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Les droits des Inuits sur l’Arctique

Les droits des Inuits sur l’Arctique
Canada's North

Les droits des Inuits sur l’Arctique


Publié le 7 mai 2015
Publication par l’hon. Charlie Watt

Dans mon travail relatif aux droits des Inuits sur l’Arctique, je pars du principe que les Inuits doivent participer à part entière aux décisions prises dans l’Arctique, que le développement des ressources doit contribuer à la santé des communautés inuites et que l’environnement doit être protégé.

Actuellement, je suis en train d’étudier l’impact de la fonte de la glace sur les accords passés avec le Canada et d’autres pays. Les ressources du plancher océanique sont de plus en plus accessibles au fur et à mesure que la glace fond et deviennent un objet de convoitise pour les entreprises et les gouvernements du monde entier. Même si le débat fait rage sur les limites du plateau continental lui-même, la grande question reste, pour moi, la suivante : qui possède les fonds marins arctiques et leurs richesses, qui les gère et qui en tire bénéfice?

Cela fait des décennies que je réfléchis aux grands dossiers de la souveraineté des Inuits sur leurs terres ancestrales, mais je travaille activement sur cette question avec des partenaires internationaux depuis plus de cinq ans. Auparavant, ce sont les droits des Autochtones qui constituaient notre priorité au pays et sur la scène internationale.

Depuis les années 1970, les Inuits s’efforcent de promouvoir leurs droits au Canada et d’aider les leurs dans tout le Nord. Nous avons travaillé aux côtés de peuples autochtones d’autres nations pour les aider à faire reconnaître leurs droits par leur propre gouvernement et la communauté internationale.

Les Inuits ont signé de solides accords sur le règlement de revendications territoriales comme dans le Nord du Québec, ma région, la Convention de la baie James et du Nord québécois (ou CBJNQ) signée en 1975 et considérée comme le premier traité moderne de l’histoire du Canada. Il y a, aujourd’hui, quatre régions inuites au Canada, toutes côtières et situées dans le Nord : l’Inuvialuit (dans les Territoires du Nord-Ouest), le Nunavut, le Nunavik (dans le Nord du Québec) et le Nunatsiavut (dans le Nord du Labrador).

À ces accords de revendications territoriales – autant de gages que le Canada et les Inuits travailleront en partenariat dans le Nord et que le Canada respectera les droits des Inuits –, s’ajoutent les mécanismes de protection prévus par l’article 35 de la Constitution, et le Canada a l’obligation de consulter les Inuits sur les questions qui risquent d’avoir une incidence sur leurs droits.

La calotte glaciaire de l’océan Arctique appartient à la nation inuite

En tant qu’Inuits, nous avons toujours vécu sur la glace; elle représente notre « autoroute » à travers la toundra pour se rendre d’une côte à l’autre, en hiver. Nous sommes unis par des liens historiques dont le réseau s’étend sur tout l’Arctique, du Groenland au Nunatsiavut (dans le Nord du Labrador), en passant par le Nord du Canada et l’Alaska et même par-delà le détroit de Béring jusqu’à la Russie et jusqu’aux pays scandinaves, des liens que notre présence dans des organisations comme le Conseil circumpolaire international, le Conseil de l’Arctique et les nombreuses agences des Nations Unies contribue à resserrer.

Cependant, au fur et à mesure que la glace fond, la relation que nous entretenons avec notre territoire change. En outre, l’Arctique devient de plus en plus accessible à la communauté internationale, ce qui se traduit pour nous par de profonds bouleversements dans nos communautés et de nouvelles batailles à mener sur la scène internationale. Quand d’aucuns voient un espace vide, nous voyons les terres ancestrales que nous laisserons en héritage à nos enfants. Comme je vis dans la toundra, je subsiste grâce à la terre et à la mer. La terre me nourrit grâce au caribou et à l’ours, et la mer, grâce aux poissons, aux phoques et aux crevettes. Nous ramassons le duvet des eiders en été pour faire des sacs de couchage et des parkas, et nous chassons les lagopèdes et les oies qui sont l’équivalent de la dinde pour nous.

Même si la calotte polaire arctique et la mer appartiennent aux Inuits, elles ne font pas partie des territoires inclus dans nos accords de revendications territoriales. Nous n’en avons explicitement accordé l’usage à aucun gouvernement et les Inuits n’ont pas donné non plus le droit au Canada, quand ses représentants adresseront sa demande à la Commission, de réclamer pour lui seul les ressources du plateau continental étendu de l’océan Arctique.

Parce que les nations du monde sont en train de se disputer un morceau de l’Arctique, il est temps pour les Inuits de revendiquer l’océan Arctique comme territoire ancestral sans tenir compte des limites formulées dans les accords de revendications territoriales.

Reconnaissance des droits des Inuits sur l’Arctique

À l’heure actuelle, les États côtiers de l’Arctique, le Canada, le Danemark, la Russie, la Norvège et les États-Unis, tentent tous de faire reconnaître leur souveraineté sur les ressources naturelles de l’océan Arctique dans une zone connue comme le « plateau continental étendu ». Ces pays, à l’exception des États-Unis, se sont mis d’accord pour présenter des demandes de reconnaissance des limites du plateau continental étendu à la Commission des limites du plateau continental, une agence créée en vertu de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM). La Commission vérifiera si les demandes relatives aux limites du plateau continental présentées par le Canada, le Danemark, la Russie et la Norvège respectent les règles définies dans la CNUDM et si les preuves fournies par chacun des États suffisent pour asseoir ses revendications.

