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Troisième lecture du projet de loi S-215, Loi modifiant le Code criminel (peine pour les infractions violentes contre les femmes autochtones)

Troisième lecture du projet de loi S-215, Loi modifiant le Code criminel (peine pour les infractions violentes contre les femmes autochtones)

Troisième lecture du projet de loi S-215, Loi modifiant le Code criminel (peine pour les infractions violentes contre les femmes autochtones)

Troisième lecture du projet de loi S-215, Loi modifiant le Code criminel (peine pour les infractions violentes contre les femmes autochtones)


Publié le 12 décembre 2016
Hansard et déclarations par l’hon. Lillian Eva Dyck

L’honorable Lillian Eva Dyck :

— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en qualité que marraine afin de proposer la troisième lecture du projet de loi S-215, Loi modifiant le Code criminel (peine pour les infractions violentes contre les femmes autochtones).

Je remercie les membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles d’avoir étudié et adopté, avec dissidence, le projet de loi sans tarder.

Je tiens à remercier en particulier le porte-parole au sujet du projet de loi, le sénateur McIntyre, qui a déployé beaucoup d’efforts pour que le projet de loi soit traité sans délai. Je remercie de sénateur McIntyre de son appui et le sénateur Patterson de ses commentaires constructifs. Je remercie également le sénateur Tannas, qui a pris la parole à l’étape de la deuxième lecture pour exprimer son appui envers le projet de loi.

Honorables sénateurs, le projet de loi S-215 modifie le Code criminel afin d’exiger que le tribunal, lorsqu’il détermine la peine dans des cas d’agression ou de meurtre, considère comme circonstance aggravante le fait que la victime soit une Amérindienne, une Inuite ou une Métisse. À cette fin, le projet de loi ajoute deux articles à la suite des articles 239 et 273 du Code criminel.

Par souci de concision, j’utiliserai le terme « Autochtone » qui, comme vous le savez, s’entend, aux termes du paragraphe 35(2) de la Constitution, des Indiens, des Inuits et des Métis du Canada.

Honorables sénateurs, le projet de loi S-215 découle directement de la tragédie nationale que constituent la disparition et l’assassinat de plus de 1 200 femmes et jeunes filles autochtones. Le projet de loi a pour but d’assurer le caractère équitable des peines lorsqu’une Autochtone est victime de voies de fait ou de meurtre, et vise finalement à accroître la sécurité des Autochtones de sexe féminin.

Si, selon la Charte canadienne des droits et libertés, la loi ne fait exception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, il est clair que ce n’est pas le cas pour les femmes et les jeunes filles autochtones. Il ne fait aucun doute que les Autochtones de sexe féminin ne bénéficient pas d’une égale protection de la loi. Si c’était le cas, nous n’aurions pas la tragédie nationale que représentent la disparition et le meurtre de plus de 1 200 femmes et jeunes filles autochtones.

Chers collègues, le projet de loi est appuyé tant par la collectivité que par le milieu politique. La Federation of Sovereign Indigenous Nations et l’Assemblée des Premières Nations ont adopté des résolutions tendant à appuyer le projet de loi S-215. Comme l’a déclaré la semaine dernière Heather Bear, vice-chef de la Federation of Sovereign Indigenous Nations, au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, les chefs du Canada tout entier appuient le projet de loi. Francyne Joe, présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada, l’appuie également.

En outre, j’ai une lettre de soutien d’Iskwewuk E-wichiwitochik, un groupe de femmes de la Saskatchewan qui, depuis 2005, milite au nom des familles des femmes et des jeunes filles autochtones disparues ou assassinées. Je leur suis très reconnaissante de leur appui.

Je vais lire la résolution adoptée le 1er janvier 2016 à l’assemblée générale annuelle de l’Assemblée des Premières Nations et signée par le chef national Perry Bellegarde, intitulée « Soutien au projet de loi S-215 » :

ATTENDU QUE :

A. En vertu de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones :

i. Article 22(2) : Les États prennent des mesures, en concertation avec les peuples autochtones, pour veiller à ce que les femmes et les enfants autochtones soient pleinement protégés contre toutes les formes de violence et de discrimination et bénéficient des garanties voulues;

B. Au Canada, les femmes autochtones sont exposées à un risque de violence plus grand que les femmes non autochtones, tel qu’indiqué dans un rapport de 2014 de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), Les femmes autochtones disparues et assassinées : Un aperçu opérationnel national;

C. Selon le rapport de 2014 de la GRC, les femmes autochtones constituaient 4,3 % du total de la population féminine au Canada, mais elles représentaient environ 11,3 % du nombre total de femmes disparues et 16 % de tous les homicides commis contre des femmes;

D. La sénatrice Lillian Dyck a parrainé le projet de loi S-215, Loi modifiant le Code criminel (peine pour les infractions violentes contre les femmes autochtones), qui exige que les tribunaux tiennent compte de l’identité autochtone de la victime au moment de prononcer la condamnation des agresseurs afin de s’assurer que tout acte de violence commis envers des femmes autochtones entraîne des conséquences importantes.

