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Rapport du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, intitulé Le rôle du gouvernement fédéral dans un fonds de financement social

Rapport du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, intitulé Le rôle du gouvernement fédéral dans un fonds de financement social

Rapport du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, intitulé Le rôle du gouvernement fédéral dans un fonds de financement social

L’honorable Art Eggleton propose :

Que le vingt-quatrième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, intitulé Le rôle du gouvernement fédéral dans un fonds de financement social, qui a été déposé au Sénat le 10 mai 2018, soit adopté et que, conformément à l’article 12-24(1) du Règlement, le Sénat demande une réponse complète et détaillée du gouvernement, le ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social étant désigné ministre chargé de répondre à ce rapport.

— Honorables sénateurs, je sais que cela ne me rajeunit pas, mais ma carrière dans le domaine public a commencé il y a près d’un demi-siècle. J’ai été conseiller municipal à Toronto dans les années 1970 et maire de Toronto dans les années 1980. Pendant cette période et par la suite, je me suis intéressé à ce qu’on appelle l’entreprise sociale. Il s’agit, en fait, d’entreprises qui suivent les modèles d’affaires habituels et qui génèrent des revenus, mais qui ont une vocation sociale. On parle parfois d’entreprises « à but lucratif et à bénéfice social ».

Je me souviens qu’au début ces entreprises visaient surtout à offrir des emplois à des gens qui avaient du mal à se tailler une place sur le marché du travail, par exemple des personnes marginalisées ou handicapées. Il est clair qu’à l’époque il existait peu de soutien à l’intention des personnes handicapées. Les anciens détenus faisaient aussi partie des gens qui avaient du mal à trouver un emploi, comme c’est encore le cas aujourd’hui.

Il peut s’agir de tâches toutes simples, comme livrer des enveloppes et des paquets ou soulever des objets. Je me souviens d’une entreprise qui, pour permettre à d’anciens détenus de gagner de quoi vivre, prenait du café, le réemballait et le vendait à des organismes à but non lucratif. J’ai aussi vu des cas où on recyclait différents matériaux et métaux pour en faire de nouveaux objets qui étaient ensuite mis en vente.

Toutes ces entreprises aidaient beaucoup de monde, et quand elles faisaient un peu de profit, elles s’en servaient pour créer encore plus d’emplois, pour prendre de l’expansion ou pour financer un organisme caritatif qui aidait lui aussi les gens à trouver un emploi.

Au fil du temps, l’idée même de l’entreprise sociale a fini par gagner en popularité. Le concept s’est raffiné et il s’est créé toutes sortes de programmes plus complexes nécessitant beaucoup plus d’argent. Au départ, la plupart des programmes fonctionnaient avec un budget minimum, mais il leur fallait désormais beaucoup d’argent pour fonctionner.

Les petites entreprises qui voulaient prendre de l’expansion avaient, par exemple, besoin de capitaux. C’était la même chose pour celles qui voulaient s’intéresser aux dossiers environnementaux.

C’est ainsi, au fur et à mesure que grandissaient les besoins financiers des entreprises sociales, qu’est né le financement social, le sujet du rapport que je vous présente aujourd’hui.

Le financement social a donné lieu à de nombreux concepts et idées, à commencer par les obligations à impact social. Vous savez, si on additionne les actifs des fonds privés, comme les régimes de retraite, des caisses de crédit et des nombreux Canadiens à l’aise financièrement qui veulent s’impliquer socialement, on arrive à des milliards de dollars. Des milliards qui pourraient servir à faire ce qu’on appelle des investissements d’impact, soit des investissements qui visent moins le rendement que la portée sociale du geste. Autrement dit, avancement social plus retour sur investissement égale investissement d’impact.

Je me souviens d’un cas très intéressant, qui date d’il y a 10 ans et qui a mis en pratique le concept d’ententes subordonnées à la réussite. Il s’agit d’une prison à Peterborough, en Angleterre, où on voulait réduire le taux de récidive. À l’origine, 60 p. 100 des détenus libérés revenaient derrière les barreaux en moins d’un an, après avoir commis une autre infraction. Ces ex-détenus n’arrivaient pas à reprendre leur vie en main, car il leur manquait le soutien social, les services de counseling et l’aide dont ils avaient besoin. Résultat : ils récidivaient, se faisaient condamner et retournaient en prison. Le gouvernement a donc émis des obligations à impact social.

On a trouvé quelque 17 investisseurs. L’objectif était de faire baisser le taux de récidive de 7,5 p. 100. Le gouvernement du Royaume-Uni s’est montré très enthousiaste à l’idée de réduire le nombre de récidivistes tout en réalisant des économies considérables. Nous avons tous entendu, sans doute, qu’il en coûte plus de 100 000 $ par année pour incarcérer une personne. Des sommes importantes étaient donc en jeu. Le gouvernement, conscient des gains potentiels de l’approche, avait promis de verser une prime aux investisseurs si l’objectif était atteint.

