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Deuxième lecture du projet de loi S-203, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois (fin de la captivité des baleines et des dauphins)

Deuxième lecture du projet de loi S-203, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois (fin de la captivité des baleines et des dauphins)

Deuxième lecture du projet de loi S-203, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois (fin de la captivité des baleines et des dauphins)

Deuxième lecture du projet de loi S-203, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois (fin de la captivité des baleines et des dauphins)


Publié le 23 novembre 2016
Hansard et déclarations par l’hon. Wilfred Moore (retraité)

L’honorable Wilfred P. Moore :

Honorables sénateurs, j’interviens pour la dernière fois aujourd’hui au sujet du projet de loi S-203, la Loi visant à mettre fin à la captivité des baleines et des dauphins.

Le projet de loi propose de mettre fin graduellement à la captivité des baleines, des dauphins et des marsouins au Canada, sauf en cas de sauvetage et de rétablissement. Le projet de loi permettrait d’atteindre cet objectif par l’application des pouvoirs dont le gouvernement fédéral dispose dans les domaines du commerce international, de la cruauté envers les animaux et des mammifères marins dans les eaux côtières.

J’ai fait valoir que le maintien des baleines en captivité dans des bassins d’observation constitue une pratique cruelle injustifiable. D’aucuns ne sont pas d’accord avec cet argument. Heureusement, le Sénat du Canada est un endroit où ce genre de débat peut avoir lieu. Je tiens également à remercier les sénateurs de la patience dont ils ont fait preuve lors de nos délibérations d’hier. J’espère que cet endroit continuera de fonctionner selon les principes de respect et de dialogue civil auxquels nous sommes tous tenus.

Voici la question dont nous sommes saisis : les baleines et les dauphins devraient-ils être gardés en captivité dans des bassins? Il s’agit d’une décision morale qui doit néanmoins être fondée sur des preuves scientifiques. Collectivement désignées comme des cétacés, ces créatures constituent un groupe biologique distinct. Les cétacés présentent des caractéristiques communes, notamment un haut niveau d’intelligence et de sociabilité, la capacité d’exprimer des émotions et d’utiliser un système de communication complexe et un mode de vie migrateur. Plusieurs estiment que de telles caractéristiques nous obligent à considérer ces créatures dans une optique morale.

Voilà pourquoi le projet de loi S-203 vise à accorder aux baleines et aux dauphins des protections raisonnables dans les lois canadiennes. Plus précisément, le projet de loi S-203 vise à les protéger des torts causés par la captivité. Ces torts comprennent la séquestration, l’isolement, les problèmes de santé, la réduction de l’espérance de vie, les taux de mortalité infantile élevés et la privation sensorielle, laquelle doit être grave pour les créatures qui s’orientent dans leur environnement au moyen de l’écholocation.

Si le projet de loi S-203 est adopté, la capture de baleines et de dauphins vivants sera illégale, sauf s’il s’agit d’un sauvetage. De plus, le commerce et l’élevage de cétacés vivant en captivité seront interdits, et les spectacles nécessiteront un permis provincial.

Au Sénat, la principale objection à l’égard du projet de loi S-203 est la crainte que cela ne nuise aux recherches scientifiques, qui sont cruciales pour les efforts de conservation. Or, même si cette crainte était fondée, et elle ne l’est pas, l’argument de la recherche donne une fausse impression de l’industrie de la captivité.

La grande majorité des baleines et des dauphins en captivité au Canada ne jouent aucun rôle dans la recherche scientifique. Plus de 50 bélugas et dauphins, ainsi qu’un épaulard isolé, sont gardés à Marineland, un parc d’amusement situé à Niagara Falls, exclusivement à des fins de divertissement. Phil Demers, un ancien entraîneur en chef à Marineland, nous a dit qu’on entraîne les baleines en les privant de nourriture et qu’on leur donne à manger du poisson contenant du Valium. J’en ai déjà parlé et je me serais attendu à ce que ceux qui s’opposent au projet de loi S-203 réagissent à ces propos.

L’aquarium de Vancouver est une exploitation beaucoup plus petite. On y détient seulement quatre cétacés, dont trois ont été conservés après qu’on les ait secourus parce qu’ils ne pouvaient être relâchés dans le milieu sauvage, ce que le présent projet de loi continuerait de permettre. Le quatrième cétacé, une femelle béluga nommée Aurora, a été capturé près de Churchill, au Manitoba, en 1990. Elle a été enlevée à sa famille dans la nature pour être utilisée pour l’élevage en captivité en collaboration avec des parcs thématiques américains, à qui l’aquarium de Vancouver a prêté d’autres baleines. Aurora a vu tous ses rejetons mourir, y compris Qila, morte la semaine dernière. Nous avons appris hier qu’Aurora se meurt à l’aquarium de Vancouver, au moment où l’on se parle. Évidemment, le personnel de l’aquarium fait ce qu’il peut, mais le fait demeure qu’Aurora a passé sa vie en captivité à des fins d’élevage et de divertissement et mourra également en captivité.