C’est signé par Perry Bellegarde, chef national.

Honorables sénateurs, une partie du triste héritage de la colonisation est le recours excessif à l’incarcération pour les hommes autochtones et la proportion énorme de femmes autochtones victimes de violence. Dans le but de réduire la sur-incarcération des Autochtones, on a ajouté l’alinéa 718.2 e) au Code criminel il y a 20 ans. De la même façon, le projet de loi S-215 vise à réduire la proportion de femmes autochtones victimes de violence.

Honorables sénateurs, je sais que ce projet de loi est sans précédent, car il porte sur les femmes autochtones victimes de violence. Jusqu’à présent, les avocats et les juges ne devaient prendre en considération que l’alinéa 718.2e), qui dit ce qui suit :

e) l’examen, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones, de toutes les sanctions substitutives qui sont raisonnables dans les circonstances et qui tiennent compte du tort causé aux victimes ou à la collectivité.

Chers collègues, les femmes autochtones, tout comme les hommes autochtones, ont vécu des circonstances uniques qui les rendent sujettes à être surreprésentées parmi les victimes d’infractions violentes. Malheureusement, les femmes autochtones peuvent être perçues comme un groupe dont personne ne se soucie et comme un groupe de cibles faciles pour la violence et les abus sexuels. Bien entendu, ce n’est pas tout le monde qui entretient de tels préjugés à l’égard des femmes autochtones, mais des études récentes confirment que les hommes non autochtones ont effectivement de telles attitudes stéréotypées.

Honorables sénateurs, la preuve que les femmes autochtones sont la cible d’actes violents est incontestable. D’après le rapport de 2014 de la GRC et les rapports précédents de l’Association des femmes autochtones du Canada et d’Amnistie internationale, nous savons que les femmes autochtones sont de trois à quatre fois plus susceptibles que les autres Canadiennes d’être victimes de meurtre ou d’agression sexuelle ou d’être portées disparues. Les femmes autochtones sont sept fois plus susceptibles d’être ciblées par des tueurs en série.

En juin 2016, Statistique Canada signalait que pour les femmes, mais pas pour les hommes, le simple fait d’être autochtone constitue un facteur de risque de violence considérable. Ce fait est épouvantable et souligne la nécessité du projet de loi S-215, lequel contient des mesures précises en vue de réduire la vulnérabilité de ces femmes aux actes violents tels que l’agression sexuelle.

Grâce au projet de loi S-215, le fait que la victime soit une femme autochtone sera considéré comme circonstance aggravante pour les infractions violentes comprises dans les dispositions du Code criminel relatives aux agressions et aux meurtres.

Je sais que ce n’est pas tout le monde qui est convaincu qu’il est nécessaire de créer une catégorie distincte pour les femmes autochtones. Toutefois, le nombre croissant d’agressions, d’agressions sexuelles et de meurtres de femmes autochtones rapportés par la GRC, l’Association des femmes autochtones du Canada, Amnistie internationale et Statistique Canada, nous oblige à les protéger, tout comme le Parlement vient récemment de le faire pour les conducteurs de véhicules de transport en commun et les chauffeurs de taxi.

Vous vous souviendrez que, en 2015, nous avons adopté le projet de loi S-221 pour modifier le Code criminel et y inclure le fait que la victime soit un conducteur de véhicule de transport en commun comme circonstance aggravante de la peine.

De plus, la même année, nous avons adopté le projet de loi C-35, la Loi sur la justice pour les animaux qui fournissent de l’assistance (Loi de Quanto). Quanto est le nom d’un chien policier qui a été tué dans l’exercice de ses fonctions. Ce projet de loi érigeait en infraction le fait de tuer ou de blesser un animal d’assistance, d’assistance policière ou d’assistance militaire. L’une des dispositions du projet de loi prévoyait une peine minimale obligatoire de six mois pour quiconque tue un animal de ce type.

Chers collègues, comme je l’ai dit à l’étape de la deuxième lecture, si nous sommes capables d’adopter des dispositions spécialement pour protéger les conducteurs de véhicules de transport en commun, comme les chauffeurs de taxi, et les animaux d’assistance, comme les chiens policiers, nous sommes certainement capables d’adopter des dispositions spéciales pour les femmes autochtones.

