, mais malheureusement, il est également extrêmement vicié. C’est un véritable fourre-tout. On ne devrait vraiment pas procéder de la sorte, et j’espère que les sénateurs d’en face veilleront à ce que, la prochaine fois, nous ne soyons pas saisis d’un projet de loi omnibus monstre qu’on veut faire adopter à toute vitesse à la Chambre des communes, puis au Sénat.

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