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Motion tendant à encourager le gouvernement à évaluer le coût et l’incidence de la mise en place d’un régime national de revenu de base

Motion tendant à encourager le gouvernement à évaluer le coût et l’incidence de la mise en place d’un régime national de revenu de base

Motion tendant à encourager le gouvernement à évaluer le coût et l’incidence de la mise en place d’un régime national de revenu de base

Motion tendant à encourager le gouvernement à évaluer le coût et l’incidence de la mise en place d’un régime national de revenu de base


Publié le 31 janvier 2017
Hansard et déclarations par l’hon. Art Eggleton

L’honorable Art Eggleton :

Honorables sénateurs, il s’agit de la motion no 51 et de son amendement. Si vous vous rendez à la page 17, vous pourrez voir la motion initiale que j’ai présentée il y a quelques mois ainsi que l’amendement. Je veux parler plus particulièrement de l’amendement que la sénatrice Bellemare a présenté il y quelques mois dans ses excellentes observations. Elle parlait notamment d’une stratégie de plein-emploi.

L’amendement qu’elle a alors présenté modifie l’idée du parrainage d’un projet pilote par le gouvernement fédéral et une ou plusieurs provinces. Elle en laisse l’initiative aux provinces, comme on le voit dans le passage suivant :

[…] à appuyer […] les initiatives des gouvernements provinciaux ou territoriaux, y compris des collectivités autochtones […]

À mon avis, c’est tout à fait compatible. Cela ne me pose aucun problème. Je la remercie de ses observations et de son soutien, et je remercie aussi la sénatrice Wallin de ses observations.

Ce que je vous demande, c’est de ne pas décider dès maintenant si vous êtes favorables, ou non, à un régime permanent de revenu de base. Ce que je dis, c’est que cette idée vaut la peine d’être testée. Les projets pilotes que les provinces envisagent valent la peine d’être essayés.

Nous avons déjà réalisé un projet pilote. C’était au Manitoba, pendant les années 1970. Il s’agissait du programme Mincome. Le programme a été mis à l’essai surtout à Dauphin, au Manitoba. Le projet a prouvé que, en fait, le programme de revenu de base ou de revenu annuel garanti présente des avantages. Le nombre de visites à l’hôpital a diminué. Les visites chez les médecins et les frais pour les professions médicales, notamment pour des problèmes de santé mentale, ont aussi diminué, car ce programme faisait baisser le niveau de stress. Tous ces indicateurs montraient qu’il y avait des économies pour le système de soins de santé.

À propos des programmes de revenu garanti ou de revenu de base, bien des gens se sont toujours préoccupés de la participation au marché du travail. Les gens ne vont-ils pas simplement quitter leur emploi pour rester chez eux et vivre de ce revenu de base? Le projet pilote a prouvé que les travailleurs tenaient toujours à travailler. Les seules dont la participation a diminué de façon notable sont les nouvelles mères qui ont préféré rester à la maison pour s’occuper de leurs enfants. C’était avant les prestations que le RPC prévoit maintenant pour elles.

Il y a aussi des adolescents qui sont retournés aux études pour parfaire leur formation et revenir dans la population active pour gagner un meilleur salaire, car un plus grand nombre d’entre eux ont obtenu un diplôme.

Ce qu’il nous faut maintenant, ce sont des données à jour. Cette expérience a été tentée il y a 40 ans. Il nous faut donc des données valables pour aujourd’hui, et nous possédons de meilleures méthodes pour regrouper l’information et analyser les données.

En outre, ces projets pilotes — mais il pourrait n’y en avoir qu’un seul — peuvent aider à bâtir la confiance. Ils apportent des éléments probants dont nous avons besoin pour décider pour de bon s’il y a lieu de s’engager dans cette voie.

Le gouvernement fédéral est déjà très engagé sur le plan de la sécurité du revenu grâce à un certain nombre de programmes. L’un d’eux ressemble beaucoup à un programme de revenu de base. Il s’agit du Supplément de revenu garanti, le SRG, pour les aînés. Lorsque, à la fin des années 1970, il s’est ajouté aux prestations du Régime de pensions du Canada et de la Sécurité de la vieillesse, il a permis de ramener de 30 à 5 p. 100 le taux de pauvreté chez les aînés.