Bien que cela puisse sembler injuste d’avoir des instructions différentes en ce qui concerne la détermination de la peine entre les femmes autochtones et les femmes non autochtones qui sont victimes d’infractions violentes, le fait est qu’il existe de véritables préjugés raciaux et un réel parti pris contre les femmes dans la détermination de la peine. Jusqu’à maintenant, il n’y a aucune étude universitaire sur les effets qu’aurait le fait d’être une victime autochtone sur la détermination de la peine, mais nous en avons de nombreux exemples. Je vais vous en donner deux.

Le premier exemple est récent : c’est l’affaire où le juge Robin Camp a demandé à l’adolescente autochtone victime d’une agression sexuelle pourquoi elle n’avait pas simplement fermé les jambes. L’accusé a été acquitté, mais, à la suite de la procédure d’appel de la décision, on a ordonné un nouveau procès. Nous savons tous ce qui attend le juge Robin Camp : possiblement une destitution.

Voici un autre exemple : la tristement célèbre affaire Tisdale, une affaire de viol. Une jeune fille autochtone de 12 ans est montée à bord d’un véhicule avec trois hommes blancs, qui lui ont ensuite fait boire de la bière et qui l’ont agressée sexuellement. Seul l’un des trois hommes blancs accusés de l’avoir agressé sexuellement a été reconnu coupable. Il n’a même pas été envoyé en prison. Il a été condamné à la détention à domicile pendant deux ans. L’affaire a été portée en appel. La cour d’appel s’est entendue avec le procureur pour dire qu’une peine de trois ans de prison était plus appropriée. Or, il ne restait que quatre mois à sa peine, alors cela n’a rien changé. Le juge d’appel a fait remarquer que la détention à domicile n’était pas appropriée parce que la punition n’était pas assez sévère, compte tenu de la gravité de l’infraction, pour avoir un effet dissuasif sur le contrevenant ou les autres.

Chers collègues, l’autre problème dont le comité a discuté vise l’interaction du projet de loi S-215 avec les dispositions de l’arrêt Gladue et de l’alinéa 718.2e) du Code criminel. Les avocats de la défense soutiennent que le projet de loi S-215 serait injuste pour un délinquant autochtone parce que le délinquant serait condamné à une peine de prison plus longue, ce qui ne ferait qu’augmenter la probabilité de récidive.

Or, on peut soutenir le contraire, c’est-à-dire que de ne pas tenir un Autochtone pleinement responsable de la violence qu’il a infligée à une Autochtone contribue à la probabilité de récidive parce qu’il n’a pas subi toutes les conséquences de son comportement violent.

L’alinéa 718.2e) du Code criminel devrait-il permettre d’infliger des peines plus clémentes aux hommes autochtones qui commettent des actes de violence, comme des agressions sexuelles, envers des femmes autochtones? C’est une bonne question. Les avocats de la défense croient que oui. Or, c’est leur travail de défendre les délinquants et de réduire autant que possible la peine de ceux qui sont reconnus coupables.

Chers collègues, il ne faut pas oublier que l’alinéa 718.2e) du Code criminel ne visait pas seulement à réduire les peines d’emprisonnement; il portait aussi sur l’examen de mesures de rechange à la prison, comme la justice corrective et les programmes de réadaptation. Ces mesures pouvaient offrir une nouvelle formation et des soins aux délinquants et ainsi réduire les probabilités de récidive.

Selon le projet de loi S-215, un juge n’est pas tenu d’allonger la peine d’emprisonnement; il peut plutôt décider d’allonger la période de réadaptation, du traitement de la toxicomanie ou d’un autre programme, ce qui est bénéfique pour le délinquant et la société dans laquelle il sera réintégré.

Il est vrai que l’application du projet de loi S-215 pourrait mener à une peine d’emprisonnement plus longue selon la décision du juge. Cette possibilité repose sur l’importance qu’accorde le juge à la circonstance aggravante, le fait que la victime soit une femme autochtone, par rapport à la myriade d’autres circonstances, aggravantes et atténuantes, propres à chaque cas.

