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Motion tendant à l’attribution d’une période de temps pour le débat—L’étude de la troisième lecture du projet de loi C-38

Motion tendant à l’attribution d’une période de temps pour le débat—L’étude de la troisième lecture du projet de loi C-38

Motion tendant à l’attribution d’une période de temps pour le débat—L’étude de la troisième lecture du projet de loi C-38

Motion tendant à l’attribution d’une période de temps pour le débat—L’étude de la troisième lecture du projet de loi C-38


Publié le 28 juin 2012
Hansard et déclarations par l’hon. Catherine Callbeck (retraitée) @fr, Claudette Tardif, Dennis Dawson, Fernand Robichaud (retraité), Jane Cordy, Robert W. Peterson (retraité) @fr

L’honorable Pierrette Ringuette :

Honorables sénateurs, l’honorable Carignan a bel et bien indiqué dans cette Chambre que jamais dans l’histoire du Sénat un projet de loi n’avait été scindé afin que six comités en étudient la teneur.

Le sénateur Carignan reconnaît donc l’ampleur et l’abus de pouvoir du projet de loi C-38 en ce qui concerne les modifications apportées à 70 lois. Ce projet de loi contient au-delà de 750 articles et, comme je l’ai indiqué hier, il s’agit certainement d’un abus de pouvoir. Je suis personnellement convaincue que nous faisons face à un manque de courage de la part du premier ministre.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-38 a pour titre abrégé Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable. Ce projet de loi est une gifle à l’endroit des travailleurs canadiens. Il est une gifle du fait que le gouvernement a fait parvenir des lettres de congédiement à plus de 19 000 fonctionnaires. Des rumeurs circulent même selon lesquelles le nombre de lettres passera à 34 000, et qu’elles seront envoyées à des scientifiques et chercheurs canadiens de réputation mondiale.

Honorables sénateurs, c’est une gifle à l’endroit des travailleurs canadiens.

C’est une attaque en règle contre les travailleurs canadiens et, plus particulièrement, contre les travailleurs à faible revenu du Canada, contre les travailleurs qui n’ont cessé de s’appauvrir au cours des six dernières années. Nous nous attaquons à ces travailleurs, car ce que nous leur disons, c’est qu’ils devront travailler deux ans de plus avant de recevoir des prestations de la Sécurité de la vieillesse. Ce que nous leur disons, c’est qu’ils font maintenant partie de trois catégories distinctes.

Nous leur disons qu’ils font maintenant partie de trois différentes catégories de chômeurs ou de travailleurs.

C’est une attaque virulente qui vise les entreprises saisonnières de même que les travailleurs qu’elles emploient. Or, ces entreprises ont besoin de ces travailleurs en cette période de changements visant l’assurance-emploi. Le sénateur essaie-t-il de me dire que nous pouvons justifier le titre de cette mesure législative, qu’on appelle la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable?

Permettez-moi de vous dire que cette mesure législative s’attaque aussi à l’emploi et aux Canadiens. Examinons la modification visant le magasinage transfrontalier. On estime qu’en raison de ces changements, le gouvernement fédéral perdra 17 millions de dollars par année. Cependant, laissez-moi rappeler aux sénateurs que le gouvernement fédéral a conclu une entente avec chaque province et territoire pour ce qui est de la perception de la taxe de vente harmonisée à la frontière, au point d’entrée au Canada. Ainsi, sans même discuter de la situation avec les premiers ministres provinciaux, le ministre des Finances du Canada a décidé de réduire les recettes du Conseil du Trésor de 17 millions de dollars par année à l’échelle fédérale, mais aussi de retirer, du coup, environ 23 millions de dollars par année des coffres des provinces, une somme qui sert à payer les dépenses relatives aux soins de santé, à l’éducation et aux soins à domicile, sans même s’entretenir avec les provinces.

C’est aussi une attaque contre les travailleurs canadiens, car toutes ces ventes, qui s’élèvent, selon les estimations, à 340 millions de dollars en ce qui concerne les Canadiens qui se rendent à l’étranger et reviennent au Canada, ne sont pas des ventes faites au Canada. Le Conseil canadien du commerce de détail estime que cela donnera lieu à 11 000 pertes d’emplois par année, ce qui représente 11 000 travailleurs du secteur de la vente au détail qui, pour la plupart, gagnent le salaire minimum et travaillent dans les collectivités rurales aux abords de la frontière des États-Unis.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-38 attaque les emplois au Canada. Il attaque les travailleurs canadiens.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Ringuette : Je ne vous demande pas de me croire sur parole.

Voici ce qu’a déclaré Marq Smith, de Langley, en Colombie- Britannique :

C’est à n’y rien comprendre. Le gouvernement est censé être dans notre camp, pas encourager les gens à aller dépenser leur argent chez nos voisins du Sud, sans compter qu’il se nuit en agissant ainsi, puisqu’il y perd des recettes fiscales. Cette mesure n’est pas du tout à l’avantage des Canadiens et me semble parfaitement illogique.

La chambre de commerce de Cornwall et de la région à déclaré ce qui suit :

Inciter les gens à faire du magasinage transfrontalier, c’est essentiellement piger de l’argent dans les poches des propriétaires d’entreprise, de leurs employés et de leur famille, explique M. Shaver. Nous ne savons pas trop d’où M. Lauzon a tiré cette idée ni s’il en a envisagé les conséquences pour notre région.

La chambre de commerce de Niagara Falls a dit ceci :

La proposition permettra aux Canadiens de dépenser encore davantage d’argent aux États-Unis, ce qui aura pour conséquence de réduire les sommes dépensées chez nous, acculant plus de commerces à la faillite et causant plus de pertes d’emplois.

Le maire de Killarney, au Manitoba :

Dans le dernier budget fédéral, le seul incitatif pour les Canadiens consiste à les encourager à faire des achats aux États-Unis […] Pour ma part, j’estime qu’il n’y a aucune raison d’adopter une telle mesure […] Cela signifie que, dans la région, nous pourrions perdre 150 $ de plus par personne, par déplacement […] Comment une telle mesure favorise-t-elle l’essor de l’économie du Canada?

