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Troisième lecture du projet de loi S-210, Loi modifiant la Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Loi sur le mariage civil, le Code criminel et d’autres lois en conséquence

Troisième lecture du projet de loi S-210, Loi modifiant la Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Loi sur le mariage civil, le Code criminel et d’autres lois en conséquence

Troisième lecture du projet de loi S-210, Loi modifiant la Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Loi sur le mariage civil, le Code criminel et d’autres lois en conséquence

L’honorable Mobina S. B. Jaffer :

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-210, Loi modifiant la Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Loi sur le mariage civil, le Code criminel et d’autres lois en conséquence.

Je remercie la sénatrice Ataullahjan, qui m’appuie à l’égard de ce projet de loi depuis que je l’ai présenté il y a deux ans. Je remercie également les sénateurs Ogilvie et Eggleton et le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie de leur soutien et de leur discussion sur l’importance du projet de loi.

Le projet de loi S-210 a un but simple, comme l’illustre le fait qu’il contient un seul article. Le projet de loi S-210 abrogera le titre abrégé de la Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares, qui portait sur la polygamie, l’âge minimal pour le mariage, le mariage forcé et la provocation.

Aucun changement ne sera apporté au contenu et à l’interprétation de la loi. Le projet de loi n’a absolument aucune incidence sur les interdictions. Je n’ai même pas proposé un autre titre, puisque je ne souhaite pas amorcer cette discussion.

Le conseiller juridique du Sénat m’a informée que la loi n’a pas besoin de titre, puisqu’elle ne fait que modifier d’autres lois au lieu d’en créer une en bonne et due forme.

Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous demande la permission de terminer mon discours en position assise. Je vous remercie.

Autrement dit, toutes les dispositions de la Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares ont déjà été intégrées dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Loi sur le mariage civil et le Code criminel. Dans la plupart des cas, les projets de loi qui ne font que modifier des lois en vigueur n’ont pas de titre abrégé, justement pour cette raison. Cependant, en l’occurrence, le titre abrégé reste dans la loi même si rien n’y est associé. En d’autres mots, le projet de loi S-210 ne fera qu’abroger le titre abrégé, soit « Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares ».

J’ai présenté ce projet de loi parce que le fait de mettre côte à côte les mots « barbares » et « culturelles » dans un titre abrégé recadre totalement la discussion sur des crimes horribles comme le mariage forcé, la polygamie et la mutilation des organes génitaux féminins.

Honorables sénateurs, en mettant côte à côte les mots « barbares » et « culturelles », on enlève la responsabilité à l’égard de crimes horribles aux individus qui les ont commis. Au lieu de cela, on associe plutôt le crime à une culture ou à une communauté, en laissant entendre que ces pratiques horribles en font partie.

Le fait d’étiqueter ainsi des cultures a de graves conséquences. Pour vous donner une idée de la situation que j’essaie de décrire, j’aimerais lire la définition du mot « barbare » qui figure dans l’Oxford Dictionary :

Qui est sauvagement cruel. Qui est primitif; qui manque de raffinement. Qui est dépourvu de civilité et de culture.

Autrement dit, le fait d’utiliser côte à côte les mots « barbares » et « culturelles » dépeint des cultures entières comme étant cruelles et primitives. On décrit leurs membres comme étant des personnes inférieures, qui sont indésirables au sein de la société canadienne.

Honorables sénateurs, je le sais parce que j’ai vécu une telle expérience lorsque j’étais enfant. J’ai grandi dans un pays colonial, où les gens comme moi étaient qualifiés de barbares à cause de la couleur de leur peau. À l’école, on nous traitait de barbares. Si nous faisions une erreur ou si ne parlions pas anglais comme il faut, nos enseignants nous frappaient et disaient que nous étions des barbares.

Ils ont essayé de nous inculquer la honte de notre culture afin que nous pensions qu’elle était moins civilisée. Voilà ce qui arrive quand on dit de la culture d’une personne qu’elle est barbare.