De plus, alors que des avocats de la défense s’inquiètent des conséquences négatives possibles du projet de loi S-215 sur les délinquants autochtones qui ont agressé ou tué une femme autochtone, il reste à voir si l’alinéa 718.2e) devrait s’appliquer à des crimes aussi graves. L’arrêt Gladue de la Cour suprême indique que pour les crimes graves, la dissuasion, la dénonciation et l’isolement sont justifiés et que, dans certains cas, la période d’emprisonnement pourrait ne pas être plus courte que le délinquant soit autochtone ou non-autochtone. Je vais lire deux paragraphes de l’arrêt Gladue :

78. En décrivant ainsi l’effet de l’al. 718.2e), nous n’affirmons pas que, en règle générale, il faille toujours déterminer la peine des délinquants autochtones de façon à accorder le plus de poids aux principes de justice corrective, au détriment des buts tels la dissuasion, la dénonciation et l’isolement. Il est déraisonnable de présumer que les Autochtones eux-mêmes ne croient pas en l’importance de ces buts, et même s’ils n’y croient pas, que ces buts ne doivent pas avoir préséance dans les cas qui l’exigent. À l’évidence, il existe des infractions graves et des délinquants pour lesquels l’isolement, la dénonciation et la dissuasion sont fondamentalement pertinents.

79. Cependant, même lorsque l’infraction est jugée grave, il faut prendre en considération la durée de la peine d’emprisonnement. Dans certaines circonstances, la durée de la peine infligée à un délinquant autochtone pourra être inférieure à celle de tout autre délinquant, alors que dans d’autres, elle pourra être identique. De façon générale, plus violente et grave sera l’infraction, plus grande sera la probabilité que la durée des peines d’emprisonnement des Autochtones et des non-autochtones soit en pratique proche ou identique, même compte tenu de leur conception différente de la détermination de la peine.

Chers collègues, je crois que ces arguments contrent les préoccupations exprimées par les avocats de la défense concernant l’incidence négative indue que le projet de loi S-215 pourrait avoir sur les effets d’atténuation de l’alinéa 718.2e) du Code criminel pour les délinquants autochtones. L’impact du projet de loi S-215 variera. L’application du projet de loi S-215 ne signifie pas nécessairement que les délinquants autochtones purgeront des peines d’emprisonnement plus longues. Ils pourraient plutôt être condamnés à une plus longue période de réadaptation. L’application du projet de loi S-215 n’aurait pas forcément une incidence sur l’effet de l’alinéa 718.2e) si celui-ci est réputé applicable à l’affaire en question.

Au cours de la détermination de la peine, il faut sans doute trouver le juste milieu entre les droits du délinquant à une peine équitable et les droits de la victime autochtone à une évaluation équitable des sévices qu’elle a subis. La vice-chef, Heather Bear, et la présidente, Francyne Joe, ont également mentionné qu’il fallait trouver un juste milieu entre la protection du délinquant et celle de la victime. Malheureusement, le comité n’a pas entendu de témoignage d’un procureur qui aurait défendu les droits des victimes.

Honorables sénateurs, lorsque j’ai témoigné devant le comité, la semaine dernière, j’ai parlé de deux récentes décisions des tribunaux qui appuient l’opinion selon laquelle l’identité autochtone de la victime est un facteur dont il faudrait tenir compte au cours du processus de détermination de la peine à imposer pour les infractions d’agression sexuelle et d’homicide involontaire coupable.

Dans la décision R. c. Peter, rendue en 2014 par la cour du Nunavut, le juge a mentionné ce qui suit au paragraphe 108 :

[…] que les hommes autochtones qui attaquent et tuent des femmes autochtones ne sont pas, à mon avis, en droit de s’attendre à ce que leur situation soit prise en considération davantage que ce ne serait le cas pour tout homme non autochtone ayant attaqué une femme. Autrement dit, les femmes autochtones ont autant le droit d’être protégées que toute autre femme, peut-être même plus en raison de circonstances d’ordre culturel.

De même, le juge dans l’affaire R. c. Neashish a souligné ce qui suit aux paragraphes 134 et 135 de la décision rendue par la Cour du Québec en 2016 :

Si l’on a beaucoup traité dans le rapport Gladue des origines autochtones de l’accusé, il ne faut pas omettre de prendre en considération la situation particulière des victimes qui sont toutes également autochtones. Elles ont aussi subi les facteurs historiques et les années de bouleversements et de développement économique de cette communauté. En plus d’être victimes des gestes posés par l’accusé, elles sont les victimes d’une discrimination directe ou systémique. Elles sont également susceptibles de souffrir des séquelles de la relocalisation et selon le rapport Gladue, certaines d’entre elles, contrairement à l’accusé, sont dans une situation économique et sociale défavorable.

La semaine dernière, dans leurs témoignages devant le comité chargé de l’examen du projet de loi, les avocats de la défense ont indiqué qu’à leur avis, ces deux décisions rendaient mon projet de loi inutile. Je ne suis pas d’accord.