Bruce McCormack, directeur général de Downtown Fredericton :

[…] a dit qu’il a déjà reçu des appels de propriétaires d’entreprise furieux du changement, qui nuira à leur situation financière.

« C’est très inquiétant, et nous nous adresserons à notre député. Je trouve que c’est scandaleux qu’il n’y ait pas eu la moindre consultation. »

Ces quelques exemples montrent déjà que le projet de loi C-38 prive les provinces de revenus nécessaires pour offrir des services de santé et d’éducation tout en faisant perdre 340 millions de dollars à l’économie canadienne. Le gouvernement en place fera disparaître 11 000 emplois par année dans le secteur du commerce de détail, et cela se poursuivra jusqu’à ce qu’il y ait un changement de gouvernement,

Le sénateur nous dit qu’il serait irresponsable de notre part de ne pas adopter le projet de loi C-38. Serait-il irresponsable de notre part de ne pas appuyer les travailleurs canadiens?

Ce qui est également intéressant au sujet du projet de loi C-38, c’est le manque de consultation à propos des transferts aux provinces en matière de soins de santé. Deux ans avant l’échéance de l’entente, le premier ministre a annoncé que la contribution offerte lors de son renouvellement serait de 3 p. 100 au lieu de 6 p. 100.

Les sénateurs doivent aussi se rappeler que nous devons faire face à un changement démographique de taille au Canada. Le Comité des finances nationales a entendu un groupe de recherche, l’Institut canadien d’information sur la santé, qui a présenté un graphique montrant les effets de l’âge de la population sur les coûts liés aux soins de santé. Tout cela a fait l’objet de recherches.

Par exemple, le vieillissement de la population touche la plupart des provinces canadiennes, sauf l’Alberta. Le graphique qu’on nous a présenté indique que dans les provinces, le vieillissement de la population entraîne une énorme hausse des coûts liés aux soins de santé sur une période régulière de quatre ans. Cela signifie que le gouvernement fédéral doit consulter les premiers ministres des provinces, consulter les données démographiques, examiner les coûts, et comprendre que le financement des soins de santé devrait tenir compte non seulement de la taille de la population, mais aussi des coûts établis en fonction des données démographiques au Canada.

Nous savons également qu’il y a un lien entre le coût des soins de santé et le revenu des particuliers. Il y a un rapport direct entre les deux.

Honorables sénateurs, pourquoi M. Harper a-t-il dit, avant de prendre une décision unilatérale, que les paiements de transfert en matière de santé diminueraient de moitié? Pourquoi n’a-t-il pas réuni les premiers ministres des provinces pour étudier sérieusement les répercussions de l’évolution démographique sur le coût des soins de santé?

Voici ce qu’on peut lire au paragraphe 36(1) de la Constitution du Canada, qui traite de la péréquation et des disparités régionales :

Sous réserve des compétences législatives du Parlement et des législatures et de leur droit de les exercer, le Parlement et les législatures, ainsi que les gouvernements fédéral et provinciaux, s’engagent à :

a) promouvoir l’égalité des chances de tous les Canadiens dans la recherche de leur bien-être;

b) favoriser le développement économique pour réduire l’inégalité des chances;

c) fournir à tous les Canadiens, à un niveau de qualité acceptable, les services publics essentiels.

On doit donc aussi mettre en œuvre des politiques fiscales justes et tenir compte des capacités différentes des provinces.

Honorables sénateurs, comme je l’ai dit, le premier ministre du Canada manque de courage.


L’honorable Catherine S. Callbeck :

Honorables sénateurs, j’aimerais dire quelques mots au sujet de la motion d’attribution qui écourte le débat sur le projet de loi C-38, projet de loi d’exécution du budget.

Comme je suis membre du Comité sénatorial permanent des finances nationales, j’ai participé à la plupart des séances du comité consacrées à l’examen de la mesure législative. J’aimerais parler de la composition de l’ensemble de la mesure législative.

Comme vous le savez sans doute, le projet de loi C-38 est volumineux. Il s’étend sur environ 429 pages et comprend plus de 750 articles, qui touchent plus de 70 lois fédérales.

Je ne suis pas la première à parler de la taille de ce projet de loi. En 2010, un professeur émérite de sciences politiques à l’Université Queen’s, M. Ned Franks, qui connaît bien le Comité des finances nationales, a déclaré ceci :

Entre 1995 et 2000, les projets de loi d’exécution du budget comptaient en moyenne 12 pages. De 2001 à 2008, ils comportaient 139 pages en moyenne. En 2009, les deux projets de loi faisaient 580 pages, soit 32 p. 100 du nombre total de pages des textes législatifs produits par le Parlement cette année-là.

M. Franks a ajouté ceci :

La loi d’exécution du budget de 2010, le projet de loi C-9, contient 883 pages de dispositions législatives variées qui n’ont aucun rapport les unes avec les autres. Cette loi correspondrait à presque la moitié du nombre total de pages des textes législatifs produits par le Parlement en 2010. Ces projets de loi omnibus d’exécution du budget contrecarrent et contournent les principes normaux qui régissent l’examen parlementaire des mesures législatives.

Il semble que le projet de loi d’exécution du budget dont nous sommes saisis soit taillé de la même étoffe. On nous demande encore une fois d’écourter le débat. On n’a pas limité le débat et l’étude des nombreux éléments contenus dans ce salmigondis législatif seulement au Sénat et à l’autre endroit.

Il y avait un dénominateur commun parmi les témoins qui ont comparu devant le Comité des finances nationales et qui ont exprimé une certaine frustration à l’égard du projet de loi fourre- tout. Environ le quart des témoins qui ne représentaient pas un ministère ou un organisme gouvernemental se sont dits préoccupés par la nature du projet de loi.

Pour la gouverne des sénateurs, je veux citer quelques-uns de ces témoins. Par exemple, le 5 juin, Andrew Jackson, économiste en chef du Congrès du travail du Canada, a déclaré ceci :

Nous regrettons également que les modifications proposées ne soient pas étayées par une politique énoncée clairement, et nous regrettons d’être contraints d’en traiter dans le cadre d’un projet de loi omnibus aussi volumineux.

