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L’étude sur les questions relatives à l’Examen de la politique de défense entrepris par le gouvernement

L’étude sur les questions relatives à l’Examen de la politique de défense entrepris par le gouvernement

L’étude sur les questions relatives à l’Examen de la politique de défense entrepris par le gouvernement

L’étude sur les questions relatives à l’Examen de la politique de défense entrepris par le gouvernement


Publié le 13 décembre 2016
Hansard et déclarations par l’hon. Mobina Jaffer

L’honorable Mobina S. B. Jaffer :

Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour parler plus récent rapport du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, qui s’intitule Déploiements de l’ONU : Prioriser nos engagements au Canada et à l’étranger. Ce rapport s’inscrit dans l’étude plus vaste menée par le comité afin d’examiner, pour en faire rapport, les questions relatives à l’examen de la politique de défense entrepris actuellement par le gouvernement.

En 1957, Lester B. Pearson a remporté le prix Nobel de la paix pour ses efforts en vue du déploiement d’une force de maintien de la paix des Nations Unies en Égypte en réponse à la crise du canal de Suez. Depuis, la communauté internationale mise sur le leadership et le savoir-faire du Canada quand un conflit éclate dans le monde.

Le maintien de la paix par les Nations Unies a changé depuis l’époque de Lester B. Pearson. Les missions d’aujourd’hui sont souvent entreprises alors qu’il n’y a pas de paix à maintenir. Ces missions visent plutôt à favoriser le rétablissement de la paix et à protéger les civils qu’à maintenir la paix au sens traditionnel.

Le rapport du comité, Déploiements de l’ONU : Prioriser nos engagements au Canada et à l’étranger, cerne plusieurs domaines possibles où le Canada pourrait jouer un rôle important dans les opérations de soutien de la paix des Nations Unies, y compris des contributions non militaires pouvant renforcer la gouvernance et la primauté du droit et favoriser la prévention des conflits à l’étranger.

Le comité a appris qu’il faut adopter une approche pangouvernementale. Le général Jonathan Vance nous a expliqué que les Forces armées canadiennes sont prêtes à entreprendre des missions de paix de l’ONU. Toutefois, il nous a dit que les soldats ne peuvent résoudre à eux seuls les conflits. Il a dit ce qui suit :

[…] la plupart du temps, par rapport à la nature du conflit et à ce que vous pouvez faire à ce sujet, le militaire ne peut intervenir qu’à hauteur de 20 p. 100 et que le reste est fonction des causes premières du conflit, des défis que doivent relever les nations en cause et, peu importe les forces militaires en présence, il est peu probable qu’elles réussissent à éradiquer les causes premières.

Tout en reconnaissant cette réalité, le comité a formulé huit recommandations.

Notre première recommandation énonce que notre gouvernement devrait obtenir le consentement du Parlement avant tout déploiement. Notre deuxième recommandation propose que le gouvernement précise les règles d’engagement de notre personnel militaire avant qu’il ne parte en mission.

Alors que nous nous engageons à nouveau dans des opérations de maintien de la paix, nous devons nous assurer que nos militaires et nos policiers auront la capacité de se protéger contre ceux qui tenteraient de leur porter préjudice. Nous devons également nous assurer qu’ils sont en mesure d’agir lorsqu’ils voient des civils être abusés ou mis en danger, car les opérations modernes de maintien de la paix ont pour objectif de protéger les civils. Il est donc essentiel que nos règles d’engagement reflètent cette réalité.

La troisième recommandation du comité est que le gouvernement du Canada accélère la mise en œuvre de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies, qu’il favorise l’inclusion d’un plus grand nombre de femmes dans tous les aspects des opérations de soutien de la paix et qu’il s’assure que le personnel canadien et onusien déployé reçoive une formation poussée concernant le programme sur les femmes, la paix et la sécurité.

La résolution 1325 des Nations Unies et d’autres résolutions sœurs reconnaissent la contribution unique que les femmes peuvent apporter au processus de paix. À l’heure actuelle, seulement 4 p. 100 du personnel en uniforme prenant part aux opérations de paix de l’ONU sont des femmes. Toutefois, honorables sénateurs, au Canada, les femmes forment environ 15 p. 100 de la force régulière.

Selon plusieurs témoins entendus par le comité, le Canada est en mesure d’envoyer des femmes militaires qualifiées en affectation, tant au quartier général de l’ONU que dans des théâtres d’opérations. Nous pouvons aussi prendre part à la mise en œuvre de la résolution 1325 en veillant à ce que nos contributions aux Nations Unies soient sensibles au genre.