Bien que ces deux décisions judiciaires montrent que ces deux juges sont au moins conscient de la discrimination historique et systémique subie par les femmes autochtones, cela ne signifie pas que la majorité des juges pensent de la même façon. Je pourrais tout aussi facilement soutenir qu’il y a probablement beaucoup d’autres juges qui ne sont pas aussi sensibilisés à la double discrimination et aux situations particulières auxquelles les femmes et les jeunes filles autochtones sont confrontées, et qui ne tiendraient donc pas compte de l’identité de celles-ci pour déterminer la peine qui convient.

Il importe toutefois de souligner que ces deux décisions montrent que les juges n’étaient pas d’accord avec les avocats de la défense qui, dans les deux affaires, demandaient d’imposer une peine moins sévère aux délinquants.

Au paragraphe 163 de la décision R. c. Peter 2014, le juge fait l’observation suivante :

L’avocat de la défense dit que l’accusé est autochtone. Eh bien, la victime l’était aussi. Il admet ensuite un certain nombre de choses qui minimise les facteurs Gladue — la famille du délinquant est intacte à l’exception d’un suicide présumé; le délinquant et sa famille n’ont pas non plus été particulièrement touchés par des problèmes liés aux pensionnats. Selon l’avocat de la défense, on ne peut changer le passé. Cela est peut-être vrai, mais on peut essayer de changer l’avenir, et c’est ce que la Cour doit faire pour ce délinquant et les autres délinquants. Par conséquent, la demande d’une peine de huit ans est rejetée.

Honorables sénateurs, le juge dans cette affaire a imposé une peine de 15 ans plutôt que les 8 années demandées par l’avocat de la défense.

Chers collègues, je vous demande humblement d’appuyer le projet de loi S-215. Je sais que ce projet de loi ne constitue pas, à lui seul, une solution magique qui mettra fin à la victimisation violente des femmes autochtones, mais il créera un effet d’entraînement pouvant faire contrepoids à la discrimination systémique au sein de l’appareil judiciaire. Conformément aux dispositions du projet de loi, les juges, au moment de rendre leur décision, tiendront compte des circonstances particulières des femmes autochtones et, après avoir écouté le raisonnement d’un juge, les avocats, les policiers et le personnel des tribunaux commenceront à examiner leur propre système de croyances et verront d’un point de vue différent la situation des femmes autochtones qui sont victimes d’un acte criminel. Conjugué à l’Enquête nationale sur les femmes et filles autochtones portées disparues ou assassinées, qui continue de sensibiliser la population, ce projet de loi prévoit des mesures particulières pour accroître la sécurité des femmes et des jeunes filles autochtones.

Je tiens à attirer de nouveau votre attention sur la crise des disparitions et des assassinats de femmes et de jeunes filles autochtones et sur le récent rapport de Statistique Canada au sujet de la victimisation des Autochtones. Ce rapport a confirmé ce que nombre d’entre nous savaient intuitivement, c’est-à-dire que le simple fait d’être une femme autochtone constitue un facteur qui augmente le risque d’être victime de violence. Le projet de loi S-215 vise à atténuer ce risque en faisant en sorte que l’on considère comme une circonstance aggravante, au moment de déterminer la peine à imposer dans un cas d’agression ou de meurtre, le fait que la victime soit une femme autochtone.

J’aimerais vous rappeler que nous avons récemment adopté une mesure législative visant à protéger les conducteurs de véhicule de transport en commun, comme les chauffeurs de taxi. Nous avons également adopté une mesure législative visant à protéger les animaux d’assistance, comme les chiens policiers. Il me semble évident que nous devons également adopter le projet de loi S-215, un projet de loi semblable à ceux que je viens de mentionner et qui vise à protéger les femmes autochtones.

Enfin, honorables sénateurs, le Canada est signataire de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. La semaine dernière, le premier ministre Justin Trudeau a déclaré que le gouvernement s’emploie à mettre en œuvre l’article 22.2, qui est ainsi libellé :

Les États prennent des mesures, en concertation avec les peuples autochtones, pour veiller à ce que les femmes et les enfants autochtones soient pleinement protégés contre toutes les formes de violence et de discrimination et bénéficient des garanties voulues.

Honorables sénateurs, je crois que le projet de loi S-215 aidera à donner suite à l’article 22.2 de la déclaration des Nations Unies. Je vous demande de voter en faveur du projet de loi S-215 à l’étape de la troisième lecture afin qu’il soit renvoyé à l’autre endroit pour examen.