Voilà ce qu’a déclaré, deux jours plus tard au comité, Susan Eng qui représentait l’Association canadienne des individus retraités, l’ACIR :

Enfin, je voudrais dire un mot au sujet du processus démocratique. Nos membres ont réagi énergiquement contre l’inclusion des changements à la SV dans un projet de loi omnibus et ils tiennent à ce qu’une question aussi importante fasse l’objet d’un véritable débat au Parlement, d’autant plus qu’elle n’a jamais été soumise à l’électorat. L’association a demandé à tous les députés d’appuyer des motions tendant à séparer le projet de loi en plusieurs parties plus gérables de façon à permettre un examen adéquat. Le premier ministre s’est déjà prononcé lui-même, par le passé, contre le regroupement d’enjeux disparates dans un projet de loi omnibus estimant qu’un comité parlementaire ne pouvait pas, à lui seul, examiner toutes les dimensions des changements importants à la politique publique. Comme l’a dit M. Harper lorsqu’il était chef de l’opposition, la séparation du projet de loi permettrait aux députés de présenter le point de vue de leurs électeurs sur chacun des éléments différents de cette mesure. Nous sommes d’accord et ce raisonnement devrait s’appliquer au projet de loi C-38.

Jim Stanford, économiste au syndicat des Travailleurs canadiens de l’automobile, partageait les préoccupations de Mme Eng. Voici ce qu’il a déclaré à la même séance du comité :

Premièrement, je suis d’accord avec le témoin précédent pour dire qu’on ne peut pas discuter de changements fondamentaux à un programme de cette importance dans le contexte d’un projet de loi omnibus composite. Le régime de pension revêt énormément d’importance dans le cycle de vie, la planification, les prises de décision d’une personne, des décisions dont la mise en application s’étend sur des décennies. Les changements à ce régime doivent être apportés avec prudence, avec soin et graduellement.

Par exemple, nous avons au Canada le Régime de pensions du Canada qui est aussi très efficace, mais pour le modifier, il faut entamer tout un processus de discussion et de concertation. Vous devez obtenir l’approbation des provinces qui représentent les deux tiers de la population avant de pouvoir changer quoi que ce soit à ce régime. Vous ne pouvez pas inclure simplement deux paragraphes dans un projet de loi omnibus pour apporter un changement avec un préavis aussi court.

Une semaine plus tard, Erin Weir, un économiste représentant le Syndicat des Métallos, a comparu devant le comité et a fait la remarque suivante :

Je ne vois pas pourquoi cette mesure doit être liée à l’exécution du budget. Beaucoup de choses, dans le projet de loi C-38, ne sont pas nécessaires à l’exécution du budget. Je présume que ce qu’il faudrait savoir, c’est pourquoi le gouvernement les a toutes réunies et tente maintenant de les faire adopter en bloc.

La question suivante s’impose : qu’est-ce que ce gouvernement a à cacher? Le gouvernement a-t-il peur de tenir un débat sain sur les éléments du projet de loi qui touchent la vie des Canadiens ordinaires? Étant donné les tactiques utilisées par le gouvernement pour faire adopter ce projet de loi mammouth à toute vitesse au Parlement, on a l’impression que celui-ci pense que le projet de loi est absolument parfait; or, ce n’est pas le cas. Même le ministre des Finances a hésité récemment, quand les médias lui ont demandé s’il pensait que le projet de loi d’exécution du budget était impeccable. En fait, le ministre a répondu ceci :

Je suis certain que des choses pourraient être améliorées.

Si le ministre des Finances est convaincu que certaines dispositions du projet de loi pourraient être améliorées, je pense qu’il est de notre devoir en tant que Canadiens de les identifier et de proposer des solutions.

Pour résumer, ce projet de loi pourrait fort bien contenir le tiers ou même la moitié des mesures législatives que le gouvernement produira cette année. Le gouvernement a imposé le bâillon à chaque étape de l’étude du projet de loi à l’autre endroit, et il tente de le faire ici également. Questionnés à propos du contenu du projet de loi, beaucoup de témoins ont dit que le projet de loi contrecarre les principes normaux qui régissent l’examen parlementaire. En outre, beaucoup se sont dit préoccupés par le fait qu’il comprend des mesures non budgétaires, qui mériteraient d’être étudiées attentivement par les comités de la Chambre et du Sénat et de faire l’objet de longues consultations auprès des Canadiens. De plus, le ministre des Finances n’est même pas certain que le projet de loi qu’il propose aux Canadiens est aussi bon qu’il pourrait l’être.

Honorables sénateurs, devant toutes ces preuves, je ne peux que voter contre cette motion d’attribution de temps.

L’honorable Fernand Robichaud : Est-ce que l’honorable sénateur Callbeck accepterait de répondre à une question?

Le sénateur Callbeck : Avec plaisir.

Le sénateur Robichaud : Je sais que l’honorable sénateur est membre du Comité des finances nationales et qu’elle a étudié ce projet de loi, je ne peux pas dire dans sa totalité parce qu’il est très volumineux, mais peut-être qu’elle pourrait-elle répondre à ma question.

Certains comités ont été chargés d’étudier certaines sections de ce projet de loi. Combien de ces comités ont produit des rapports écrits avec des observations afin que le Comité des finances n’ait pas à revoir tout le projet de loi?

Le sénateur Callbeck : Je remercie le sénateur de sa question. Six comités, dont le Comité des finances, ont examiné ce projet de loi. Les présidents et vice-présidents de quatre des cinq autres comités ont comparu devant nous pendant environ une demi-heure pour discuter de leurs conclusions. Par exemple, le président et le vice- président du Comité de l’énergie ont comparu pendant une demi- heure. Je ne sais pas combien il y a de pages et d’articles dans ce projet de loi, mais une demi-heure, c’est loin d’être suffisant. Selon moi, une grande quantité d’éléments de ce projet de loi devraient faire l’objet de projets de loi distincts. C’est complètement ridicule.

De 1995 à 2000, ces projets de loi comptaient en moyenne 12 pages, et nous voici aujourd’hui aux prises avec une mesure législative de 429 pages.