Honorables sénateurs, la mise en captivité des baleines ne vise pas essentiellement la recherche. Elle vise à faire de l’argent. C’est peut-être la raison pour laquelle de nombreux scientifiques, comme Jane Goodall, s’opposent à la mise en captivité des baleines et des dauphins. Comme vous l’avez appris à la lecture d’une lettre que j’ai fait circuler, le projet de loi S-203 a reçu l’appui de 20 biologistes de la vie marine reconnus mondialement. Je vais lire un extrait de cette lettre :

[…] les baleines à dents, les dauphins et les marsouins comptent parmi les mammifères les plus intelligents et les plus complexes socialement du monde. En tant que biologistes spécialistes des mammifères marins, nous estimons que ces espèces sont fondamentalement incapables de s’adapter entièrement à un confinement dans un zoo ou un aquarium. Ces espèces sont variées et partagent certaines caractéristiques biologiques et écologiques qui les empêchent de s’épanouir dans un zoo ou un aquarium, et c’est surtout le cas pour les plus grandes espèces comme les épaulards.

La lettre se poursuit ainsi :

Il y a environ 80 ans, quand on a exposé les dauphins pour la première fois au public dans un but lucratif, le monde connaissait peu de chose au sujet de l’écologie et du comportement de ces mammifères. Pendant les décennies qui ont suivi, une grande partie des découvertes scientifiques a découlé d’études menées sur des animaux en captivité. Or, les études menées sur des animaux en liberté depuis la fin des années 1960 et le début des années 1970 ont grandement élargi nos connaissances sur la biologie et l’écologie des baleines à dents, des dauphins et des marsouins. À tout le moins, le savoir scientifique grandissant relatif aux besoins biologiques de ces animaux ne justifie plus qu’on les garde en captivité dans des installations commerciales à des fins de divertissement.

Honorables sénateurs, cette lettre devrait suffire à justifier le renvoi du projet de loi au Comité des pêches et des océans, mais il y a plus encore.

Sidney Holt, un autre partisan du projet de loi S-203, est l’un des biologistes de la vie marine les plus influents des XXe et XXIe siècles. Il a contribué à mettre un terme à la chasse à la baleine commerciale et il a occupé des postes supérieurs aux Nations Unies, à la Commission baleinière internationale et à l’Université de Cambridge. Pour appuyer ce projet de loi, M. Holt a écrit ceci :

L’industrie des poissons d’aquarium cherche à justifier la captivité des baleines et des dauphins en alléguant qu’elle permet d’« obtenir des connaissances scientifiques cruciales » pour la protection de ces animaux, mais c’est généralement faux.

Je ne connais pas un seul aquarium commercial ou public où l’on puisse prétendre à juste titre que les activités qui s’y déroulent sont importantes pour la conservation des espèces qu’on y garde. Des observations intéressantes ont été effectuées, c’est certain, mais aucune n’a été d’une utilité notable, que je sache. Dire que les animaux en captivité bénéficient des recherches dont ils font l’objet, c’est, au mieux, faire une affirmation spécieuse.

Il n’est nullement nécessaire de maintenir les animaux en captivité pour parfaire nos connaissances à leur sujet. En fait, pour étudier les baleines et les dauphins, il existe d’autres méthodes éprouvées et plus éthiques, qui ne nécessitent pas la vie en captivité et permettent fort probablement d’obtenir plus de renseignements sur la vie de ces animaux à l’état sauvage. J’ai moi-même, comme de nombreux autres scientifiques, effectué une recherche fort productive sur le dauphin à gros nez dans des lagunes, dont il peut sortir et où il peut revenir librement.

Dans le cas des cétacés grands migrateurs, comme le béluga, qui parcourent de longues distances, le maintien dans des étangs, des bassins et des aquariums est, selon moi, une forme particulière de cruauté. Personne n’a fourni de raison convaincante pour justifier un pareil traitement — en tout cas, aucune raison fondée sur la science ou la conservation.

