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Comité plénier — le commissaire aux langues officielles

Comité plénier — le commissaire aux langues officielles

Comité plénier — le commissaire aux langues officielles

Le sénateur Serge Joyal : 

Bienvenue, monsieur Théberge. J’éprouve une certaine affection pour l’Université de Moncton. Vous l’avez vu dans les archives de l’université, je peux presque réclamer que l’Université de Moncton est mon alma mater. Toutefois, ce n’est pas de l’Université de Moncton dont j’aimerais vous entretenir, mais plutôt de l’orientation et des convictions que vous souhaitez exprimer dans l’exercice de vos fonctions à titre de commissaire aux langues officielles.

Comme vous le savez sans doute, il y a 10 jours, un éditorial publié dans l’Acadie Nouvelle remettait en question votre capacité d’avoir la volonté réelle d’assumer les obligations sous-jacentes au poste de commissaire aux langues officielles et remettait en cause votre approche générale de gestion, qui est plutôt celle d’un médiateur que celle d’un négociateur ferme. Ces propos, qui ont été repris dans l’Acadie nouvelle le 24 novembre, exigent à mon avis que vous nous informiez de ce qu’il y a de juste et de moins juste dans cette caractérisation de votre manière de gérer et que vous nous convainquiez que vous avez la volonté et la requises pour exercer ces fonctions.

M. Raymond Théberge : Être médiateur, c’est une approche qui est très utile pour faire progresser les dossiers. On peut aller aux barricades, mais, après deux ou trois fois, on ne nous écoute plus. Ce qui importe, c’est de travailler avec les acteurs, avec les personnes qui sont en poste, que ce soit avec les parlementaires ou au sein des comités ou des organismes communautaires.

L’Université de Moncton a vécu des moments difficiles ces cinq dernières années — on l’a mentionné dans l’éditorial, soit dit en passant —, et nous avons passé au travers. Nous avons géré la situation. C’est une question de gestion de la situation.

À mon avis, la meilleure façon de procéder, c’est d’être ferme, bien sûr, mais c’est également d’avoir une approche qui nous permet collectivement de faire progresser un dossier. Aujourd’hui, nous vivons à une époque de compromis. La conciliation peut faire évoluer un dossier. M. Fraser disait lui-même que le fait de monter aux barricades à répétition ne donnait pas de résultats intéressants. Ce qui est important, c’est de faire cheminer les dossiers. Le style est l’un des aspects, mais le résultat est plus important. D’ailleurs, l’Université de Moncton est plus forte aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a cinq ans.

Le sénateur Joyal : Vous nous présentez l’égalité linguistique au Canada comme une valeur ajoutée. Je suis obligé de vous dire que l’égalité linguistique au Canada, c’est un droit. Je suis moi-même francophone, je suis majoritaire dans une société majoritaire au Québec, mais je suis minoritaire au Canada. La seule protection dont je bénéficie, c’est la Loi sur les langues officielles, qui a été adoptée en 1969, il y a plus de 48 ans — on n’est plus dans la nouveauté —, et la Charte des droits et libertés, conformément aux articles 16 à 23, adoptés il y a 35 ans.

On parle de droits et, quand on parle de droits, on parle de respect. Quand on parle de respect, on peut, comme vous le dites, médiatiser, éduquer, tenter d’en arriver à une sorte de compromis, mais sur la base des principes, à un moment donné, le commissaire aux langues officielles est obligé d’utiliser la partie X de la loi. Vous l’avez sûrement devant vous. La partie X de la loi concerne le recours judiciaire. À l’article 78(1), on dit ceci :

Le commissaire peut selon le cas :

a) exercer lui-même le recours […]

Il y a donc des initiatives que vous pouvez prendre pour faire de la médiation, mais il y a des situations où, les droits en cause n’ayant pas été respectés, vous avez l’obligation d’aller devant le tribunal. C’est cela, à mon avis, qui semblait sous-jacent à l’éditorial de l’Acadie nouvelle; on semblait douter que vous puissiez avoir la fermeté nécessaire pour aller au bout de l’application du principe.