L’accent mis par les États côtiers de l’Arctique sur l’utilisation de la loi de la mer en tant que cadre de travail me préoccupe beaucoup parce que cela risque de nuire aux droits des Inuits et des autres peuples autochtones sur l’océan Arctique. Selon moi, il est très problématique que les États côtiers de l’Arctique se basent sur la CNUDM pour revendiquer des portions de l’océan Arctique étant donné que la CNUDM ne protège pas explicitement les droits des peuples autochtones. Ni la CNUDM ni la loi coutumière de la mer ne font précisément référence aux droits des peuples autochtones. Qui plus est, à la différence du Conseil de l’Arctique, la CNUDM ne prévoit aucun mécanisme assurant la participation des peuples autochtones à la résolution de problèmes en lien avec la loi de la mer, même s’ils concernent leurs droits.

À l’époque où ces lois et la CNUDM été ont élaborées, les droits des Autochtones étaient moins reconnus qu’aujourd’hui. Au cours des 30 dernières années, des changements dramatiques se sont produits dans le domaine du droit international et des droits des Autochtones. Les peuples autochtones n’ont pas eu l’occasion de se faire entendre lors de l’élaboration de la CNUDM, alors que cela avait été le cas pour d’autres conventions internationales comme la Convention sur la diversité biologique des Nations Unies de 1992, adoptée seulement 10 ans après l’entrée en vigueur de la CNUDM.

La CNUDM a grand besoin d’être actualisée afin de prendre en compte les droits des peuples autochtones et les lois et les règles internationales qui les protègent. Aujourd’hui, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) reconnaît précisément les droits des peuples autochtones à leurs propres territoires. En 2012, le Canada a déclaré appuyer la DNUDPA et s’est dit désireux d’améliorer les mécanismes en place afin de s’assurer de la participation des Autochtones. Cela signifie que le Canada devrait aussi respecter les droits des Inuits sur l’océan Arctique, comme le devraient tous les États-nations. Selon moi, il n’est pas juste que le Canada ait recours à la CNUDM pour nier aux Inuits et autres peuples autochtones leurs droits sur l’océan Arctique.

En tant qu’Inuits, nous nous inquiétons de ce que le Canada puisse revendiquer des secteurs de l’océan Arctique qui nous appartiennent de manière légitime (même les zones qui dépassent les limites territoriales canadiennes) et parce qu’il s’agit de notre territoire, nous tentons de participer au dialogue sur la scène internationale. Nous essayons de collaborer avec le Canada afin que le droit des Inuits sur les eaux et la glace se trouvant sur nos terres ancestrales – dont celles débordant des limites formulées dans les accords de revendications territoriales – soit reconnu et respecté.

Les questions relatives à la chasse, à la durabilité et à l’environnement comme les marées noires et la présence de polluants chimiques dans la chaîne alimentaire sont importantes pour nous. L’extraction et le développement des ressources peuvent menacer nos moyens d’existence et notre droit à l’accès à des aliments sains. Nous sommes également à la recherche de sources d’énergie verte.

L’exclusion des Autochtones est un problème qui doit être pris en compte par la CNUDM et les autres mécanismes des Nations Unies et qui constitue un défi majeur pour les peuples autochtones du monde entier.

Les délégués autochtones aux Nations Unies relèvent ce défi et élaborent des protocoles visant à prendre en compte les droits des peuples autochtones aujourd’hui et dans l’avenir.

L’occasion ratée du Canada

La CNUDM et la souveraineté de l’Arctique relèvent du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (et dans une moindre mesure de la Défense nationale). Nous avons demandé au gouvernement du Canada pourquoi il n’inclurait pas dans sa demande à la Commission le point de vue et le savoir inuits. En ne travaillant pas avec les Inuits, le Canada rate une occasion de faire sérieusement valoir son droit sur l’océan Arctique, étant donné que la présence historique des Inuits dans l’Arctique est un argument convaincant en faveur de la souveraineté du Canada dans cette région.

Le regard tourné vers l’avenir

Il est très important pour nous, les Inuits, d’être partie prenante du futur développement de l’Arctique et de ne pas être exclus du processus de prise de décision. Si notre territoire connaît un boum économique, il doit profiter au peuple inuit et non pas se faire à ses dépens. Le Canada ne devrait pas avoir le droit de revendiquer des parties de l’océan Arctique habitées de tout temps par les Inuits sans en avoir au préalable obtenu leur consentement. Nous examinons les choix qui s’offrent à nous au Canada et sur la scène internationale.

En tant que Canadiens, nous devons porter toute notre attention sur nos processus nationaux afin que les Inuits soient inclus dans les décisions liées à l’Arctique.

J’espère qu’à l’avenir, des Autochtones de tout le Canada, en particulier venant des régions les plus pauvres et des groupes sous-représentés à la Chambre des communes, seront nommés au Sénat de sorte que les Inuits puissent se faire entendre dans le système législatif canadien. Le respect nous est dû à titre de premiers habitants du Canada. En tant que peuples fondateurs de cette nation, nous méritons d’être présents pendant les discussions.

Nakurmiik,
Le sénateur Charlie Watt

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