Quand on dit de la culture d’une personne qu’elle est barbare, on va directement à l’encontre des valeurs mêmes qui permettent au Canada de se démarquer des autres. Tirons les leçons qui s’imposent du passé et, au lieu de marginaliser des cultures entières et de les exclure de la société canadienne, faisons une grande mosaïque de nos différences et favorisons l’unité.

Je tiens à préciser que je ne suis pas en train de dire que nous devrions prendre à la légère les crimes visés par la Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares. Je suis simplement en train de dire que nous devrions faire très attention aux mots que nous employons pour leur faire la lutte.

Chacun d’entre nous sait que les crimes que sont le mariage forcé, la mutilation génitale féminine et la polygamie sont inacceptables. Il ne s’agit toutefois pas des seuls crimes odieux que les Canadiens jugent inacceptables.

Bon nombre de sénateurs savent que je suis partie en croisade contre l’exploitation sexuelle des enfants sur Internet, en collaboration avec l’organisme International Justice Mission. Je me suis associée à lui parce que l’exploitation sexuelle des enfants sur Internet est inacceptable. Les agressions sexuelles en général sont inacceptables, mais c’est encore plus vrai quand elles visent des enfants.

Malgré tout, nous n’hésitons pas à qualifier les crimes visés par cette loi d’actes culturels barbares, mais sans pour autant accoler d’étiquette aux autres crimes. Selon moi, cela équivaut presque à dire que les crimes comme l’exploitation sexuelle des enfants sur Internet et les agressions sexuelles sont moins graves.

Nous savons tous que c’est faux. Rien ne justifie donc qu’ils soient dans une catégorie à part.

D’ailleurs, les auteurs de ces crimes sont autant des hommes que des femmes et ils proviennent de toutes les cultures, de tous les groupes raciaux et ethniques et de tous les groupes d’âge. C’est précisément pour cette raison que le Code criminel rend ces gestes illégaux : parce qu’ils peuvent être perpétrés par n’importe qui.

Même quand il est commis au nom de l’honneur, un meurtre est un meurtre. De de tout temps, le meurtre a toujours été illégal. Il en va de même pour les mariages forcés, qui sont illégaux quel que soit le groupe auquel on appartient. La réalité est que le crime n’est pas lié aux différentes cultures. C’est pour cette raison que l’on dit que ces gestes sont illégaux. Nous affirmons ainsi que personne n’a le droit de les commettre.

Cependant, malgré cela, le titre abrégé, « Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares », est encore utilisé. Cela nuit directement à nos chances de contrer ces crimes et réduit la probabilité que ceux qui commettent de tels crimes horribles finissent par être traduits en justice.

Honorables sénateurs, j’ai passé plus de 40 ans à lutter contre la mutilation génitale des femmes et les mariages forcés au Canada. Des femmes et des filles de partout au pays m’ont raconté les souffrances qu’elles ont vécues des suites des actes criminels décrits dans la loi et elles avaient toutes le même avis. Qualifier une culture de barbare ne donne rien. Au contraire, cela empêche les victimes de parler et fait en sorte que personne n’entendra jamais leur histoire.

J’aimerais vous donner un exemple de ce que j’ai entendu pendant que je parcourais le pays pour étudier la question. À Toronto, je suis entrée en contact avec une communauté dont je tairai le nom, afin d’éviter de créer davantage de problèmes, et qui était aux prises avec le problème de la mutilation génitale des femmes. Jamais je n’oublierai ce qu’une jeune femme qui avait souffert de cette pratique m’a répondu lorsque je lui ai demandé pourquoi elle n’avait jamais dénoncé les gestes commis contre elle. Elle m’a dit : « Nous voulons que cette pratique cesse. Nous voulons la dénoncer, mais lorsque nous prenons la parole à ce sujet à la mosquée, on nous répond : “Vous nous faites tous passer pour des barbares” ».