Votre rôle actuellement est bien différent de celui d’un recteur ou de la présidence d’un institut de recherche. Vous êtes un enquêteur et un procureur. Vous êtes un procureur à charge. Quand l’administration fédérale ou l’administration provinciale ne respecte pas les droits qui sont garantis dans la Constitution et dans la Loi sur les langues officielles, le rôle fondamental que le Parlement vous confie, c’est celui-là. Comment pouvez-vous nous assurer aujourd’hui que vous avez cette fermeté et que vous comprenez les responsabilités du poste à l’intérieur de ces paramètres qui sont très bien définis dans la loi?

M. Théberge : Je vous assure que je suis prêt à assumer les fonctions et les responsabilités du poste telles qu’elles sont définies par la loi. Il y a plusieurs mesures offertes par la loi et, ce qui est important, c’est de s’assurer qu’on prenne la bonne mesure au bon moment. Je peux vous assurer que, si un recours juridique doit être porté, je vais y voir. C’est le rôle du commissaire. Je l’ai dit au début, le commissaire est un chien de garde. I will speak truth to power. Je vais faire progresser les dossiers.

Le sénateur Joyal : Je ne doute pas de vos bonnes intentions. Ce que j’essaie de comprendre, c’est la manière dont vous définissez la compréhension des responsabilités qui vous sont dévolues, qui sont déterminées dans la loi, qui sont des responsabilités constitutionnelles à l’égard de la Charte et quasi constitutionnelles à l’égard de la Loi sur les langues officielles. Vous connaissez bien l’historique des tribunaux à l’égard de la Loi sur les langues officielles et de la Charte. On parle ici de droits. Il ne s’agit pas d’essayer de convaincre quelqu’un que vous avez raison, et qui, à force de réfléchir, finira par arriver à la bonne conclusion. On parle des droits des communautés en situation minoritaire qui, par conséquent, sont vulnérables par rapport aux décisions et aux priorités de la majorité qui ne correspondent pas à la vitalité de ces communautés minoritaires. C’est de cela dont on parle fondamentalement.

C’est la raison pour laquelle vous avez ces pouvoirs qui vous sont conférés par la loi, parce que vous avez finalement le pouvoir d’obtenir un ordre de la cour. Vous l’avez fait dans l’affaire Bilodeau, et l’association manitobaine est intervenue dans l’affaire Bilodeau, comme vous le savez très bien, en 1986 ou 1987, il y a presque 32 ans maintenant. Nous avons besoin de connaître votre compréhension afin d’être convaincus, en quittant cette salle, que vous avez les capacités, les outils, les moyens, la conviction et la volonté nécessaires pour faire face à ceux et celles qui ne respectent pas les droits des minorités au Canada, après 50 ans. C’est de cela qu’il s’agit.

M. Théberge : Je partage pleinement tout ce que vous venez de dire. Je le partage entièrement. Effectivement, le rôle du commissaire, c’est d’assurer l’application de la Loi sur les langues officielles. Je peux vous assurer que je vais tout faire pour que la Loi sur les langues officielles soit appliquée. Si la loi n’est pas respectée, les mesures appropriées conformément à la loi seront prises.

Le sénateur Joyal : Je voulais vous soumettre la définition des règlements fédéraux en ce qui concerne le critère selon lequel le nombre est utilisé pour déterminer l’obligation du gouvernement fédéral d’offrir des services en français. À mon humble avis, ce critère est discriminatoire. Vous avez probablement lu les rapports du Comité sénatorial permanent des langues officielles et les propos de Mme la sénatrice Chaput, qui avait proposé des modifications à la Loi sur les langues officielles sur cette question. Pouvez-vous nous dire où vous vous situez à l’égard de la réforme de ce critère qui, à mon avis, est proprement discriminatoire?

M. Théberge : Je pense que le critère actuel ne reflète pas la réalité des francophones, tout d’abord. Lorsqu’on fait le calcul de la première langue apprise, on constate qu’il manque énormément de francophones potentiels et, de fait, on devrait peut-être réfléchir à d’autres critères au lieu de fonctionner sur une base strictement démographique, comme peut-être des critères beaucoup plus qualitatifs dans le sens de ce qu’il y a en place et du type d’institutions qui existent dans une région donnée. Vous avez raison, ce calcul a été fait il y a fort longtemps, et il serait temps non seulement de repenser ce calcul, mais également de trouver une nouvelle approche pour déterminer où le besoin le justifie. Il ne s’agit pas seulement de chiffres, mais il y a un côté qualitatif en ce qui a trait aux institutions. C’est extrêmement important pour faire avancer les communautés.