Par exemple, les Nations Unies comptent sur les pays membres pour faire la promotion de la formation sexospécifique pour les troupes, ce qui permettrait de mieux traiter les situations délicates en raison de questions de genre dans les opérations de paix des Nations Unies.

Grâce à l’aide apportée aux Nations Unies dans la création d’approches sensibles au genre en matière de désarmement, de démobilisation et de réintégration, les femmes pourront prendre part à la vie civile après le conflit, ce qui contribuera à modifier la culture des Nations Unies et à stimuler la mise en œuvre de cette résolution très importante.

Notre quatrième recommandation propose que, en guise de reconnaissance pour le fardeau supplémentaire incombant au personnel militaire francophone qui est déployé dans un pays de la Francophonie, le gouvernement élabore une stratégie visant à mieux soutenir ces hommes et ces femmes, ainsi que leurs familles.

À ce propos, soulignons qu’aujourd’hui près de la moitié des troupes onusiennes déployées dans des opérations de maintien de la paix à l’étranger se trouvent dans des pays francophones. Les témoins que nous avons entendus s’entendaient pour dire que les déploiements dans ce milieu allaient avoir pour effet d’exiger de nos brigades francophones de jouer un rôle prépondérant, alors que nous nous engageons à nouveau dans des opérations de paix de l’ONU. Donc, il va sans dire que cela affecterait énormément, entre autres, nos militaires du Royal 22e Régiment et du 5e Groupe-brigade mécanisé du Canada.

Notre cinquième recommandation indique que le gouvernement devrait allouer des ressources aux militaires qui reviennent au pays afin de les aider, spécialement dans le cas de ceux et celles qui souffrent du trouble de stress post-traumatique.

Des témoignages entendus par le comité nous ont appris que de nombreux Canadiens qui ont participé à des missions de paix pendant les années 1990 « […] sont revenus au pays profondément marqués, physiquement et psychologiquement ».

Notre expérience en Afghanistan nous montre tout particulièrement l’importance d’offrir du soutien aux militaires atteints du trouble de stress post-traumatique. En date d’aujourd’hui, il y a eu plus de soldats qui se sont suicidés depuis la fin de leur mission que de soldats qui sont morts sur le terrain.

Honorables sénateurs, nous savons tous que nous ne pouvons pas laisser ces braves Canadiens de côté lorsqu’ils ont le plus besoin de nous. Ils nous donné les meilleures années de leur vie. Nous ne saurions faire moins.

Notre sixième recommandation demande que le Canada établisse des partenariats avec des organisations régionales telles que l’Union africaine afin de promouvoir la prévention des conflits et le renforcement des capacités. Le recours à la force dans le but d’affronter des groupes hostiles n’étant qu’une infime partie des opérations de paix des Nations Unies, il va sans dire qu’une fois la menace dissipée, la prévention en matière de conflit et la médiation jouent un rôle prépondérant quant à l’obtention d’une paix durable.

Pour reprendre les paroles du général Jonathan Vance :

Le recours à la force ne doit pas être une fin en soi […] les militaires instaurent les conditions nécessaires pour que la situation s’améliore.

Cependant, pour instaurer une paix durable, il faut tenir compte de diverses questions. La gouvernance, le secteur de la sécurité, la capacité économique et la primauté du droit sont autant d’exemples des divers éléments à prendre en compte pour que l’on puisse instaurer une paix durable.

Cela dit, plusieurs partenaires internationaux peuvent nous aider à rétablir la stabilité à l’échelle mondiale. Plus particulièrement, il y a des organisations régionales, notamment l’Union africaine, qui sont des forces puissantes pouvant favoriser la paix.

Puisqu’elles sont des organisations qui sont intégrées dans la région et qui disposent d’un effectif considérable, les organisations régionales assument plus de risques et offrent plus de personnel pour les missions. Cependant, nombre de ces organisations régionales sont aux prises avec de grands problèmes liés à la capacité, alors même qu’elles jouent un rôle clé dans le rétablissement de la stabilité. À l’heure actuelle, de nombreux pays n’ont pas la formation et l’expertise nécessaires en matière de prévention de conflits et de développement de la capacité.

Le Canada peut contribuer énormément à doter ces organisations régionales des outils qu’il leur faut pour devenir des alliés puissants dans la lutte pour le maintien de la paix dans le monde.

Au cours de notre étude, des témoins ont comparu devant nous pour nous expliquer que nous disposons d’une base de civils expérimentés et motivés qui peuvent faciliter le processus de renforcement des capacités. En faisant profiter les organisations régionales de leurs connaissances, nous pouvons leur donner les moyens de devenir de solides remparts contre les conflits.