Il y a beaucoup d’autres solutions efficaces pour régler ce problème plutôt que mettre des étiquettes sur les cultures. Par exemple, nous pourrions nous attaquer au fait qu’il n’y a jamais eu de poursuite pour mutilation génitale d’une femme, alors que de nombreuses lois ont été adoptées pour essayer d’empêcher cette pratique.

Plutôt que de nous mettre à dos des cultures entières, nous pourrions engager des ressources pour protéger les jeunes filles.

Nous pourrions cibler l’atroce problème de la violence familiale. En moyenne, au Canada, tous les six jours, une femme est tuée par un partenaire intime. Chaque année, le Canada dépense la somme hallucinante de 7,4 milliards de dollars pour contrer les effets de la violence conjugale.

Plutôt que de cibler des communautés précises pour les actions de certaines personnes, nous pourrions travailler ensemble pour aider à mettre fin à un problème qui tue chaque année de nombreux Canadiens. Plutôt que de rendre les victimes impuissantes et de faire en sorte qu’elles aient peur de s’exprimer, nous pourrions leur donner davantage de ressources.

Le Royaume-Uni a un système que je rêve d’avoir ici au Canada. Il s’agit d’un service téléphonique d’urgence pour les enfants qui croient être sur le point d’être mariés de force. Ils peuvent dire : « On m’emmène en Inde à telle date. Je serai à cette adresse. Mes parents me disent que je suis censé revenir à telle date. Si je ne reviens pas, s’il vous plaît, venez me chercher. »

Nous n’avons pas cela au Canada. Nous n’avons pas un tel service téléphonique d’urgence. Les enfants n’ont pas de recours et, souvent, ils disparaissent, parce qu’il devient impossible de les retrouver une fois qu’ils quittent notre pays.

Honorables sénateurs, si nous sommes vraiment résolus à mener cette lutte contre la mutilation des organes génitaux féminins, les mariages forcés et la polygamie, nous devons faire tout en notre pouvoir pour combattre ces crimes. Cela signifie ne pas de perdre notre temps en employant un langage qui propage la xénophobie et qui rend les victimes encore plus vulnérables en les gardant silencieuses.

En tant que parlementaires, il est de notre responsabilité de tenir compte de l’incidence de nos paroles et de trouver des solutions constructives. Je ne suis pas la seule à croire cela. Lorsque le projet de loi a été étudié par le Comité sénatorial permanent des droits de la personne à la session précédente, j’ai entendu plusieurs témoins dont j’aimerais répéter les paroles. Sharryn Aiken, professeure à la faculté de droit de l’Université Queen’s, a déclaré ce qui suit :

Je ne fais pas l’apologie de la violence, pas du tout. Ne faites pas l’erreur de le croire. Ce qui me dérange, c’est le fait d’associer les mots « barbares » et « culturelles », qui semble impliquer que les gens qui se livrent à des pratiques nuisibles ainsi que les victimes de ces pratiques font partie de communautés culturelles très particulières.

Comme nous le savons, c’est une erreur flagrante. La violence familiale, les voies de fait contre la conjointe et d’autres formes de violence sont endémiques dans la société canadienne. Elles se manifestent parmi les nouveaux venus, les résidents permanents, les Canadiens autochtones et les citoyens de la énième génération. Elles touchent les Canadiens de toutes les couches sociales du pays.

Voilà le problème du titre abrégé. Il suggère que nous n’avons à nous soucier que de quelques communautés au lieu de consacrer nos efforts à l’éradication de la violence partout.

Ninu Kang, directrice des communications et du développement de MOSAIC, un organisme d’aide à l’établissement des immigrants à Vancouver, a affirmé ce qui suit :

[…] cette loi vise particulièrement les communautés d’immigrants. […] Elle suscite le phénomène du « nous » et « eux » — « nous » étant les Canadiens — et donne à penser que nous sommes en quelque sorte des êtres humains dont les valeurs et les pratiques sont bonnes, alors que celles qui viennent d’autres parties du monde sont barbares […]. De plus, il y a déjà une autre loi qui traite des questions de polygamie. Pourquoi ce projet de loi est-il nécessaire? Pourquoi l’affubler du titre « tolérance zéro face aux pratiques barbares » et quel groupe culturel vise-t-il?