Je ne considère pas que ce projet de loi ait fait l’objet d’un examen adéquat, bien au contraire. Cet examen a certainement été plus approfondi qu’à l’autre endroit, car il a été mené par six de nos comités, mais je persiste à croire qu’une grande partie du contenu de ce projet de loi aurait dû faire l’objet de mesures législatives distinctes, et que les comités appropriés auraient dû en être saisis.

L’honorable Jane Cordy :Pour revenir à l’étude préalable, je sais qu’au Comité des affaires sociales nous avons examiné la portion du projet de loi qui porte sur l’immigration. À chaque témoin, j’ai déclaré que tout ce qui a trait à l’immigration aurait dû faire l’objet d’un projet de loi distinct car cela nécessitait certainement des discussions et une étude approfondies.

Notre comité n’a pas rédigé de rapport. Je crois comprendre que deux membres conservateurs se sont présentés devant le Comité des finances pour parler des travaux de notre comité, et que nous avons fait parvenir tous les documents reçus et tous les témoignages entendus. Les membres du Comité des finances ont-ils eu le temps d’examiner un projet de loi de plus de 400 pages, ainsi que tous les témoignages entendus par les six autres comités?

Le sénateur Callbeck : Je remercie le sénateur de sa question. Nous siégeons toutes deux au Comité des affaires sociales et je conviens que cette section devrait faire l’objet d’un projet de loi distinct. Ce sont des dispositions importantes et elles méritent d’être étudiées en profondeur.

Deux membres du comité ont comparu devant le Comité des finances, le président et un autre membre, tous deux du côté du gouvernement. Ils ont été présents pendant une demi-heure environ. Je n’ai vu aucun rapport écrit du Comité des affaires sociales. Comme je l’ai déjà dit, le Sénat n’a pas rendu justice à cette mesure législative gigantesque, dont les 429 pages auraient dû être scindées en plusieurs projets de loi distincts.


L’honorable Robert W. Peterson :

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet des modifications proposées dans le projet de loi C-38 qui touchent les organismes de bienfaisance, ainsi qu’au sujet des autres recommandations qui n’ont pas été incluses dans le budget, mais que le comité sénatorial devrait prendre en considération.

Comme certains sénateurs le savent peut-être, le projet de loi C-38 modifie la Loi de l’impôt sur le revenu afin de préciser l’obligation de déclarer des dons versés à des donataires reconnus, en particulier lorsque ces dons sont utilisés par le donataire à des fins politiques. Cette modification a pour but de veiller à ce que, si un organisme de bienfaisance enregistré remet à un donataire reconnu des fonds qui seront ensuite utilisés pour mener des activités politiques, l’organisme de bienfaisance enregistré déclare ce don comme faisant partie de ses propres activités politiques.

Pour ce faire, la définition des expressions « fins de bienfaisance » et « activité politique » sera modifiée. Bien que ces changements ne semblent pas être radicaux, j’aimerais me faire l’écho des inquiétudes soulevées par Imagine Canada, un regroupement d’organismes de bienfaisance. Le problème, c’est qu’une interprétation stricte de la définition d’« activité politique », plus particulièrement de l’expression « le don a […] pour but », pourrait dépasser l’intention des objectifs stratégiques de la mesure législative.

Pour utiliser un exemple fourni par Imagine Canada, prenons le cas d’un organisme de bienfaisance enregistré qui verse à un autre organisme de bienfaisance un don de 1 million de dollars, dont 5 000 $ doivent servir à financer des activités politiques. Selon l’une des interprétations possibles de la définition proposée, comme le don de 1 million de dollars a notamment pour but d’appuyer des activités politiques, la fondation devrait considérer la totalité du don comme une activité politique, même si ce n’est qu’une petite partie de celui- ci qui avait pour but d’appuyer les activités politiques du donataire. Il ne fait aucun doute que cette mesure aura une incidence négative sur les activités de bienfaisance.

Le projet de loi C-38 prévoit aussi des changements qui obligeront les organismes de bienfaisance à fournir davantage de renseignements sur leurs activités politiques, y compris la proportion de celles-ci qui sont financées par des sources étrangères. Selon les divers spécialistes du secteur caritatif que nous avons consultés, ces changements ne semblent pas avoir pour objet de changer la définition de ce qu’est une activité politique aux termes de la loi, mais plutôt de modifier la mesure dans laquelle les organismes de bienfaisance peuvent financer les activités politiques d’un autre donataire reconnu. Or, on s’attend à ce que ces changements soient très déroutants pour les organismes de bienfaisance, qui pourraient être mal informés concernant cette modification. Cela ne ferait qu’accroître l’incertitude entourant les activités liées aux intérêts publics qu’ont créée les déclarations de représentants du gouvernement. J’espère que le gouvernement affectera suffisamment de ressources de l’Agence du revenu du Canada pour clarifier la situation afin que, ultimement, le secteur caritatif puisse accorder aux activités de défense d’intérêts publics l’importance qu’elles méritent.

Le projet de loi C-38 modifie les exigences auxquelles les organismes de bienfaisance doivent se plier en vertu du formulaire d’impôt T3010 ainsi que les modalités d’application connexes. Une nouvelle série de questions obligera les organismes à produire des rapports plus détaillés sur leurs activités politiques et à fournir d’autres précisions concernant leur financement. C’est bien beau, la transparence, mais j’espère que les exigences en matière de rapports se limiteront au minimum pour éviter de détourner les organismes de leur mission première. De nouveaux mécanismes de reddition de comptes pourraient s’avérer particulièrement astreignants pour les petits et les moyens organismes, qui n’ont pas nécessairement accès à toutes les ressources dont disposent les plus grandes organisations caritatives.

Il est important de se rappeler que de nouvelles mesures rehausseront les exigences en matière de rapport, ce qui engendrera des coûts liés à la conformité à celles-ci et des coûts indirects additionnels. De plus, j’espère que l’Agence du revenu du Canada continuera de consulter les organismes de premières lignes comme Imagine Canada afin de recourir à des pratiques exemplaires.