Il y a aussi d’autres programmes, comme l’Allocation canadienne pour enfants et la Prestation fiscale pour le revenu de travail, qui se rattachent à la sécurité du revenu, mais aucun d’entre eux n’a pu faire reculer la pauvreté au Canada, sinon chez les aînés.

L’appui à ces projets pilotes prend de l’ampleur. Dans son dernier budget, l’Ontario a annoncé son intention d’étudier la question. Notre ancien collègue, Hugh Segal, a accepté de rédiger bénévolement un document sur les modalités d’un projet de cette nature. Le Québec étudie également la question. À l’Île-du-Prince- Édouard, tous les chefs de parti de la province — néo-démocrate, libéral et conservateur — souhaitent réaliser un projet pilote sur le revenu de base. Des maires et des conseillers dans de grandes villes de tout le Canada se sont aussi ralliés à cette idée.

Une étude réalisée il y a environ deux ans par Environics a révélé que 52 p. 100 des personnes interrogées jugeaient utile d’étudier la question.

Pourquoi cet élan se manifeste-t-il? Pourquoi les gens discutent-ils de cette possibilité et se disent-ils qu’il faut étudier plus sérieusement cette solution pour voir si elle peut s’appliquer? Il y a trois raisons, selon moi. La première est la persistance de la pauvreté. Statistique Canada nous apprend qu’un Canadien sur sept vit sous le seuil de la pauvreté. Cela fait cinq millions de personnes, dont un million d’enfants. En 1989, la Chambre des communes a dit qu’elle voulait éliminer la pauvreté chez les enfants au plus tard en 2000. Aujourd’hui, le taux de pauvreté chez les enfants est en fait plus élevé qu’il ne l’était à l’époque.

Il y a donc encore bien du travail à faire. L’Allocation canadienne pour enfants a certainement beaucoup aidé, mais il y a assurément beaucoup d’enfants qu’elle n’a pas pu tirer de la pauvreté.

Près de 900 000 personnes doivent se rendre tous les mois dans des banques alimentaires, et 38 p. 100 de ceux qui dépendent de ces banques sont des enfants. Quatre millions de personnes au Canada ont besoin d’un logement convenable et abordable, et des milliers de sans-abri tâchent de survivre dans les rues. Pour ces gens-là, qui sont nos concitoyens, chaque journée est une lutte pour survivre avec un revenu insuffisant, privés qu’ils sont d’un logement abordable, de vêtements adéquats et d’une alimentation suffisante.

L’état de santé des gens s’en ressent. C’est l’un des constats qu’on a faits à propos du revenu. L’Association médicale canadienne a repris cette idée en disant que la pauvreté nous rend malades. Elle a publié un rapport à ce sujet et fait remarquer que ceux qui se trouvent dans le quartile le plus bas des revenus au Canada ont des coûts relatifs à la santé deux fois plus élevés que ceux des personnes qui sont dans le quartile le plus élevé. Chez nous, un enfant sur sept va à l’école le ventre creux. Une grande partie de la population autochtone a des conditions de vie déplorables. La vulnérabilité à la pauvreté est plus marquée chez les Autochtones, les personnes handicapées, les chefs de famille monoparentale, les nouveaux immigrants et les gens de couleur. Quelle honte, dans un pays riche comme le Canada, qu’il y ait tant de données statistiques déplorables en matière de pauvreté.

Ne nous y trompons pas : la pauvreté ne recule pas. Elle tient toujours dans ses griffes beaucoup de Canadiens. Comme notre ancien collègue, Hugh Segal, le disait, notre système actuel ne lutte pas contre la pauvreté; il l’institutionnalise.

Il n’y a pas que les pauvres qui subissent les conséquences de la pauvreté. Nous sommes tous touchés. Toutes les études ont montré invariablement que la pauvreté coûte des milliards de dollars aux contribuables chaque année. Même chose pour l’itinérance. Il a été prouvé à maintes reprises qu’il en coûte trois ou quatre fois plus cher de laisser quelqu’un dans la rue que de l’aider à se loger.