Eh bien, figurez-vous que l’objectif a été dépassé. Le taux a baissé non pas de 7,5 p. 100, mais de 9 p. 100. Les investisseurs ont donc reçu leur prime et, comme moins d’ex-détenus se trouvaient réincarcérés, le gouvernement a fait des économies. Un gain a aussi été réalisé sur le plan du bien social: les résultats ont profité à la société et, surtout, aux ex-détenus concernés, qui sont retombés sur leurs pieds et ont eu l’aide nécessaire pour prendre le droit chemin. Il ne s’agit que d’un exemple parmi d’autres.

Mes collègues conservateurs seront intéressés de savoir que, autour de la même période, en 2012, Diane Finley, alors ministre des Ressources humaines, a commencé à parler des obligations d’impact social en disant que ce genre de programmes méritaient d’être pris en considération. C’est donc dire que des gens de toutes les allégeances politiques considèrent qu’il s’agit d’une approche à considérer.

Malgré tout cela, le nombre de fonds qui ont été établis aux fins de l’entreprise sociale demeure modeste. Il y a encore beaucoup d’argent qui pourrait être mis à profit. Comme je l’ai dit plus tôt, il y a des fonds de retraite ainsi que des gens très fortunés et prêts à investir une partie de leur argent dans la finance sociale. Il reste donc beaucoup à faire.

Aux alentours de 2009, un groupe de travail, le Groupe d’étude canadien sur la finance sociale, a été sur pied. Paul Martin en faisait partie, et on a aussi inclus Stanley Hartt pour une représentation politique plus équilibrée. Le groupe était présidé par Ilse Treurnicht, alors présidente-directrice générale de l’organisme MaRS, établi à Toronto. Le groupe a publié un rapport dont le titre, à mon sens, résume bien l’objectif : La mobilisation de capitaux privés pour le bien collectif.

Le groupe a fait sept recommandations. Il recommande notamment que les fondations canadiennes publiques et privées réservent au moins 10 p. 100 de leurs capitaux à des investissements axés sur la mission, comme les investissements dans l’entreprise sociale. Autrement dit, au lieu de désigner les fonds comme des dons de bienfaisance, on peut utiliser ce genre d’investissements pour créer des emplois et générer plus de profits aux fins d’une mission. Le groupe a aussi recommandé d’explorer la possibilité de mobiliser les actifs de caisse de retraite en appui à l’investissement d’impact. Nombre de fonds de retraite sont administrés par des syndicats pour des syndiqués ou des associations de fonctionnaires. Pourquoi ne pas utiliser une partie de cet argent pour ce genre de mission?

Je le fais pour mon collègue. Le groupe voulait également faire en sorte que les organismes de bienfaisance ou les organismes à but non lucratif puissent mener des activités rentables en appui à leurs différentes missions. Pour ce faire, les organismes de réglementation et les décideurs politiques doivent moderniser leurs cadres de référence. Il ne faut pas se contenter de donner de l’argent: il faut contribuer à l’investir pour faire fructifier les fonds qui serviront à plus de causes sociales. Il faut encourager les investisseurs privés à offrir les capitaux à coût plus bas et les capitaux patients dont les entreprises sociales ont besoin pour maximiser leurs résultats sociaux et environnementaux.

Il y avait une autre recommandation qui disait ceci :

Pour mobiliser de nouveaux capitaux dans le but d’influer sur l’investissement au Canada, le gouvernement du Canada devrait faire équipe avec des investisseurs privés, institutionnels et philanthropiques pour créer le Fonds d’investissement d’impact du Canada […] Ce fonds appuierait les fonds régionaux — il serait un genre de fonds d’investissement de gros — pour joindre le plus grand nombre de personnes et catalyser la création de nouveaux fonds. Les gouvernements provinciaux devraient créer des fonds de ce genre où il n’en existe pas.

Cette recommandation est au centre du rapport. Le rapport a été rédigé. Nous avons eu deux réunions en février auxquelles ont participé un certain nombre d’experts qui sont venus nous parler de financement social. C’est le rapport que j’ai ici. Normalement, vous devriez l’avoir vu. J’espère que tout le monde l’a reçu. Je vais parler des six recommandations qui se trouvent dans le rapport. Le rapport était unanime sur toute la ligne en ce qui concerne les partis, les préoccupations et les groupes.

Recommandation 1 :

Le comité recommande que le gouvernement fédéral crée un fonds de financement social pancanadien et qu’il y contribue. Le fonds serait indépendant du gouvernement, qui n’imposerait donc pas de contraintes à la manière dont l’argent est recueilli ou dépensé, mis à part pour définir les objectifs du fonds et mettre en place des mécanismes de responsabilisation relatifs à ses contributions.