En septième lieu, nous recommandons au gouvernement du Canada de créer un centre de formation sur les opérations de soutien de la paix pour aider à former, avant et après un déploiement, le personnel militaire, policier et civil des contingents participant aux missions. La formation devrait être offerte au Canada et à l’étranger. Les opérations de paix modernes portent sur tous les aspects des conflits, depuis les missions de maintien de la paix traditionnelles jusqu’aux missions de combat, en passant par la compréhension des ressources et des compétences nécessaires avant, pendant et après le conflit.

À l’heure actuelle, le Canada n’a plus, pour enseigner cette approche globale des missions de paix de l’ONU, la capacité et le savoir-faire dont il disposait quand le Centre Pearson pour le maintien de la paix existait.

L’établissement d’un centre de formation sur les opérations de soutien de la paix nous permettrait de revenir à nos racines, de faire profiter le monde de notre expérience et d’apprendre de nos partenaires étrangers.

Dans notre huitième et dernière recommandation, nous exhortons le Canada à travailler avec le secrétaire général des Nations Unies pour définir et mettre en œuvre un cadre afin d’intenter des poursuites contre les auteurs d’infractions liées à des cas d’exploitation ou d’agression sexuelles, de traite des personnes, de maltraitance de mineurs et de prostitution, commises pendant des opérations de soutien de la paix des Nations Unies.

Au cours de son étude, le comité a été informé des préoccupations grandissantes au sujet des agressions sexuelles commises par des Casques bleus et a appris que c’est devenu un problème grave que les Nations Unies tâchent de régler.

Malheureusement, beaucoup d’auteurs de ces crimes horribles peuvent demeurer impunis malgré la gravité des gestes posés. C’est que les Nations Unies exigent le consentement de l’État membre dont l’accusé est ressortissant pour appliquer les mesures disciplinaires qu’il a prévues dans les cas d’exploitation et d’agression sexuelles. Comme ce consentement n’est presque jamais donné, les auteurs de ces crimes sont jugés dans leur pays plutôt que par l’ONU ou un autre organisme aux termes des dispositions du droit international.

Les criminels qui se rendent coupables d’exploitation ou d’agression sexuelles s’en tirent souvent sans sanction. Comme si ce n’était pas assez, les pays membres refusent souvent d’accorder à l’ONU les moyens de faire enquête ou d’entamer des poursuites, ce qui veut dire que, bien souvent, il n’y a aucun moyen de savoir ce qui s’est vraiment passé.

Même si l’ONU a déclaré qu’elle ne tolérerait désormais plus aucun écart en la matière, le Canada n’est pas obligé de rester les bras croisés et il peut demander des comptes aux auteurs de ces crimes. Les institutions canadiennes — qu’il s’agisse de l’armée ou des forces de l’ordre en général, y compris les tribunaux — disposent d’un excellent système pour sanctionner l’inconduite sexuelle. Nous pouvons faire profiter le reste du monde de notre expertise dans ces domaines et aider les autres pays à se doter de stratégies semblables.

Déjà à l’époque du Centre Pearson, nous aidions les autres pays à lutter contre ce fléau. Je presse donc le gouvernement de laisser le Canada reprendre ce rôle afin qu’il puisse contribuer à mettre fin à l’impunité dont jouissent ceux qui se rendent coupables d’exploitation ou d’agression sexuelles.

Honorables sénateurs, je suis très contente que le premier ministre Trudeau et le ministre Sajjan aient annoncé leur intention de s’investir davantage dans les missions de maintien de la paix de l’ONU. Je les incite fortement à s’inspirer de nos huit recommandations.

Nos compatriotes tirent une grande fierté du fait que le Canada participe depuis très longtemps aux missions de maintien de la paix, et ils ont bien raison. Partout dans le monde, les gens se souviennent des Canadiens arborant le casque bleu de l’ONU comme des messagers de la paix mondiale.

Honorables sénateurs, le Canada a l’équipement, l’expertise et le personnel nécessaires pour contribuer aux opérations de paix de l’ONU à une époque où il n’y a à peu près plus aucune paix à maintenir dans les zones de conflit. Il a aussi les connaissances et les compétences humaines requises pour que la paix soit maintenue pendant des années dans les régions où les conflits finissent par se régler.

Honorables sénateurs, exhortons le gouvernement à utiliser ces forces et à apporter un changement durable pour aider les gens qui en ont le plus besoin dans le monde.

Puis-je demander que ce rapport soit adopté maintenant, puisque nous souhaitons l’envoyer au ministre?