De son côté, Nalia Butt, directrice générale du Social Services Network, a déclaré ce qui suit :

Nous convenons que les pratiques que le projet de loi vise à limiter sont indésirables. Cependant, le titre du projet de loi semble laisser entendre qu’un petit groupe très sélect de personnes privilégiées peuvent se targuer d’être civilisées et de pouvoir prêcher aux barbares. Ce genre de langage dans une société multiculturelle, ouverte et démocratique comme le Canada, où la majorité des gens sont des immigrants, n’aidera pas à atteindre les objectifs du projet de loi.

Suzanne Costom, de l’Association du Barreau canadien, ajoute ceci :

À une autre échelle, l’Association du Barreau canadien a toujours recommandé au gouvernement de s’abstenir d’utiliser des titres abrégés qui, à notre avis, visent davantage à faire réagir les Canadiens qu’à les informer.

Finalement, Avvy Yao-Yao Go, directrice clinique de la Metro Toronto Chinese and Southeast Asian Legal Clinic, a déclaré ceci :

[…] au bout du compte, si nous retournons à la case départ, certaines dispositions pourraient en effet être conservées, mais il faudrait alors changer complètement la discussion puisque, à l’heure actuelle, la discussion ne porte pas seulement sur la question de savoir si des familles commettent des actes criminels, mais bien si elles le font en raison de leurs pratiques culturelles barbares.

Honorables sénateurs, je suis d’accord avec toutes ces personnes. C’est pour cette raison que j’ai présenté le projet de loi S-210. Il est grand temps que nous éliminions le titre abrégé de la Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares.

Je tiens à répéter que la loi elle-même ne changera pas. Les lois demeureront les mêmes et leur interprétation ne changera pas. Le Canada demeurera plus déterminé que jamais à lutter contre la mutilation génitale, les mariages forcés, la polygamie et d’autres crimes de la sorte. Seul le titre changera.

Je ne veux pas semer la confusion en insérant d’autres mesures dans ce projet de loi. Le projet de loi S-210 ne fera qu’éliminer le titre abrégé de la Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares.

Avant de terminer, j’aimerais m’éloigner des considérations pratiques de ce projet de loi et parler de l’image que le titre abrégé actuel donne de nous, en tant que pays.

Le Canada favorise le multiculturalisme et comprend que sa diversité fait vraiment sa force.

Le Canada est un pays où chacun sera toujours traité de façon équitable, peu importe son ethnie, ses croyances, sa religion ou son sexe.

En fait, c’est pour cela que je suis fière d’être ici au Canada. Je suis venue ici avec ma famille, mes parents. Je savais que je pourrais être acceptée ici par mes compatriotes canadiens. Nous sommes venus ici parce que nous étions sûrs que nos enfants, nos petits-enfants et nos arrière-petits-enfants n’auraient jamais à vivre ce que nous avons vécu plus jeunes. Nous savions qu’ils ne se feraient jamais traiter de barbares, comme nous quand nous étions plus jeunes. Nos enfants et nos petits-enfants n’auraient jamais à avoir honte de qui ils sont et pourraient être fiers de leurs origines.

Honorables sénateurs, je vous demande de penser au fait que, lorsqu’on met les termes « barbare » et « culture » ensemble, ce sont des communautés que l’on divise. Ce n’est pas la façon de faire au Canada. C’est pourquoi je vous invite aujourd’hui à appuyer avec moi le projet de loi S-210 et à abroger le titre abrégé.

Honorables sénateurs, je vous demande de m’appuyer en ce qui concerne l’abrogation du titre abrégé. Je vous le demande parce qu’il reste encore beaucoup de travail à faire dans notre pays. Quand on divise les gens en « eux » et en « nous » et les pratiques culturelles en barbares et non barbares, le vrai travail s’arrête.

Je vous demande de m’appuyer. Merci beaucoup.