Je le répète : à mon avis, il faudrait vraiment que la majeure partie des 8 millions de dollars prévus dans le budget serve à renseigner les organismes de bienfaisance. Cela évitera également aux organismes de bienfaisance d’outrepasser accidentellement la portée des fonctions caritatives pour lesquelles ils sont reconnus.

J’ai parlé de diverses répercussions du budget; cependant, j’aimerais aussi parler des recommandations qui ont été faites au comité, mais qui n’ont pas été retenues dans le budget.

Les organismes de bienfaisance disposent de trois grandes sources de revenus : les dons, les activités productrices de recettes, ainsi que les subventions et les contributions gouvernementales. Étant donné la récente situation économique mondiale — qui se répercute sur l’économie canadienne —, il est crucial d’encourager le plus possible les dons aux organismes de bienfaisance. Non seulement les organismes à but non lucratif et de bienfaisance font un excellent travail en matière de prestation de service et d’élaboration de politiques, mais, en plus, ils représentent aussi une portion substantielle de l’économie canadienne, soit environ 11 p. 100.

Le budget indique que le Comité permanent des finances de la Chambre des communes examine les mesures existantes et proposées relatives aux dons de bienfaisance pour veiller à ce que les encouragements fiscaux soient aussi efficaces que possible. Toutefois, le budget ne prévoit pas de bonification du crédit d’impôt pour les dons de charité, alors que 70 p. 100 des organismes de bienfaisance en ont fait la recommandation au comité.

La bonification du crédit d’impôt est une mesure fiscale qui augmenterait le crédit d’impôt fédéral pour dons de bienfaisance dans le cas d’un don excédant le don antérieur le plus élevé du donateur. Le crédit d’impôt passerait de 15 à 25 p. 100 pour les montants admissibles de moins de 200 $ et de 29 à 39 p. 100 pour les montants admissibles de plus de 200 $. Cela encouragerait les particuliers qui n’ont jamais fait de dons à en faire, surtout les jeunes familles et les personnes qui entament leur carrière. J’invite le gouvernement à inclure cette mesure dans le projet de loi C-38, sous la forme d’un amendement. Les études montrent que plus de la moitié des donateurs donneraient davantage si l’on offrait de meilleurs incitatifs fiscaux.

D’après le directeur parlementaire du budget, les coûts marginaux annuels pour le Trésor, en perte de revenus, seraient de 10 à 40 millions de dollars après trois ans. Il estime qu’il y aurait jusqu’à 600 000 nouveaux donateurs d’ici trois ans, et que le don médian pourrait augmenter de 26 p. 100. Le plafond de 10 000 $ imposé aux dons admissibles viserait les personnes et les familles qui font des dons en argent et qui n’ont pas profité des exemptions fiscales qui visent à encourager les dons importants. Puisque le crédit d’impôt allongé ne comporte pas de minimum, il profiterait aussi aux personnes qui n’ont pas les moyens de faire des dons importants. Ainsi, cette mesure profiterait énormément aux organismes de bienfaisance de moindre envergure, qui comptent sur un grand nombre de petits dons.

Ressources humaines et Développement des compétences Canada est à explorer un autre outil que, selon moi, nous devrions considérer aussi. Dans le budget, on souligne que ce ministère examine le potentiel de divers instruments liés au financement des entreprises sociales et que les obligations d’impact social « sont prometteuses aux fins d’encourager l’établissement de partenariats gouvernementaux-communautaires ». Le budget mentionne également que Ressources humaines et Développement des compétences Canada est en train de moderniser l’administration des subventions et des contributions, et qu’il met à l’essai des façons d’optimiser l’impact des dépenses fédérales à l’appui de partenariats communautaires, y compris par des ententes de rémunération au rendement et la promotion du recours aux ressources du secteur privé.

Honorables sénateurs, le but de toute politique devrait être de faciliter les choses, et non les compliquer. J’espère que les amendements dont je viens de parler et les mesures correctives que j’ai proposées seront examinés de près par le comité sénatorial. Il s’agit d’amendements constructifs sur lesquels les deux côtés de cette Chambre devraient arriver à s’entendre. Les Canadiens de tous les horizons en profiteront si nous arrivons à privilégier la philanthropie au détriment de la partisanerie.

En passant, je crois que l’attribution de temps est un affront au processus démocratique que constituent les débats sur les projets de loi.

Le sénateur Cordy : J’ai lu un article qui m’a beaucoup préoccupée, au sujet d’une entrevue accordée par l’une de nos collègues d’en face, où il était question du statut d’organisme de bienfaisance. Elle parlait de l’Église Unie. Je suis catholique, et il est évident que ma paroisse travaille beaucoup auprès des personnes vivant dans la pauvreté, avec les plus démunis, et avec les paroissiens qui pourraient avoir besoin de soins de santé, ce qui est une responsabilité provinciale et fédérale.

Cette collègue du parti ministériel a dit que l’Église Unie pourrait effectivement être considérée comme un organisme de bienfaisance. Le sénateur a parlé d’« activités politiques », et des stéréotypes associés aux organismes de bienfaisance, mais ceux qui fréquentent des lieux de culte participent certainement à de telles activités. Comment ce projet de loi touchera-t-il les lieux de culte?

Le sénateur Peterson : Je remercie madame le sénateur de sa question. Le problème est là. Le problème, c’est la définition des termes « fins de bienfaisance » et « activités politiques ». Ces termes pourraient avoir une grande portée.

En ce moment, je crois que les organismes de bienfaisance religieux sont particulièrement réticents à ce sujet. Je crois comprendre que c’est l’Agence du revenu du Canada qui établira ces définitions. J’espère qu’elle le fera rapidement afin que les gens sachent où ils se situent à cet égard.

Le sénateur Cordy : Cependant, cela veut-il dire que les organismes religieux, les synagogues, ou tous les groupes religieux organisés ne pourront pas défendre les intérêts des membres de leur paroisse ou de leur synagogue?

Le sénateur Peterson : Selon l’aspect actuel des choses, je crois que c’est exact, puisque ces organismes iraient à l’encontre des politiques du gouvernement.