Le système que nous avons mis en place est un échec. Les systèmes de soutien actuels sont un échec. Je pointe du doigt plus particulièrement notre système d’aide sociale. Il est humiliant, il stigmatise et marginalise les gens. Je crois qu’il doit être au centre de ces études. Il faut le remplacer par un meilleur filet de sécurité sociale.

Un autre sénateur, David Croll, a dit dès 1970 que nous dépensons des milliards de dollars chaque année pour un système d’aide sociale qui ne fait que traiter les symptômes de la pauvreté sans guérir la maladie. Il est temps d’opter pour une autre voie, ou du moins d’en explorer une nouvelle. Il est temps de mettre un terme à l’indignité, à la stigmatisation et à la marginalisation qui vont de pair avec notre actuel régime d’aide sociale. Il ne répond pas aux besoins de notre société et il est un échec au point de vue économique. Il est temps de renoncer aux expédients et de songer à une nouvelle orientation.

La deuxième raison qui me semble expliquer ces appuis grandissants à l’égard d’un programme de revenu de base, ou au moins pour des projets pilotes, sont les inégalités croissantes. Depuis 30 ans, un large écart de richesse et de revenus s’est creusé chez nous. Notre société devient moins égalitaire. Lorsque les 100 PDG les mieux rémunérés chez nous gagnent en moyenne 9,2 millions de dollars par année et que le salaire moyen des Canadiens se situe à un peu plus de 47 000 $, nous pouvons dire que la prospérité n’est pas partagée. Vingt pour cent de la population contrôle 68 p. 100 de la richesse.

Dans les villes, les écarts entre les quartiers se creusent. À mon avis, c’est là une menace pour notre tissu social.

À Toronto, il y a une statistique qu’il vaut la peine de signaler. Dans l’un des quartiers de Toronto, Leaside, le taux de pauvreté chez les enfants est de 4 p. 100. Cinq minutes en voiture suffisent pour aller à Thorncliffe, où ce taux est de 53 p. 100.

À Hamilton, deux quartiers situés à 5 kilomètres l’un de l’autre affichent un écart d’espérance de vie de 21 ans. Dans l’un d’eux, elle atteint 83 ans; 5 kilomètres plus loin, elle n’est que de 62 ans.

L’évolution du marché du travail est la troisième raison pour laquelle le revenu de base gagne des partisans. La mondialisation, l’externalisation, les nouvelles technologies, l’automatisation, la robotique, l’intelligence artificielle, tout cela contribue à transformer le marché du travail que nous avons connu jusqu’ici. Beaucoup d’emplois disparaissent dans le secteur manufacturier — des emplois pour travailleurs manuels — et sont remplacés par des emplois précaires. Il y a plus de travail à temps partiel et moins d’avantages sociaux. Les travailleurs n’ont plus les emplois sûrs et bien rémunérés qu’ils avaient par le passé.

Richard Florida, professeur à l’Université de Toronto, soutient que nous sommes au beau milieu de la transformation économique la plus importante et la plus profonde de l’histoire. Le Centre Mowat a fait remarquer récemment que 42 p. 100 des emplois au Canada risquaient fort d’être éliminés par l’automatisation au cours des 20 prochaines années, notamment à cause des nouvelles technologies de l’intelligence artificielle et de la robotique.

Ces trois raisons — pauvreté, inégalités et évolution du marché du travail —, conjuguées à la faiblesse de l’économie, contribuent à accentuer le stress chez bien des gens qui ont du mal à joindre les deux bouts et vivent d’un chèque de paie à l’autre, ce qui est le cas de la moitié de la population, dit-on. Des retraites insuffisantes et la dette trop lourde des ménages expliquent une anxiété plus grande et la recherche d’un meilleur filet de sécurité.