Nous avons également parlé du genre d’entité que ce fonds pourrait constituer. Elle pourrait être comme la Banque de développement du Canada, si on voulait qu’elle soit une société d’État, ou elle pourrait être complètement hors de toute compétence fédérale, car il y a un souci d’indépendance.

J’ai une autre chose à dire au sujet de la première recommandation. Elle aiderait à montrer aux investisseurs que le gouvernement soutient ce genre d’approche et qu’il aide à assurer une certaine stabilité dans un fonds donné. C’est un levier puissant pour ce qui est de favoriser l’investissement de fonds du secteur privé pour le bien public.

Recommandation 2 :

Le comité recommande que le gouvernement cherche les occasions d’obtenir de l’argent auprès d’autres investisseurs lorsqu’il évalue la manière d’investir des deniers publics dans un fonds de financement social.

Le Royaume-Uni a eu une idée intéressante. Il existe un plan au Royaume-Uni qui consiste à prendre l’argent de vieux comptes bancaires non réclamés depuis une longue période pour l’investir dans le fonds de financement social. Si l’on appliquait cette solution au Canada, il faut garder à l’esprit que, chaque année, les institutions financières et les coopératives de crédit remettent à la Banque du Canada les comptes bancaires inactifs depuis 10 ans. Beaucoup de ces comptes sont presque vides. Ce sont quelques dollars ici et là. Toutefois, s’ils demeurent inactifs pendant 10 ans sans être réclamés, ils sont transférés à la Banque du Canada. En 2016, celle-ci a ainsi hérité de 1,8 million de tels petits soldes, d’une valeur totale de 678 millions de dollars. Pas mal.

Qu’advient-il de cet argent? La Banque du Canada finit par le transférer dans le Trésor fédéral, mais, comme elle doit attendre une longue période avant de pouvoir le faire, elle l’investit dans des placements, parfois 30 ans, parfois jusqu’à 100 ans. Quels sont ces placements? Les obligations d’épargne du Canada et les bons du Trésor. Cela peut sembler logique, mais le taux de rendement est extrêmement faible.

Oui, ces placements sont sûrs. Toutefois, ces fonds pourraient servir à attirer des fonds privés sans qu’on ait à piger dans le Trésor. Ce n’est qu’une idée qui, selon nous, mérite d’être envisagée, d’où la recommandation 2.

La recommandation 3 apporte, en fait, un peu plus de précisions. Elle dit ceci :

Le comité recommande que le gouvernement fédéral envisage d’utiliser les comptes bancaires inactifs comme source de capitaux pour le fonds de financement social.

Recommandation 4 :

Le comité recommande qu’une partie de la contribution fédérale à un fonds de financement social serve à créer de nouveaux fonds intermédiaires…

Ce sont les gens qui aident à créer les fonds. D’un côté, il y a ceux qui ont besoin de fonds, de l’autre, ceux qui ont des fonds; il faut les aider à travailler ensemble. C’est l’objectif.

… qui offriront des possibilités économiques et sociales à des régions et à des collectivités traditionnellement marginalisées.

Nous avons découvert que les fonds qui existent pour venir en aide aux entreprises sociales se trouvent surtout dans des villes comme Vancouver et Toronto. Edmonton a également des fonds considérables. Il faut répartir l’argent ailleurs au pays afin que les plus petites collectivités puissent aussi profiter de ces fonds.

Recommandation 5

Le comité recommande que le fonds soutienne le renforcement des capacités des institutions pour veiller à ce que les organismes soient en mesure de contribuer à l’écosystème de la finance sociale.

Cette recommandation vient appuyer la précédente. L’objectif est de renforcer les capacités dans différentes collectivités partout au pays.

Enfin…

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Eggleton, demandez-vous cinq minutes de plus?

Le sénateur Eggleton : Puis-je avoir deux minutes?

Son Honneur la Présidente intérimaire : Est-ce d’accord, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Eggleton : Merci.

La recommandation 6 est la dernière.

Le comité recommande que le gouvernement fédéral s’engage à financer un fonds de financement social sur plusieurs années, investisse périodiquement des montants fixes pendant cette période et prévoie un horizon de rendement éloigné.

Il faut un investissement soutenu à long terme.

Ce sont les six recommandations concernant le financement social. Nous croyons qu’il s’agit d’un outil extraordinaire pour mobiliser du capital privé pour le bien public. Ce financement contribuera à trouver des solutions à bien des problèmes vécus par les gens marginalisés de la société, par les gens à faible revenu, par les gens qui peinent à trouver de l’emploi et par les gens qui ont besoin des entreprises sociales qui seront soutenues par ce fonds.

Merci beaucoup. J’espère que nous adopterons le rapport.