L’honorable Dennis Dawson :

Honorables sénateurs, je veux d’abord déplorer le fait que le débat sur ce projet de loi est limité à cause de la motion d’attribution du temps présentée par le gouvernement.

Ceux qui siègent au Parlement sont censés discuter de mesures législatives proposées par le gouvernement. Ils ne sont pas censés approuver automatiquement les mesures proposées par les fonctionnaires ou le pouvoir exécutif, mais plutôt se livrer à une réflexion sur ces mesures, en discuter, les modifier, les étudier et veiller à ce que les préoccupations de ceux qui paient la note des mesures législatives que nous adoptons soient exprimées d’une manière exhaustive.

Il ne m’arrive pas souvent de citer Jason Kenney — et la citation vient de mon leader adjoint, le sénateur Tardif —, mais c’est de cela que je parlerai aujourd’hui.

Je veux vous parler de l’affaiblissement complet du processus législatif au Parlement. Certains d’entre vous des deux côtés sont peut-être un peu blasés d’entendre dire que cela fait 35 ans que je participe au processus législatif. D’ailleurs, moi aussi, de temps en temps, cela me blase. En juin 1977, il y a 35 ans, j’ai été assermenté à titre de député.

Certains sénateurs sont un peu blasés de m’entendre dire que j’étais là, il y a 35 ans. Moi aussi, je suis parfois un peu blasé. Cela dit, je tiens à souligner que beaucoup de ceux qui siègent maintenant dans cette enceinte étaient là avec moi il y a 35 ans. De ce côté-ci, le sénateur Fairbairn, le sénateur Smith, le sénateur De Bané, le sénateur Baker, le sénateur Joyal et moi étions ici. Certains de mes amis d’en face étaient ici à divers titres, que ce soit en tant que journalistes ou conseillers des partis politiques, notamment le sénateur Segal, le sénateur LeBreton, le sénateur Duffy et le sénateur Wallin. Le sénateur MacDonald, lui, était adjoint politique au Parti conservateur.

Permettez-moi de préciser que je n’essaie pas d’être nostalgique. Si je mentionne cela, c’est pour établir le contexte historique de la situation et parce que je veux parler de l’un des problèmes les plus graves auxquels nous nous heurtons aujourd’hui en tant que législateurs, en l’occurrence la régression irrémédiable et incessante que connaît le Parlement en tant qu’institution où l’on discute de politique et améliore les choses, et l’affaiblissement de cette institution. Honorables sénateurs, vous n’êtes pas sans savoir qu’il fut un temps où des deux côtés, nous amendions les mesures législatives.

Honorables sénateurs, il y a 35 ans, tout le monde tenait pour acquis que les mesures législatives étaient rédigées par les avocats du ministère de la Justice, en collaboration avec le ministère des Transports. Tout le monde s’attendait à ce que ces mesures, une fois qu’elles avaient été présentées à la Chambre des communes, puis renvoyées aux comités de la Chambre des communes, au Sénat et aux comités du Sénat — et je regarde mon collègue du Québec, le sénateur Rivest, qui a rédigé des mesures législatives au Québec — soient automatiquement améliorées grâce à cette étude législative.

Honorables sénateurs, ce que nous voulons, c’est que les gens qui sont préoccupés par une mesure législative puissent donner leur opinion afin qu’elle soit améliorée. Les avocats du ministère de la Justice faisaient de leur mieux. Ils travaillaient avec les fonctionnaires des ministères, néanmoins, ils savaient que le processus démocratique parlementaire était tel que leurs ébauches seraient modifiées et améliorées, et ce, à toutes les étapes du processus. Cela se produisait autant sous des gouvernements minoritaires que sous des gouvernements majoritaires, conservateurs ou libéraux.

Il n’y a pas de coupable dans ce dossier. En tant que parlementaires, nous devrions comprendre que, à défaut d’assumer nos responsabilités — une question qui, je le sais, préoccupe des sénateurs des deux côtés —, nous perdrons toute raison d’être. Si nous n’apportons aucun amendement, à quoi servons-nous? Le Sénat n’est toutefois pas seul en cause : la situation n’est pas plus brillante à l’autre endroit, croyez-moi.

Les gens du ministère de la Justice collaboraient avec nous aux comités. Chaque fois qu’il fallait améliorer un projet de loi, nous nous asseyions avec eux au cours du processus législatif afin de discuter des amendements à proposer, puis ils nous revenaient avec le libellé voulu. Nous le faisions constamment. C’était tout naturel. Des centaines d’amendements ont été apportés ainsi.

On présentait peu de sinistres projets de loi omnibus à l’époque — il y a 35 ans, s’entend. Pour des raisons évidentes qu’il serait oiseux d’exposer aujourd’hui, nous étions fiers d’annoncer que nous avions adopté 65 projets de loi en un an. C’est l’époque où nous croyions que le gouvernement devait intervenir sur tous les fronts. Je ne propose pas qu’on revienne à cette formule, mais je ne crois pas que les sinistres projets de loi omnibus soient la solution. Croyez-moi : ce n’est pas en troquant la qualité pour la quantité que nous nous en sortirons.

Les projets de loi qui transitent par ici empirent graduellement. Ce n’est pas un phénomène récent, déclenché par le Parti conservateur : il sévissait déjà lorsque les libéraux étaient au pouvoir, il y a quelques années. Nous ne tenons pas compte de l’opinion des parties intéressées, des gens de l’extérieur, de personnes autres que celles qui travaillent à l’immeuble Langevin ou à l’édifice de la Justice. Nous interrogions les gens afin d’améliorer les projets de loi. C’était notre rôle, mais je dois admettre avec chagrin que ce n’est pas ce que nous faisons.

J’ai entendu tout le monde ici parler des sinistres projets de loi omnibus libéraux. Or, il existe une distinction fondamentale entre les sinistres projets de loi omnibus libéraux et les projets de loi omnibus que nous adoptons ces jours-ci. Nos sinistres projets de loi pouvaient être amendés. Quelle idée révolutionnaire! Nous pouvions amender les projets de loi. Nous étions chaque fois en extase : Incroyable! Une amélioration!

Des voix : Bravo!