Comment se présenterait un projet pilote de revenu de base? Dans le rapport qu’il a remis à l’Ontario, Hugh Segal dit qu’il devrait reposer sur un impôt négatif sur le revenu ou qu’il devrait ressembler à un crédit d’impôt remboursable. Il apporterait un complément de revenu à ceux qui se situent en bas du seuil de pauvreté défini pour le projet pilote. Hugh Segal croit que nous pouvons prouver qu’un revenu de base réduirait plus efficacement la pauvreté, encouragerait le travail, atténuerait la stigmatisation, améliorerait l’état de santé des bénéficiaires et leur offrirait de meilleurs possibilités dans leur vie. Il a recommandé le versement d’un complément. Par exemple, les assistés sociaux auraient des prestations équivalant à 75 p. 100 du seuil de faible revenu et non plus à 45 p. 100. Il accorderait aussi un complément aux bénéficiaires de prestations d’invalidité.

Selon Hugh Segal, la participation au programme doit toujours être volontaire. Personne ne devrait se retrouver, à cause du projet pilote, dans une situation plus mauvaise pendant ou après ce projet. L’équipe de chercheurs garderait secrètes toues les données personnelles recueillies ou évaluées. Les données agrégées sous la forme de résultats préliminaires, une fois qu’ils commenceront à arriver, devraient être accessibles aux Ontariens en toute transparence.

L’auteur a donc décrit un programme que la province dit vouloir appliquer. Un montant de 25 milliards de dollars a été prévu dans le budget ontarien pour réaliser ce projet, mais il est possible qu’il faille injecter davantage de fonds. La province a toutefois besoin de la coopération du gouvernement fédéral, tout comme en auront besoin les autres provinces qui voudraient s’engager dans la même voie.

Lorsque nous examinons ce genre de programme, nous parlons en fait de sécurité du revenu, mais il y a plus, compte tenu des soutiens sociaux fournis par les différents ordres de gouvernement. Je veux qu’il soit clair que, même si un revenu de base remplaçait l’aide sociale provinciale et était intégré à d’autres programmes de même nature destinés à augmenter le revenu, nous aurions quand même besoin de programmes sociaux.

Son Honneur le Président : Sénateur Eggleton, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?

Le consentement est-il accordé, honorables collègues?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Eggleton : Nous aurons encore besoin de programmes de logements abordables, de garde d’enfants, d’aide à l’emploi, de formation, de rééducation des adultes et de soutien des aînés handicapés. Je crois que, à long terme, si nous dépassons le stade du projet pilote, nous serons en mesure d’avoir un système plus efficace qui ne nous coûtera pas plus cher qu’aujourd’hui. Il y aura des frais de transition mais, à court terme, il faudra certainement que tous les fonds consacrés à l’aide sociale, qu’il s’agisse de sécurité du revenu ou de soutien social, soient maintenus par les provinces et par le gouvernement fédéral pour veiller à ce que la situation des gens s’améliore et qu’elle n’empire pas.

Bref, je crois que tous les Canadiens devraient disposer d’un revenu suffisant pour payer toutes les choses nécessaires : l’alimentation, les vêtements et un logement décent. Je crois que tout le monde en conviendra. Un revenu de base ne permettra pas aux gens de mener la belle vie, mais il relèvera leur niveau de vie et les sortira de la pauvreté. Il devrait leur assurer une meilleure base pour se propulser vers l’avant avec leur famille afin d’avoir une meilleure vie, de meilleures occasions d’emploi, une meilleure éducation, moins de stress et certainement de quoi se payer les choses de première nécessité. Il devrait permettre aux gens de se passer d’une aide sociale coûteuse et d’éviter l’indignité d’une formule fondée sur l’impôt sur le revenu — l’impôt négatif — et améliorer leur situation.

Les systèmes actuels ont échoué. Ils ne fonctionnent certainement pas. Il est donc temps de chercher quelque chose d’autre. Basons- nous sur des données probantes et étudions cette approche. Si elle réussit, non seulement nous aurons mis fin à la pauvreté et réduit l’inégalité, mais nous aurons aussi dépensé plus intelligemment et plus efficacement notre argent.

Je vous remercie.

 

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