Comme je l’ai dit, Jane Goodall a exprimé son appui aux politiques contenues dans le projet de loi S-203. Je la cite :

On ne peut plus se servir de motifs scientifiques pour justifier l’existence de programmes d’élevage de cétacés à l’aquarium de Vancouver, ou le prêt de bélugas à Sea World. Cela est démontré par le haut taux de mortalité associé à ces programmes d’élevage et par le fait que l’aquarium continue d’utiliser ces animaux dans des spectacles interactifs afin de divertir les foules […] L’élimination progressive de ces programmes est une conséquence naturelle de notre vision évolutive des animaux non humains qui partagent cette planète avec nous.

Tous les côtés devraient s’exprimer sur la question. J’espère que le Comité des pêches et des océans tiendra un débat scientifique approfondi sur la question, en présence d’experts qui présenteront des données et en vérifieront la validité. Je veux entendre les points de vue des scientifiques et, surtout, ce qu’ils ont à se dire mutuellement.

J’espère également que Marineland profitera de l’occasion pour expliquer publiquement la valeur sociale de ses activités. Soulignons que l’État de la Californie a adopté une loi semblable au projet de loi S-203 le 13 septembre 2016, avec l’appui de SeaWorld.

À l’heure actuelle, les lois pénales canadiennes interdisent la cruauté envers les animaux, y compris des activités précises comme le combat ou le harcèlement d’animaux et la remise en liberté d’oiseaux en vue de tirer sur eux. Le projet de loi S-203 interdit d’autres traitements particulièrement cruels, notamment l’élevage en captivité de cétacés ou la capture de nouveaux spécimens pour des raisons autres que le sauvetage. Comme dans le cas d’autres lois contre la cruauté envers les animaux, cette mesure est une condamnation morale d’une pratique cruelle assortie d’une sanction appropriée.

Je signale que, pour décourager et condamner la mise en captivité de cétacés et leur élevage en captivité, j’accepterai que le comité en fasse une infraction punissable par procédure sommaire passible d’une amende considérable. Si le comité estime que l’élevage de cétacés n’est pas une pratique cruelle, je m’attends à ce qu’il exerce son propre jugement. Les autres restrictions prévues au projet de loi S-203, concernant notamment l’importation et l’exportation, ne nécessitent pas de modifications au Code criminel. Voilà ma position. Elle est maintenant consignée au compte rendu.

Nul besoin d’expertise juridique pour déterminer que la mise en captivité des cétacés est une pratique cruelle. Chers collègues, il s’agit d’une question à la fois morale et scientifique que le Comité des pêches et des océans est le mieux en mesure d’étudier.

Parmi les partisans du projet de loi S-203, mentionnons M. Marc Bekoff, de l’Institut Jane Goodall; Gabriela Cowperthwaite, réalisatrice du documentaire Blackfish, diffusé sur CNN; Ric O’Barry, l’ancien dresseur de dauphins de l’émission Flipper et vedette du documentaire oscarisé sur la chasse aux dauphins intitulé La baie de la honte; la Fédération des sociétés canadiennes d’assistance aux animaux; la Société pour la prévention de la cruauté envers les animaux de la Colombie-Britannique; trois anciens dresseurs de SeaWorld aux États-Unis et, enfin, l’organisme ZooCheck Canada.

Le maire de Vancouver, Gregor Robertson, s’est prononcé publiquement contre l’élevage en captivité et le maire de Niagara Falls Jim Diodati a déclaré qu’on devrait donner à Marineland la possibilité de se réinventer progressivement.

De plus, grâce aux efforts déployés par Gary Charbonneau de Vancouver et Phil Demers pour attirer l’attention du public sur le projet de loi, 5 775 Canadiens ont signé une pétition réclamant que la Chambre des communes adopte celui-ci. Une pétition diffusée sur le site internationalchange.org a recueilli plus de 27 000 signatures. Il est envisagé qu’Elizabeth May, du Parti vert, parraine le projet de loi à l’autre endroit.

Je demande maintenant au Sénat de prendre une décision à l’étape de la deuxième lecture. Ce faisant, je demande simplement qu’on puisse examiner ce projet de loi de façon équitable, selon ses mérites, et qu’il fasse l’objet d’un vote libre.

Il s’agit de déterminer si, en 2016, nous devrions garder les baleines et les dauphins dans des réservoirs d’exposition dans le but premier de divertir l’être humain.

À mon avis, si nous continuons de permettre que ces créatures intelligentes et empathiques soient vendues et appartiennent à des gens, nous irons à contre-courant de l’histoire.

Je vous prie de prendre en considération ce que vous savez maintenant et d’écouter votre cœur. Je pense que vous conclurez que les baleines et les dauphins méritent de vivre en liberté, parmi leurs semblables, en haute mer.

Votre Honneur, si vous le voulez bien, j’aimerais qu’on passe au vote.