Le sénateur Dawson : Lorsque nous trouvions un problème dans un projet de loi, nous convenions qu’il devait être corrigé. Des parlementaires des deux camps discutaient au sein d’un comité ou dans l’une de nos Chambres, ou il y avait des discussions entre les leaders, et nous nous entendions pour améliorer le projet de loi ensemble. C’est ce qui se produisait dans le cas de nos projets de loi omnibus.

En 2006, le premier projet de loi omnibus de ce gouvernement, le projet de loi C-2, la loi fédérale sur la responsabilité, a subi de nombreux amendements dans les deux Chambres après des études approfondies.

C’était de loin le projet de loi le plus important du début du régime Harper. Il croyait réinventer l’éthique. Nous savons tous ce qui est arrivé par la suite, mais ce n’est pas le sujet de mon discours. Plus de 150 amendements ont été proposés par le comité sénatorial — et je vois aujourd’hui dans cette enceinte des sénateurs qui étaient membres du comité à l’époque —, après que des amendements importants eurent déjà été apportés dans l’autre à l’autre endroit. Devinez ce qui est arrivé lorsque le projet de loi a été renvoyé aux Communes avec les amendements du Sénat. Les députés les ont adoptés. J’imagine donc que notre travail a eu une certaine utilité.

Cependant, honorables sénateurs, il doit y avoir quelque chose de différent aujourd’hui. Notre discussion actuelle sur le projet de loi C-38 nous amène à constater que, désormais, les rédacteurs des projets de loi et le personnel du Cabinet du premier ministre sont tellement bons qu’ils parviennent du premier coup à rédiger un projet de loi de 435 pages modifiant 70 lois qui traverse intact toutes les étapes de l’étude des projets de loi, y compris les comités de la Chambre des communes et cinq sous-comités sénatoriaux. Nous voyons tous des problèmes. Les gens d’en face savent très bien que ces projets de loi comportent des problèmes, mais ils disent : « On nous a indiqué que nous ne pouvions pas apporter des amendements parce les travaux de la Chambre pourraient être retardés et que nous pourrions être obligés de revenir siéger au mois de juillet », ce qui ne serait pas joli, comme chacun le sait.

Nous sommes en train de perdre notre raison d’être, et ce serait dommage pour les deux partis. Je vois le leader au Sénat du parti d’en face et je lui répète qu’il serait dommage pour les deux partis que nous ne comprenions pas que nous faisons partie intégrante du processus. Si nous n’agissons pas en conséquence, nous deviendrons inutiles. Je ne crois pas que le Sénat soit inutile. Je participe au processus parlementaire depuis 35 ans, et j’y crois. J’y ai participé à titre de député et d’intervenant externe. Aujourd’hui, j’y participe en tant que sénateur. La Chambre de second examen objectif n’a pas été créée pour des raisons aveuglément partisanes.

J’aimerais m’adresser au club des huit ans, dont font partie certains sénateurs ici présents. Je suis membre du club des 35 ans. Si les sénateurs veulent vraiment être pertinents, ils doivent comprendre qu’il faut dire à leurs dirigeants qu’ils doivent être entendus et qu’ils doivent présenter des amendements qui tiendront compte non pas de la direction de leur parti ou de leur opinion personnelle, mais des parties intéressées et de ce que nous sommes censés faire ici et ce pourquoi les contribuables nous paient, c’est-à- dire modifier les projets de loi pour les améliorer, et non pour les affaiblir ou créer des infrastructures supplémentaires.


L’honorable Claudette Tardif (leader adjoint de l’opposition) :

Honorables sénateurs, c’est encore la même chose. Je prends la parole pour parler d’une autre motion de guillotine, qui porte cette fois sur la troisième lecture du volumineux et désastreux projet de loi d’exécution du budget.

Le sénateur Cordy : Est-ce un record?

Le sénateur Tardif : C’est un record.

Honorables sénateurs, je commence à croire que mon collègue d’en face, le leader adjoint du gouvernement, doit aimer entendre ma voix, parce que c’est la troisième et probablement pas la dernière fois en une semaine qu’il m’oblige à parler d’une motion d’attribution de temps.

Lorsque le leader adjoint du gouvernement a pris la parole hier pour donner avis de la motion d’attribution de temps pour le débat sur le projet de loi d’exécution du budget — on ne s’y retrouve plus, n’est-ce pas? On ne sait plus trop de quelle motion d’attribution de temps il s’agit —, il a dit qu’il n’avait pas réussi à parvenir à une entente avec son homologue de l’autre côté. Ce qu’il voulait, c’était que je lui donne, à titre de leader adjoint de l’opposition, la garantie que le projet de loi en question serait adopté cette semaine.

Honorables sénateurs, je vous pose la question suivante : comment pourrais-je refuser à mes collègues l’occasion d’examiner soigneusement le projet de loi et de se prononcer au nom de leurs régions? Comment pourrais-je accepter de limiter de façon fondamentalement déraisonnable le débat sur un projet de loi aussi volumineux et complexe?

Le sénateur Cordy : Ce serait non démocratique.

Le sénateur Tardif : Parfaitement.

En raison des convictions des sénateurs de mon caucus et de mes propres convictions, je ne pourrais accéder à une telle demande. C’est pourquoi nous sommes ici aujourd’hui à débattre de cette motion. Je me suis résigné au fait que le gouvernement aura régulièrement recours à l’attribution de temps, que cette mesure sera la règle plutôt que l’exception.

Je ne m’attends pas à convaincre les dirigeants du gouvernement de changer leur position, mais j’espère néanmoins que les sénateurs d’en face réfléchiront soigneusement à la motion qu’on leur demande d’appuyer aujourd’hui. Le gouvernement a l’assurance que le projet de loi sera adopté tôt ou tard. Il est majoritaire au Sénat et il remportera certainement tout vote par appel nominal. Ce n’est qu’une question de temps.

Honorables sénateurs, nous ne sommes pas malintentionnés et ne sommes pas motivés par le simple désir de retarder l’adoption du projet de loi. La loyale opposition de Sa Majesté ne fait pas de l’obstruction pour le simple plaisir de faire de l’obstruction. Comprenons bien ce qu’on propose dans la motion. Le gouvernement a déclaré son intention de présenter une motion de clôture après le premier jour du débat à l’étape de la troisième lecture de ce projet de loi sinistre qui compte 429 pages et 753 articles et qui présente, modifie ou abroge plus de 70 lois fédérales. Si le gouvernement part du principe que le Sénat examinera chacune des dispositions du projet de loi, c’est qu’il s’attend à ce qu’on accorde seulement 47 secondes à l’étude de chaque article.

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales a seulement présenté son rapport au Sénat avant-hier, après avoir entendu plus de 33 heures de témoignage, sans parler des cinq autres comités du Sénat qui ont consacré, en tout, 36,5 heures de plus à l’examen de diverses parties de cet énorme projet de loi. Comment peut-on s’attendre à ce que le Sénat termine son examen d’ici la fin de la journée? Quiconque voudrait savoir ce qui s’est dit aux comités devrait s’attendre à lire, sans exagérer, des milliers de pages.

Honorables sénateurs, le gouvernement semble avoir pris l’habitude de vouloir faire adopter les projets de loi au Sénat à toute vapeur, comme si notre rôle se bornait à tout accepter automatiquement. Ce projet de loi n’est pas le seul qu’on nous impose de traiter ainsi à la dernière minute. Nous entamons aujourd’hui le débat à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-11, qui a été présenté pour la première fois à la Chambre des communes le 29 septembre 2011. Au cours des neuf mois qui se sont écoulés depuis, l’autre endroit a consacré un total de 25 jours de séance à l’étude de cette mesure, et maintenant, les représentants du gouvernement au Sénat voudraient que le Sénat boucle ce dossier en l’espace de quelques jours.

Le projet de loi C-23, l’accord de libre-échange entre le Canada et la Jordanie, a été soumis à la Chambre des communes à deux occasions, lors des 40e et 41e législatures. Du côté de la Chambre, ce projet de loi a fait l’objet de 12 réunions et on a entendu 40 témoins pendant les 12 mois de l’examen. Maintenant que le projet de loi est arrivé au Sénat, le gouvernement s’attend encore une fois à ce qu’il soit adopté en quelques jours, après l’audition d’un seul témoin.

Il est vrai que ce gouvernement est majoritaire, mais un gouvernement majoritaire ne signifie pas un gouvernement qui n’écoute pas. Les sénateurs de l’opposition ont de réelles inquiétudes au sujet de ce projet de loi, un projet de loi qui aura des incidences réelles sur la vie de tous les Canadiens. Plutôt que de s’appuyer sur des manœuvres procédurales afin d’adopter ce projet de loi à la hâte, le gouvernement devrait plutôt s’attarder à présenter un projet de loi plus convaincant — d’une portée raisonnable — qui pourrait même éventuellement attirer un certain soutien de l’opposition.

Ce genre de coopération mutuelle entre les bancs du gouvernement et ceux de l’opposition au Sénat n’est pas inhabituel. J’ose croire que les sénateurs de toute affiliation ressentent une certaine fierté en se comportant de la sorte.

Je ne vais pas en dire plus sur cette motion parce que je crois que mes remarques sur les motions précédentes d’attribution de temps proposées ces derniers jours font amplement état de ma position sur la question.

Honorables sénateurs, encore une fois, je ne puis appuyer cette motion d’attribution de temps.

L’honorable Lillian Eva Dyck : Madame le sénateur accepterait- elle de répondre à une question?

Le sénateur Tardif : Oui.

Le sénateur Dyck : À titre de leader adjoint de l’opposition, le sénateur comprend très bien le fonctionnement du Sénat. Je sais que les sénateurs de l’autre côté parlent souvent de la réforme du Sénat et du Sénat triple E, élu, égal et efficace. On entend souvent dire que l’élection des sénateurs rendrait le Sénat plus efficace. En quoi une mesure d’attribution de temps accroît-elle l’efficacité du Sénat? Il est maintenant presque habituel que le gouvernement limite le débat. Quel effet cela a-t-il sur le travail que nous accomplissons en tant que sénateurs? Comment pouvons-nous être plus efficaces si nous n’avons pas le temps de débattre? Quel est le point de vue du sénateur à ce sujet?

Le sénateur Tardif : C’est une immense question. De toute évidence, le Sénat est une Chambre de second examen objectif. Nous avons effectivement besoin de temps pour examiner avec soin les mesures législatives dont nous sommes saisis. C’est le mandat qui nous a été confié, comme le prévoit la Constitution. Nous devons avoir le temps de faire notre travail; il est déplorable que le débat soit limité.


L’honorable Fernand Robichaud :

Honorables sénateurs, pourrait-on m’accorder environ 10 minutes afin que je lise le sommaire de ce projet de loi? Je ne voudrais pas interrompre la lecture et, si on m’accordait ces 10 minutes, je pourrais en commencer la lecture immédiatement.

Si je devais commencer à lire le sommaire, je crois que j’en aurais pour une heure supplémentaire. Je pourrais commencer par la section 56 de la partie 4.

La section 56 de la partie 4 modifie la Loi sur la procréation assistée afin de donner suite à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, rendue en 2010, notamment en abrogeant les dispositions de cette loi jugées inconstitutionnelles et en abolissant l’Agence canadienne de contrôle de la procréation assistée.

Je vais maintenant à la partie 1 du sommaire :

La partie 1 met en œuvre des mesures concernant l’impôt sur le revenu et des mesures connexes qui ont été proposées dans le budget du 29 mars 2012 pour, notamment : […]

Par la suite, il y a les alinéas a), b), c), d), e), f), g), h), i), j) et k).

On continue ensuite :

En outre, elle met en œuvre d’autres mesures concernant l’impôt sur le revenu et des mesures connexes pour, notamment :

… a), b), c).

Honorables sénateurs, je vous épargne la lecture de toutes ces sections parce que je sais bien que vous allez tous et toutes lire le sommaire avant de voter sur l’amendement qui a été proposé par l’honorable sénateur Ringuette et, bien sûr, de voter à l’étape de la troisième lecture.